Quelle alternative à la multigestion ?

par Emmanuel Regnier, Gérant Allocation d’Actifs chez CCR Asset Management

Certains de nos partenaires nous demandent pourquoi nous implémentons nos stratégies d’allocation d’actifs par le biais d’une multigestion active, et non d’une gestion indicielle passive ou d’une gestion en direct via des titres vifs, deux options a priori moins coûteuses. La multigestion, processus selon lequel un allocataire d’actifs va sélectionner des gérants tiers pour leur déléguer la gestion de chacune des sous-classes d’actifs de son univers d’investissement, est en effet vivement critiquée par certains. Mais quel est le véritable coût des alternatives ?

Première alternative : la gestion passive

La gestion passive consiste à investir dans des supports dits indiciels (trackers, ETFs…) cherchant à répliquer au plus faible coût possible la performance d’un indice donné. Sur le papier, ce faible coût est un indéniable avantage par rapport à la multigestion active. Pour illustrer ce propos, prenons l’univers des fonds indiciels sur les indices actions européennes grandes capitalisations. Boursorama en répertorie une quinzaine. La moyenne des frais de gestion de ces 15 fonds est de 0,31% par an (à quoi il faudrait, pour être juste, ajouter les commissions de votre broker ou autres frais liés à l’exécution). A l’opposé, les frais de gestion des trois fonds représentant actuellement notre poche actions européennes sont de 0,83% en moyenne (nous utilisons en effet dès que possible des parts institutionnelles pour bénéficier d’économies d’échelles, et quand ce n’est pas possible, nous négocions avec nos partenaires des rétrocessions qui sont réinjectées dans nos fonds). L’avantage de frais pour la gestion indicielle est donc – toutes choses égales par ailleurs – de 0,5% par an.

Comparons toutefois la performance de nos trois fonds actions européennes par rapport à cette sélection de 15 fonds indiciels, depuis juin 2009 (date de la création du plus récent de ces 15 « trackers »). Les fonds indiciels réalisent une performance de +34,1% sur la période, pour une volatilité de 17,4% similaire à celle de l’indice MSCI Europe TR, qui réalise toutefois une performance de +40,5%.

Nos trois fonds sélectionnés (qui faisaient déjà partie de nos portefeuilles en juin 2009) réalisent quant à eux un joli tir groupé avec des performances comprises entre +48,7% à +54,7%*, soit une performance supérieure de 15% à 20% à celle de fonds indiciels, pour une volatilité de 17,0% pour l’ensemble de la poche. Plus de performance, pour un risque moindre* : voilà en deux chiffres résumés les avantages d’une bonne multigestion par rapport à une gestion indicielle.

Le talent et l’expertise de certains gérants dûment sélectionnés sont la promesse d’un bon potentiel de surperformance (alpha), là où un « tracker », malgré un coût inférieur, a 100% de probabilité de sous-performer son indice de référence. Par ailleurs, la diversification issue d’une construction de portefeuille combinant des approches de gestion faiblement corrélées entre elles permet de réduire le risque.

Et c’est sans compter les coûts cachés de la gestion indicielle : celui de suivre un indice en général construit de façon peu efficiente, voire dangereuse pour la performance à long terme. L’immense majorité des fonds indiciels « trackent » en effet un indice construit selon les capitalisations boursières (parce que c’est en général le moins cher à répliquer au vu du faible turnover de cette stratégie de construction d’indices).

N’oublions pas qu’en 1989, le Japon représentait près de la moitié de la capitalisation boursière mondiale, avant de sous-performer le reste du monde de 10% par an en moyenne au cours des deux décennies qui ont suivi. De la même manière, un indice de capitalisation était composé à moitié de valeurs technologiques en 2000, juste avant que celles-ci ne perdent 90%. Un gérant actif talentueux aurait pu éviter ces désastres. Et que dire du poids d’Enron ou de Lehman Brothers dans un tracker obligataire, juste avant que ces deux sociétés ne fassent faillite, ou du poids de l’Argentine dans un indice de dette émergente (plus de 20% du JPMorgan EMBI +) avant son défaut de 2002, si ce n’est qu’un bon gérant actif n’aurait pas eu ces titres dans son portefeuille. Le fonds indiciel, quant à lui, se sera contenté de répliquer des pertes bien supérieures à ses quelques points de base d’avantage de frais…

Seconde alternative : la gestion en titres vifs

L’autre alternative à l’approche multi-gestionnaire est l’investissement en titres vifs, sélectionnés directement par l’allocataire d’actifs, afin de générer de la surperformance sur chacune des classes d’actifs de son univers d’investissement. Sur le papier, cette approche a, là encore, l’avantage d’économiser une couche de frais.

Des chercheurs en psychologie ont montré que 93% des conducteurs s’estiment être de meilleurs conducteurs que la moyenne. Cette surestimation de ses propres capacités, cet excès de confiance, se retrouvent également dans le domaine de la gestion d’actifs : la finance comportementale en a listé les méfaits. Pour nous, un allocataire d’actifs pensant pouvoir être capable de sélectionner avec la même rigueur et la même réussite des actions américaines, européennes ou asiatiques, mais aussi de la dette émergente, des obligations high yield ou des matières premières, fait preuve d’un excès de confiance manifeste, voire dangereux. L’humilité (la clairvoyance ?) est donc la première raison pour préférer l’approche multi-gestionnaire.

Ensuite, à supposer que notre allocataire d’actifs ait développé en interne une expertise ou une méthodologie de sélection de titres performante, on peut tout à fait imaginer que des entités tierces sont capables de faire au moins aussi bien que lui, ou en tout cas de façon différente : à performance égale, il est moins risqué d’investir sur plusieurs stratégies que sur une seule : pourquoi donc se priver du bénéfice de la diversification ?

Enfin, à supposer qu’un allocataire d’actifs puisse bénéficier des ressources suffisantes en termes de personnel pour ne serait-ce que suivre au niveau microéconomique l’ensemble des classes d’actifs de son univers d’investissement (ce qui coûte très cher), les chances pour qu’il parvienne à créer durablement de la valeur sur chacune d’entre elles sont extrêmement minces. Et quand bien même il parviendrait à dégager un avantage sur au moins une partie de ces classes d’actifs, il lui faudrait encore déployer les ressources nécessaires pour conserver son personnel le plus talentueux, que la concurrence ne manquera pas de convoiter….

Chaque société de gestion étant constituée par définition de ressources limitées, en temps, en capital, comme en hommes, il est simplement impossible d’être le meilleur partout ! Se doter des ressources pour être capable de sélectionner correctement les meilleurs spécialistes est en revanche pour une société de gestion prête à y mettre les moyens un objectif difficile certes, mais tout à fait atteignable.

Pour paraphraser Churchill, l’approche multi-gestionnaire nous semble donc être le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.

Ses inconvénients (notamment en termes de coûts induits) nous paraissent bien minces en comparaison de ses avantages par rapport aux alternatives existantes, et ceci tant d’un point de vue comportemental (éviter l’excès de confiance) que d’un point de vue purement économique (ressources limitées), tant du point de vue de la recherche de la performance (alpha) que de la gestion des risques (potentiel de diversification). En dépit des critiques, et faute d’alternatives crédibles, la multigestion a de beaux jours devant elle.

NOTES

* Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. Les fonds cités sont investis sur les marchés actions et supportent un risque élevé, le capital n’est pas garanti.