par Barnard Agulhon, head of regulatory affairs chez Amundi
L’objectif central du projet de Capital Market Union est celui de la relance du financement de l’économie réelle par le marché financier. Pour être durable, cette substitution partielle au rôle majeur qu’occupent aujourd’hui les banques dans le financement de l’économie européenne doit s’appuyer sur un recours beaucoup plus marqué à l’épargne des ménages. En effet, cet investissement des ménages peut apporter au marché une stabilité que les institutionnels – surtout étrangers – n’apporteront jamais. Cependant, faire revenir les ménages sur le marché financier constitue un réel défi si l’on en juge par la baisse de la part des ménages dans le capital des sociétés européennes observée depuis plus de dix ans.
Face à ce défi, le thème de la ‘protection des clients’ n’a cessé de s’amplifier dans la réglementation européenne, surtout depuis la première directive MIF. Il n’est bien sûr pas question de sous-estimer l’importance de ce sujet. Mais il en va de la protection des épargnants comme de la protection des salariés : de même qu’un droit du travail trop protecteur finit par nuire à l’emploi, de même une règlementation trop contraignante et tatillonne en matière de protection des investisseurs finit par se retourner contre ceux-là mêmes qu’elle entend protéger.
Sans trop schématiser, l’objectif de cette règlementation vise à protéger les clients à l’égard de deux types de risques : d’abord celui qui est propre à l’investissement financier, ensuite celui qui résulterait de la malhonnêteté présumée des acteurs financiers. Cette approche est doublement problématique. S’agissant du risque de marché, focaliser l’épargnant sur ce risque est en soi anxiogène et radicalement opposé à l’objectif poursuivi par la CMU : l’investissement financier a toujours comporté des aléas et le rendement constitue en quelque sorte le ‘salaire de la peur’. Quant au manque de probité présumé des acteurs, il n’est heureusement pas généralisé même si cette défiance s’appuie sur quelques abus avérés ; pour autant, les investisseurs ont beaucoup plus pâti depuis 15 ans des trois crises successives subies par les marchés que de ces pratiques relativement isolées. De fait, les bonnes pratiques autant que le respect du client permettent habituellement de l’emporter dans la durée. En revanche, une règlementation peut toujours être contournée. De fait, les bonnes pratiques en la matière procèdent en même temps d’un état d’esprit et d’un savoir-faire qui savent intelligemment s’adapter à la variété des clientèles et des situations rencontrées ; une règlementation qui prétend graver de telles pratiques dans des textes de loi ne peut qu’échouer. Deux volets de la réglementation européenne en cours d’élaboration illustrent particulièrement cet écueil :
1. L’encadrement du conseil en investissement
Le premier volet concerne donc le conseil aux clients. Durant des décennies, c’est la notion de placement qui prévalait dans la réglementation : placement de titres et placement de produits financiers. Cette activité s’accompagnait, selon les compétences et l’expérience du prestataire, d’un conseil plus ou moins éclairé. Les meilleurs praticiens s’attiraient les bons clients et étaient capables de former des équipes pour les seconder. La nouvelle approche issue de la MIF a remplacé la notion de placement par deux alternatives : le conseil ou la réception / transmission d’ordres, et elle s’est mis en peine de définir ce qu’est un bon conseil. Le bon conseil est celui qui répond à un test de suitability et d’appropriatness. La différence entre les deux notions est purement conventionnelle mais elle est dans les textes : il faut « s’assurer que les questions posées dans le processus de suitability seront comprises par le client et permettront de saisir de manière précise – capture an accurate reflection – les objectifs et besoins du client ainsi que l’information nécessaire pour évaluer l’adéquation du conseil (Actes délégués de la CE pour MiFID2 ,Art. 49, 7c).
Ceux qui ont un tant soit peu pratiqué le placement de produits financiers connaissent le degré de précision des objectifs des clients… Au-delà de la recherche du meilleur rendement possible, couplé au moindre risque et à la meilleure fiscalité, les besoins et les objectifs des clients sont souvent assez flous. Tout au plus arrive-t-on à déterminer une durée d’investissement et une préférence pour le revenu ou bien pour la valorisation du capital.
Le conseil doit ensuite être qualifié : indépendant ou dépendant, selon que le conseiller entretient des liens ou est lié de facto (appartenance à une même groupe) avec le concepteur du produit placé. La qualification d’indépendance suppose de pouvoir répondre à des critères exigeants en termes de variété de produits proposés et d’aptitude à procéder à une bonne sélection sur le marché ; en échange de quoi le conseiller « bénéficie » d’une interdiction de recevoir une rémunération de la part des producteurs de manière à préserver son indépendance. Le conseiller commercial ‘dépendant’ a, quant à lui, le devoir de se présenter comme tel. Cependant, pour avoir droit au titre de conseiller, il doit aussi proposer un minimum de produits concurrents en se posant en particulier la question de savoir s’il n’y a pas sur le marché des produits moins chers et moins complexes que ceux qu’il propose.
Pour mettre un peu plus à l’aise encore le conseiller, il doit produire une déclaration d’adéquation de son conseil et en remettre une copie à son client. Enfin, dans le cadre des mandats de gestion de portefeuille, le gérant sera obligé de prouver que ses arbitrages ont apporté de la valeur et que le bénéfice qui en a découlé a été supérieur au coup de l’arbitrage.
