par Alexandre Hezez, Group Chief Investment Officer chez Richelieu Gestion
2018 devait être l’année de la reprise économique synchronisée de l’ensemble des zones géographiques : une Europe qui reprenait le chemin de la croissance, une réforme budgétaire et fiscale aux États-Unis et une Chine qui réussissait son atterrissage en douceur et continuait sa transformation profonde vers une consommation pérenne.
L’optimisme était de mise et les banques centrales auraient pu, sans encombre, mettre en place une normalisation des politiques monétaires initiées il y a 10 ans. Il n’en a rien été. La crainte d’une surchauffe aux Etats-Unis et d’une hausse incontrôlée de l’inflation par les salaires en début d’année a été le catalyseur d’un nouveau stress (baisse potentielle des marges des entreprises, incapacité à contrôler les prix, …). S’en est suivi, une addition de crises économiques, politiques et géopolitiques : crise politique et budgétaire italienne, incapacité d’un Brexit en bon ordre, crise monétaire turque, les manifestations des gilets jaunes et bien évidemment une escalade de tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. Bref… tout se passe comme si tous les éléments se mettaient en place pour une crise longue et durable.
Tous ces sujets seront encore sur la table en 2019, mais des solutions pourront être envisagées et le début de cette année, marqué par une certaine euphorie, a démontré une solide résilience (voire un excès d’optimisme) des marchés financiers.
Concernant les points de tension notoires, nous noterons qu’au niveau de la guerre commerciale, une phase d’apaisement se poursuit avec des concessions (au vu des incertitudes économiques récentes) de plus en plus importantes côtés chinois (agriculture, barrières non tarifaires, transfert de technologie, propriété intellectuelle, manipulation du yuan). De plus, comme l’affirment les économistes de la Réserve Fédérale de New York, l'économie et les consommateurs américains sont aussi les grands perdants de la guerre commerciale que mène le gouvernement américain aux principaux partenaires des États-Unis. Les chiffres de la construction viennent s'ajouter à une série de statistiques reflétant, dans leur ensemble, un ralentissement de l'économie au niveau mondial. La première phase quant à l'importation par Pékin de produits agricoles américains et l'ouverture aux marchés internationaux, touche bientôt à sa fin. Mais il est à prévoir une seconde phase, qui aura pour thème la propriété intellectuelle et la technologie. Il est à noter que la Chine n’est pas la seule cible du président américain : la Turquie, l’Inde, le Japon et l’Europe seront aussi concernés cette année. Les négociations vont être encore semées d’embûches, et la volatilité des marchés encore présente au gré des avancées et des déceptions.
Les derniers mois ont aussi montré un changement radical quant aux politiques budgétaires et fiscales. Donald Trump avait, d’une certaine manière, montré la voie en développant une réforme fiscale de grande ampleur. Dernière en date, la Chine vient d’annoncer une série de mesures de relance, dont une baisse des charges des entreprises et de la TVA. L’Europe n’est pas en reste avec la France (crise des gilets jaunes) ou l’Italie (gouvernement populiste) où des politiques budgétaires plus accommodantes sont à prévoir. La question italienne s’est largement apaisée.
L’Union Européenne s’est montrée plus compréhensive réalisant l’impact négatif des politiques de rigueur sur les populations impliquant directement un risque politique et démocratique. De plus, la demande d’obligations italiennes a été très soutenue du fait de leur rendement élevé proposé et a créé une dynamique positive qui a transpiré sur les autres classes d’actifs européennes.
Cependant, il est à souligner que le risque italien restera un point de cristallisation cette année. Tombées en récession fin 2018, les prévisions de croissance pour 2019 sont proches de l’équilibre et ne sont intégrées dans le déficit budgétaire prévu ni par le gouvernement italien ni par la commission européenne. La question de la soutenabilité de la dette devrait revenir sur le devant de la scène en cas de hausse de taux avec un risque de contagion du système bancaire dans son ensemble.
Quant au Brexit, même si des tensions apparaitront encore, le Parlement britannique souhaitera aussi éviter un « no deal » en utilisant toutes les options si nécessaire (référendum, nouvelles élections, report de l’article50,etc.).L’UnionEuropéennecomme pour la crise grecque, en sort renforcée dans ses institutions car elle démontre une fois encore qu’elle est capable de prendre des décisions difficiles et fortes.
Mais les deux questions qu’il faut nous poser pour cette année sont de savoir si l’économie peut enfin se passer de l’appui des banques centrales avec quel impact et quelle capacité à agir le cas échéant ? En effet, la crise de 2018 fut en partie due à l’annonce programmée en 2019 de l’arrêt des achats nets d’actifs de la part des banques centrales (1ère année de flux net négatif depuis 2008). À l’instar de la FED, la BCE a ainsi mis fin à son programme de quantitative easing. La liquidité surabondante créée par les banques centrales du monde entier depuis plus de 10 ans est en phase d’appauvrissement.
Tout se passe comme si l’économie, soutenue de manière artificielle n’était pas en mesure, comme lors de précédents cycles économiques (avant la crise de 2008), de maintenir un niveau suffisant par elle- même grâce à l’investissement, l’emploi et la consommation. La question est ouverte ! Mais nous avons la conviction que les banques centrales doivent encore être proactives pour maintenir une dynamique nécessaire. L’inflation reste contrôlée : les hausses de salaires sont contrebalancées par la baisse des prix des matières premières (ce qui est positif pour la consommation). La BCE, consciente des risques d’un retournement autant conjoncturel que politique, restera très accommodante et un soutien stratégique pour le système bancaire (70% du financement de l’économie européenne).
L’ambiance de ce début d’année contraste donc avec la morosité de la fin 2018. Les mêmes thèmes sont maintenant analysés via un prisme positif qui nous semble justifié. Il convient, dans un premier temps, de profiter de la tendance tout en étant pro-actifs. Certains facteurs d'incertitudes que nous avons énoncés vont créer des corrections (spread de crédit, marché actions) qu’il faudra mettre à profit.