par François Millet, Responsable du Développement Produits ETF et Gestion indicielle chez Lyxor ETF
Nous écrivions il y a peu qu'en matière d'actions, tout se jouerait probablement en Asie cette année, particulièrement au Japon. La politique accommodante de Shinzo Abe, la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité des entreprises et les négociations salariales (le Shunto) ont constitué des catalyseurs importants.
De nombreux investisseurs ont partagé cette vision si l'on en croit la collecte record enregistrée depuis le début de l'année par les ETF actions japonaises (plus de 2 milliards d'euros à fin février). Mais la machine s'est grippée lorsque les marchés ont fait volte-face. À l'heure où nous écrivons ces lignes (le 15 mars), l'indice Nikkei a cédé plus de 4% par rapport au début d'année. Est-ce à dire que l'argument en faveur du pays du Soleil levant ne tient plus ?
Le Shunto, un allié de poids
La semaine dernière, les grandes entreprises japonaises se sont accordées sur une augmentation des salaires pour la cinquième année consécutive au terme des négociations salariales de printemps entre employeurs et syndicats, connues sous le nom de Shunto. À l'exception des Toyota, Honda et autres cadors nippons, rares sont les entreprises qui ont satisfait à l'objectif de 3% fixé par le premier ministre Shinzo Abe et le gouverneur de la BoJ Haruhiko Kuroda, malgré un marché de l'emploi tendu et des marges bénéficiaires historiquement élevées.
Si les décisions prises à l'issue des débats cette année devraient contribuer à relancer la consommation domestique, le taux de croissance salariale ne sera pas suffisant pour lever les obstacles qui se dressent en travers d'une banque centrale cherchant à réduire son soutien monétaire. L'on est semble-t-il encore loin de voir cohabiter un taux d'épargne des entreprises négatif et une croissance salariale forte alimentée par les gains de productivité, deux facteurs qui pourraient permettre d'éradiquer définitivement la gangrène déflationniste.
Un Kuroda toujours accommodant
La Banque du Japon (BoJ) multiplie ses efforts pour se rapprocher de son objectif d'inflation de 2% et devrait par conséquent conserver une politique accommodante. A priori, aucun changement n'est à prévoir avant la mi-2019. Elle pourrait alors relever son objectif de rendement à long terme. Les rendements resteront donc contenus pour un temps encore et les JGB (obligations du gouvernement japonais) ne suivront vraisemblablement pas la tendance haussière des rendements à l'échelle mondiale. Aussi des pressions baissières sur le yen ne sont-elles pas à exclure.
Pour les Abenomics
Les Abenomics ont été introduits il y a six ans de cela, avec l'objectif notamment de renforcer la rentabilité des entreprises. Aujourd'hui, le succès semble au rendez-vous. Les marges bénéficiaires et commerciales ont atteint des plus hauts inédits. Le potentiel de croissance du pays est passé de ~0,8% en 2012 à ~1,1%, et les préparatifs des Jeux olympiques de 2020 à Tokyo augurent une accélération des investissements.
Pour la première fois depuis bien longtemps, la croissance du PIB nominal dépasse les rendements à long terme. Ceci prouve à notre avis que les Abenomics ont non seulement contribué à temporiser le yen et à raffermir l'économie, mais qu'ils ont également réussi à produire au moins quelques-unes des réformes structurelles promises. Il y a désormais plus y gagner qu'à y perdre. L'équilibre économique est mouvant.
Faire évoluer les structures
Le gouvernement s'est donné jusqu'à 2020 pour combattre la déflation et stimuler la productivité. Politiques d'assouplissement et réformes structurelles restent donc d’actualité. Les autorités nippones ont déjà annoncé des programmes visant à améliorer le système éducatif et la sécurité sociale, ainsi qu'une augmentation des dépenses en infrastructures publiques. Le pays veut moderniser sa productivité et sa gestion des ressources humaines et prévoit d'intensifier ses investissements au cours des trois prochaines années.
S'ajoutent à cela d'autres ajustements structurels (et notamment une déréglementation et une réforme du marché de l'emploi) qui devraient permettre de générer des gains de productivité, d'accroître le taux de croissance potentiel et d'aider les entreprises à maintenir leur rentabilité.
Reste que tous ces changements devront s'inscrire dans une certaine continuité. Gageons donc que Shinzo Abe remportera bel et bien la présidence de son parti, le LDP, lors des élections prévues en septembre prochain.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Prises dans la tourmente générale et plombées par un recul des prévisions de croissance des bénéfices d'entreprises et un raffermissement du yen, les actions japonaises ont signé l'une des pires performances de ce début d'année parmi les grands marchés actions (en devises locales). Elles conservent cela dit tout leur attrait à nos yeux, dès lors que l'économie s'améliore et que la BoJ reste accommodante.
Les progrès réalisés en matière de reflation et de croissance bénéficiaire vont dans le sens d'une reprise des actions japonaises qui, par ailleurs, sont moins sensibles qu'on ne le pense au yen (d'autant plus dans le contexte actuel d'une accélération de la croissance alimentée par la demande domestique).
Le voyage ne sera peut-être pas de tout repos : la fin inévitable d'une ère particulièrement accommodante, la menace protectionniste et le risque géopolitique constituent des obstacles à court terme. Dans ce contexte, protéger ses portefeuilles peut s’avérer crucial. Dans le contexte actuel, il est d'autant plus important de savoir à quels risques on s'expose. La patience peut finir par payer cela dit et nous restons optimistes quant aux perspectives à long terme des actions japonaises.
Investir au Japon
D’après un rapport publié par Lyxor ETF en septembre 2017, 44% des gérants actifs avaient surperformé leur indice d'actions japonaises au cours des 12 mois précédents*. Sur 10 ans, ils n'étaient déjà plus que 16%*. Il semble que ce soit la gestion passive qui s'en sorte le mieux au pays du Soleil levant.
NOTE
(*) Etude publiée par Marlène Hassine Konqui, sur la base de données de performance allant de septembre 2016 à septembre 2017.