Par Philippe d’Arvisenet, directeur des études économiques de BNP Paribas
Nous n’avions, dès l’an dernier, partagé ni l’idée du découplage, ni celle d’une fin rapide de la crise. Le découplage était difficile à imaginer alors que les indicateurs conjoncturels des principaux pays de l’OCDE se dégradaient pour finalement annoncer une récession. Il nous paraissait peu vraisemblable qu’une moitié de la planète puisse connaître une contraction du PIB sans que l’autre moitié ne soit affectée. De même, il paraissait difficile d’envisager la fin de la crise financière tant qu’avec des niveaux de stocks excessifs, les prix immobiliers américains restaient inscrits sur une pente baissière, propre à entretenir la hausse des défauts.
Nous avons néanmoins été conduits à réviser en baisse les perspectives économiques pour 2009, suite à l’exacerbation de la crise financière consécutive à la défaillance de Lehman. Les autorités monétaires, comme les gouvernements, ont certes réagi massivement, mais les perspectives conjoncturelles, déjà très négatives, se sont considérablement détériorées. Les récessions entamées aux Etats-Unis, en zone euro, au Royaume-Uni, s’apparentent plus à celles du début des années 1980 qu’aux récessions douces du début des années 1990 ou 2000.
Aux Etats-Unis, le recul de l’activité, de 0,3% en t/t annualisé au T3, pourrait atteindre, voire dépasser, les 3% dans les prochains trimestres, ainsi que le suggère le niveau auquel s’inscrit l’ISM, un bon indicateur de l’évolution du PIB. La stabilisation de la conjoncture n’interviendrait que dans le courant du deuxième semestre. La hausse du PIB, de 1,4% en 2008, ferait place à une contraction de l’ordre de 1,5% l’an prochain. La consommation des ménages n’est plus soutenue par l’effet de richesse, ni par le recours à l’endettement. Elle sera entravée, à la fois par la hausse du taux d’épargne, par le recul de l’emploi et par l’effet de l’augmentation du chômage sur la formation des salaires. La désinflation ne permettra pas d’éviter un repli de la demande des ménages avec une consommation appelée à diminuer de plus d’un point en 2009.
Si la baisse de l’investissement résidentiel paraît devoir se modérer après deux ans de chute, les perspectives de profit et le creusement d’un output gap négatif conduisent à envisager une baisse à deux chiffres de l’investissement productif. Les exportations perdent de l’allant, compte tenu la détérioration générale des conditions économiques, et la nouvelle vigueur du dollar est tout sauf une aide.
Le jeu de la baisse des cours du pétrole et le creusement de l’output gap devraient ramener l’inflation en dessous de 1% au printemps prochain, celle-ci pourrait même temporairement disparaître au T3 compte tenu des effets de base. Une nouvelle baisse du taux objectif des Fed funds à 0,5% ne peut être exclue, tant il est important d’éviter le creusement des taux d’intérêt réels et d’ancrer les anticipations en territoire positif pour repousser le risque de déflation. Il paraît vraisemblable que la politique d’assouplissement ne s’arrêtera pas là, le Humphrey Hawkins testimony en février prochain pourrait voir l’annonce de mesures de politique monétaire quantitative, comportant l’achat de titres de Trésor de maturité plus longue, en fait une monétisation de la dette publique. L’adoption de nouvelles mesures de soutien budgétaire (allègements fiscaux, dépenses d’infrastructure…) par la nouvelle administration complétera ce dispositif.
Dans la zone euro, le recul de 0,2% t/t du PIB au T2 a été suivi d’une baisse de même ampleur au T3. La dégradation de l’activité est patente, comme en témoigne le retour de la croissance annuelle de 1,4% à 0,7% au cours de la même période. Les indicateurs conjoncturels (PMI, enquête mensuelle de la Commission européenne) annoncent une nette contraction du PIB dans les prochains trimestres. La stabilisation de l’activité n’interviendrait que fin 2009, suivie d’une reprise molle en 2010.
Le PIB reculerait d’environ 1% en 2009. Au Royaume-Uni, le PIB a baissé de 0,5% t/t au T3, une contraction plus marquée encore est attendue pour les prochains trimestres, la baisse du PIB pourrait toucher les 2% en 2009.
L’inflation en zone euro reviendrait sous 1% à l’automne prochain. La BCE poursuivra, dans ces conditions, l’assouplissement de sa politique monétaire. Avec la disparition de tout souci sur le plan de la stabilité des prix et avec une conjoncture plus dégradée qu’en 2002-2003, le taux refi serait ramené en deçà de 1,5% d’ici à la mi-2009. De la même manière, la Banque d’Angleterre, après une diminution de son taux phare de 150 points de base en novembre, continuera à mener une politique agressive pour ramener rapidement son « base rate » sous les 2%. x
La récession, qui touche les grands pays de l’OCDE, n’est pas allée sans répercussion sur les pays émergents, compte tenu de ses conséquences sur les débouchés, mais aussi en raison des effets de la crise financière. Le débouclage des positions de carry trade, les rapatriements de capitaux ont fragilisé les pays endettés en devises étrangères, notamment ceux qui présentaient un déficit de leurs paiements courants. Les difficultés de refinancement ont amené certains à faire appel au FMI, les chutes des prix d’actifs et des cours des matières premières n’ont rien arrangé. Le FMI a été conduit, en un mois, à réviser ses perspectives pour la croissance des émergents en 2009 de 6,1% début octobre à 5,1 début novembre, la croissance mondiale étant, pour sa part, revue en baisse de 3% à 2,2% sous l’hypothèse d’une contraction de l’activité de 0,3% dans les pays avancés, chiffre qui nous paraît à ce jour encore trop optimiste.
Après trois baisses de taux, la Chine vient d’annoncer le lancement d’un plan de soutien budgétaire qui devrait dépasser les trois points de PIB en 2009 et 2010. Ce n’est, semble–t-il, qu’à ce prix que la Chine pourra maintenir une croissance proche des 8% (12,5% en 2007), rythme de progression du PIB censé assurer l’absorption de la hausse des disponibilités en main- d’œuvre.