par Bastien Drut, Stratégiste Senior chez CPR AM
Jerome Powell et Richard Clarida, président et vice-président du Board of Governors de la Fed, ont indiqué que le FOMC allait se prononcer lors du comité du 29-30 octobre sur le retour à une politique d’expansion du bilan de la Fed.
Plusieurs commentateurs ont indiqué qu’il ne s’agirait pas d’une opération de Quantitative Easing (QE) mais de simples ajustements de liquidités. Richard Clarida lui-même a précisé ce vendredi que le retour à l’expansion du bilan ne serait pas du QE mais qu’il s’agirait plutôt d’opérations basiques de politique monétaire (« Central Banking 101 »). Pourtant, comme nous allons le voir, ce serait une erreur de sous- estimer l’importance de ces mesures pour les marchés obligataires américains.
La Fed est déjà redevenue acheteuse nette de titres du Trésor en août
Le 31 juillet, le FOMC a décidé d’arrêter l’opération de Quantitative Tightening (réduction du bilan de la Fed, qui impliquait mécaniquement une destruction des réserves) et de commencer dès le mois d’août le réinvestissement en titres du Trésor des MBS qu’elle détient et qui arrivent à maturité, dans la limite de 20 Mds$ par mois. En conséquence, la Fed a été acheteuse nette de titres du Trésor en août 2019 pour la première fois depuis octobre 2014. Etant donné qu’entre 15 et 20 Mds $ de MBS détenus par la Fed arrivent à maturité chaque mois et que cette tendance devrait se poursuivre (voir par exemple les simulations de la Fed de New York), la Fed devrait acheter de 15 à 20 Mds $ de titres du Trésor chaque mois, avant même qu’elle ne revienne à une politique d’expansion de bilan.
La raréfaction des réserves détenues par les banques à la Fed
La forte hausse des taux interbancaires aux Etats-Unis depuis la mi-septembre a mis en évidence un problème de raréfaction des réserves détenues par les banques à la Fed.
Le questionnement au sujet du niveau minimum de réserves acceptable pour les banques n’a rien de nouveau. Depuis que la Fed a entrepris en juin 2017 sa politique de Quantitative Tightening (qui consistait en un non-réinvestissement de titres détenus qui arrivaient à maturité, et qui impliquait une destruction de réserves), la Fed a régulièrement sondé les principales banques au sujet du niveau minimal de réserves qu’elles souhaiteraient détenir de façon individuelle. Elle a également cherché à connaître leurs estimations du montant agrégé de réserves qui serait approprié sur le long terme. Alors que les principales banques indiquaient en 2017 qu’elles s’attendaient à ce que les réserves convergent vers les 600 Mds $ sur le long terme, elles ont nettement réévalué cette estimation au fil de l’implémentation du QT, probablement en réalisant à quel point ce type d’actifs était attractif (liquide, bien rémunéré, permettant de satisfaire certains ratios prudentiels). Ainsi, dans l’enquête de la Fed de New York auprès des primary dealers de juin 2019, l’estimation médiane du niveau de réserves de long terme était de 1250 Mds $ mais certaines banques indiquaient des niveaux supérieurs à 1450 Mds $. Or ces réserves sont passées en dessous de 1400 Mds $ le 18 septembre pour la première fois depuis mars 2011.
Il est clair que des facteurs saisonniers sont à l’œuvre avec la période de paiement des impôts des entreprises, qui occasionne une baisse des réserves détenues par les banques et une augmentation du compte du Trésor à la Fed :
Même si cela est temporaire (le compte du Trésor sera débité tôt ou tard lors du paiement de transferts sociaux et dépenses publiques, à destination des ménages et des entreprises, et les réserves des banques repartiront à la hausse), il est désormais manifeste qu’un problème de rareté des réserves se pose.
Quels sont les autres phénomènes conduisant à une baisse des réserves ?
Deux autres facteurs expliquent la baisse des réserves sur les derniers trimestres :
- La demande de billets de banque. Sur demande de leurs clients, les banques peuvent convertir leurs réserves en billets. Sur les derniers trimestres, la quantité de billets en circulation a augmenté de 7 à 8 Mds $ par mois en moyenne. Lorsque la taille de bilan de la Fed est constante (ce qui est la politique de la Fed depuis le FOMC de 31 juillet), l’augmentation du nombre de billets en circulation rogne tendanciellement les réserves.
- Le recours accru par les institutions étrangères aux opérations de reverse repo. La situation d’inversion de courbe sur la partie courte fait qu’il intéressant pour les institutions étrangères de vendre des T-bills et d’en placer le résultat sur le mécanisme Overnight Reverse Repurchase Agreement (ONRRP). Cela devrait être le cas tant que la Fed ne baissera pas agressivement ses taux. Cela conduit mécaniquement à une destruction de réserves excédentaires des banques. Les montants en jeu dans le mécanisme ONRRP sont passés de 250 Mds $ en début d’année à environ 300 Mds $ aujourd’hui.
Que va faire la Fed ?
La Fed a déjà réagi à la flambée des taux interbancaires en relançant des opérations de repo d’envergure à partir du 17 septembre. Dans le cadre de ces opérations, la Fed propose de prêter 75 Mds $ au jour le jour jusqu’au 10 octobre et propose de prêter 30 Mds $ à 14 jours lors de 3 opérations les 24, 26 et 27 septembre.
Toutefois, la façon la plus simple pour la Fed de remédier à la flambée des taux interbancaires est de créer des réserves en achetant des titres. Avant 2008, la Fed faisait correspondre son passif essentiellement constitué de billets en circulation par des achats des titres du Trésor, qui constituaient l’essentiel de ses actifs. C’est précisément de cela que Jerome Powell parlait lorsqu’il évoquait la « croissance organique du bilan » de la Fed lors de sa dernière conférence de presse et c’est précisément cela que Richard Clarida évoque lorsqu’il parle de « central banking 101 ». Il est désormais assez probable que le retour à l’expansion de bilan soit acté lors du FOMC des 29-30 octobre.
Pourquoi c’est important pour le marché des titres du Trésor ?
Une augmentation de bilan de 20 Mds $ par mois, qui consisterait en des achats de titres du Trésor financés par des réserves, pourrait être envisagée. Ce rythme d’achats aurait l’avantage de faire plus que compenser la destruction de réserves liée à la demande de billets (7 à 8 Mds $ par mois) et permettrait de faire en sorte que les périodes de pénurie de réserves ne se reproduisent pas rapidement.
Un tel montant, couplé aux achats existants, aboutirait à 35 à 40 Mds $ d’achats nets mensuels de titres du Trésor, ce qui est très proche des 45 Mds $ de titres du Trésor achetés chaque mois lors de l’opération QE3.
Si un tel choix était fait, la Fed achèterait ainsi 420 à 480 Mds $ de titres du Trésor par an et financerait donc quasiment la moitié du déficit public américain. C’est pour cela qu’il ne faut pas sous-estimer les annonces que pourrait faire la Fed sur son bilan. Si Richard Clarida explique qu’il ne s’agirait pas d’une opération QE4, c’est car ces achats de titres seraient motivés par un objectif technique de meilleur contrôle des taux courts et d’un octroi de réserves plus efficace. Là aussi, il est nécessaire de souligner que le lancement d’une « vraie » opération de QE4, c’est-à-dire le lancement d’une opération d’achats de titres ayant pour objectif de soutien à l’économie, serait mécaniquement de très grande ampleur…