Cette approche très scientifique du conseil s’accompagne d’une obligation de ciblage des clients. Là encore, des pratiques marketing certes vertueuses quand elles sont mises en œuvre avec souplesse et à propos vont se traduire en carcans impraticables dès lors qu’elles auront été traduites en textes réglementaires. De fait, cette obligation de définition d’un marché cible s’appliquera aussi bien aux concepteurs de produits qu’aux distributeurs, et ce à travers toute l’Europe ! Dans la mesure où de nombreux distributeurs pratiquent déjà une segmentation de clientèle qui leur est propre, il sera très difficile pour les producteur de concevoir un ciblage client réconciliable avec les différentes segmentations des distributeurs. De fait, les pratiques diffèrent déjà globalement d’un pays à l’autre. Enfin, l’obligation de ciblage marketing ex ante pour chaque produit n’est pas conciliable avec la pratique d’allocation de fonds dans un portefeuille. A l’heure où les taux à court terme sont négatifs, et où les taux à 7 ou 10 ans se situent nettement en-dessous de l’inflation, il est nécessaire d’exposer un tant soit peu les portefeuilles au risque actions – y compris pour des investisseurs très averses au risque – si l’on veut procurer un minimum de rendement.
Pour compléter le tout, le conseiller devra présenter à son client des scenarios de détérioration du marché et s’assurer que le produit reste compatible avec les besoins et objectifs de son client pendant la durée de son investissement, tandis que le producteur devra identifier les canaux de distribution appropriés pour chaque produit. Au vu des contraintes imposées aux conseillers, le choix risque de se réduire sensiblement dans les années à venir, au bénéfice des robot-advisers et des plateformes de transaction en ligne sur lesquelles le ‘clic’ permet de s’accommoder beaucoup plus aisément de telles contraintes réglementaires…
2. L’information des clients
Le second volet de la protection des clients est celui de l’information qui doit être communiquée aux clients avant toute transaction ou investissement, puis pendant toute la durée de cet investissement. L’essentiel de la réglementation concernant cette information se trouve dans la Directive MiFID et, surtout, dans le Règlement PRIIPs (Packaged Retail & Insurance-based Investment Products).
Côté MiFID, en plus des informations relevées ci-dessus, il faudra aussi fournir un reporting détaillé du passage des ordres à l’investisseur, tendant à lui démontrer la best execution. Il faudra alerter immédiatement les clients si la valeur de leur portefeuille vient à baisser de 10%, et il faudra les informer quant aux frais de recherche payés aux brokers dans le cadre de la gestion de leurs mandats de gestion.
Le règlement PRIIPs quant à lui vise à répliquer pour tous les produits d’investissement (assurance vie, produits structurés émis par des banques) un document similaire à celui qui est déjà utilisé pour les OPCVM. Autant ce ‘DICI’ (Document d’Informations Clé pour les Investisseurs) conçu il y a cinq ans a montré sa pertinence, autant le projet en cours de finalisation pose-t-il de nombreux problèmes liés à la dérive dénoncée plus haut. Alors que le DICI – qui doit se limiter à deux pages, plus une 3ème pour les fonds structurés – contient une sélection pertinente d’informations, le futur KID (Key Information Document) va ajouter des éléments qui, au mieux, sont superflus. Il serait trop long de les lister et je me limiterai à un exemple parmi d’autres. Le règlement PRIIPs obligerait à la production de scenarios de performances futures pour tous les produits, basés sur trois hypothèses, favorable, défavorable ou neutre. De tels scenarios sont présentés aujourd’hui dans le DICI des fonds structurés pour permettre aux clients de comprendre, à travers des exemples chiffrés, le mécanisme de la formule qui sous-tend le rendement attendu en fonction de l’évolution de tel ou tel indice. Dans ce contexte ces scenarios ont tout leur sens. En revanche, s’agissant des fonds ordinaires, l’idée de remplacer la présentation des performances passées par de tels scenarios futurs laisse pour le moins perplexe et l’on se demande sur quelle base sérieuse construire des scenarios de performance future pour des fonds actions ou diversifiés.
En dépit de tout ce dispositif réglementaire très articulé autour du nouveau conseil financier, deux règles de base en la matière ont été complètement perdu de vue alors qu’elle constituaient le socle du conseil financier traditionnel : la nécessité de prendre en compte les fluctuation régulières du marché des actions sur lequel il vaut mieux éviter d’entrer quand il est au plus haut, et le fait que la valeur des fonds obligataires vient à baisser en cas de relèvement des taux. De nombreuses déconvenues tiennent à l’oubli de la première règle au cours des 15 dernières années, tandis que la seconde pourrait être utile dans les années à venir…
NOTES
- Investment firms shall have, and be able to demonstrate, adequate policies and procedures to ensure that they understand the nature, features, including costs and risks of investment services and financial instruments selected for their clients and that they assess, while taking into account cost and complexity, whether equivalent investment services or financial instruments can meet their client’s profile.( Actes délégués de la CE pour MiFID2 ,Art. 49, 9).
- When providing investment advice, investment firms shall provide a report to the retail client that must include an outline of the advice given and how the recommendation provided is suitable for the retail client, including how it meets the client’s objectives and personal circumstances with reference to the investment term required, client’s knowledge and experience and client’s attitude to risk and capacity for loss. (Actes délégués de la CE pour MiFID2 ,Art. 49, 12).
- When providing investment advice or portfolio management services that involve switching investments, either by selling an instrument and buying another or by exercising a right to make a change in regard to an existing instrument, investment firms shall collect the necessary information on the client’s existing investments and the recommended new investments to undertake an analysis of the costs and benefits of the switch, such that they are reasonably able to demonstrate that the benefits of switching are greater than the costs (Actes délégués de la CE pour MiFID2 ,Art. 49, 11).