Redémarrage des fusions & acquisitions en 2013

par Ken Van Weyenberg, Investment Specialist chez Dexia Asset Management

L’annonce récente du rachat (LBO) du géant informatique Dell pourrait bien être le signe annonciateur d’un redémarrage des activités de fusions et acquisitions. Alors que les taux restent bas et les liquidités surabondantes sur le marché, la marge de manœuvre pour des opérations de fusion d’envergure est plus que confortable.

Le leveraged buyout (LBO) désigne une opération de rachat d’entreprise financée en grande partie par un emprunt (sous la forme de crédit ou d’obligations). Il n’implique donc qu’une mobilisation minimum de capitaux propres. Le LBO fut très en vogue dans les années 1980, à l’époque du formidable boom de Wall Street, ainsi que durant la période de la bulle technologique. En 2006 et 2007 aussi, alors que la bulle immobilière commençait à se former sous l’effet de crédits bon marché, les opérations de rachat d’entreprise par endettement ont connu un franc succès. En 2006, le secteur du capital-investissement (private equity) a racheté près de 700 entreprises américaines pour la bagatelle de 375 milliards de dollars, suivis d’une nouvelle vague de 302 milliards de dollars en 2007. Le nombre de LBO a ensuite dégringolé durant les années qui ont suivi la crise financière de 2008 – 2009.

Nette reprise des LBO au 4è trimestre

En 2012, le volume des LBO est reparti à la hausse, pour atteindre près de 135 milliards de dollars, soit 12 % de mieux qu’en 2011 (120 milliards de dollars). La principale raison de cette progression réside dans la forte augmentation du volume des opérations (près de 40 milliards de dollars) au 4è trimestre, faisant de cette période le 4è trimestre le plus vigoureux depuis 2007 (175,5 milliards de dollars) selon le bureau d’étude Dealogic. L’afflux massif de capitaux sur les marchés a largement soutenu les opérations de LBO ces derniers mois et a contribué à un démarrage de l’année 2013 sur les chapeaux de roue, grâce à quelques transactions gigantesques parmi lesquelles le LBO de Dell, troisième constructeur informatique mondial.

Conditions de marché encourageantes

Les opérations annoncées en janvier pourrait être un signe précurseur d’une bonne année pour les LBO. Quoi qu’il en soit, le marché devra tenir compte, durant les prochains mois, de plusieurs emprunts LBO qui arrivent à échéance et qui devront donc être refinancés. Selon un rapport de Linklaters et les chiffres de Dealogic, la valeur des LBO arrivant à maturité cette année avoisine les 100 milliards de dollars. En 2014, ce chiffre passera à pas moins de 140 milliards de dollars. En 2013, les principaux secteurs dans lesquels des LBO devront être refinancés sont la chimie, le transport et les soins de santé.

Le refinancement des LBO ne se fera pas du jour au lendemain. Les conditions de crédit s’assouplissent peu à peu, mais elles demeurent encore relativement sévères. Le refinancement peut toutefois être soutenu par un regain d’appétit pour le risque parmi les investisseurs, des taux historiquement bas qui stimulent la quête de rendement et les liquidités considérables injectées ces dernières années dans les marchés.

Accélération de la cadence des fusions et acquisitions

Ces conditions de marché favorables peuvent en outre contribuer à une augmentation des opérations de fusions et acquisitions. En tout état de cause, l’optimisme était déjà de mise au 4è trimestre de l’année dernière, le niveau d’opérations de fusion ayant grimpé durant cette période à un niveau inédit depuis 4 ans (essentiellement grâce aux États-Unis). Durant les trois derniers mois de l’année passée, les entreprises ont annoncé des opérations pour un montant de 690 milliards de dollars. La tendance pourrait bien se confirmer en 2013 si l’on tient compte de la trésorerie colossale (plus de 3500 milliards de dollars) dont disposent les entreprises au niveau mondial et de l’assainissement radical de leur bilan ces dernières années.

Les premières statistiques pour 2013 sont en tout cas encourageantes : le volume des transactions réalisées depuis le début de l’année dépasse les 329 milliards de dollars (chiffres Dealogic dans De Tijd), ce qui représente une augmentation de plus de 20 %. Après l’annonce de l’opération menée sur Dell (24,4 milliards de dollars), d’autres transactions sont attendues comme le rachat de Virgin Media par Liberty Global (23,3 milliards de dollars) ou la fusion entre American Airlines et US Airlines, qui deviendrait ainsi la plus grosse compagnie aérienne au monde. La prise de participation de Warren Buffet dans Heinz pour la bagatelle de 23 milliards de dollars n’est pas non plus passée inaperçue.

Avis positif pour les opérations de fusion

Entre-temps, les conditions de marché s’améliorent fortement et Dexia Asset Management considère que les perspectives d’évolution du marché des fusions et acquisitions en 2013 sont favorables. L’année dernière a été décevante en raison d’un manque de confiance du marché lié à la crise de la dette en Europe. Le volume était très limité et les chances de réussite plutôt maigres. Les mesures prises par la Banque centrale européenne ont cependant renversé la tendance. Aujourd’hui, des entreprises internationales bien diversifiées offrant une grande visibilité sur leur cash-flow sont à nouveau sous les feux de la rampe.

Aux États-Unis, le climat favorable sur le plan des taux et la croissance économique moyenne stimulent un accroissement du nombre de fusions et acquisitions entre entreprises américaines et ce dans tous les secteurs. Une fusion ou une acquisition est un excellent moyen d’augmenter la capacité de production ou de combler d’éventuelles lacunes dans le mix de produits. Aux États-Unis, l’on constate effectivement un besoin d’investissements complémentaires, avec un capacity utilisation rate (pourcentage de la capacité de production utilisée) de près de 80 %, le plus haut niveau depuis fin 2007. L’on peut en outre s’attendre à une augmentation de la capacité de rachat en dehors des États-Unis. Pas mal de sociétés européennes présentent des valorisations intéressantes et des entreprises de pays émergents offrent un accès direct au potentiel de croissance de la région. Enfin, profitant de devises plus fortes et d’une croissance économique plus élevée, de nombreuses entreprises des pays émergents ne manqueront pas de venir grossir les rangs des acteurs sur le marché des fusions, en quête de candidats à reprendre à des conditions bon marché en Europe et aux États-Unis.

Le principal risque pouvant enrayer la croissance des opérations de fusions et acquisitions est le manque de confiance. Cette confiance est essentiellement liée à la crise de la dette en Europe et dans une moindre mesure, à la problématique budgétaire aux États-Unis. Sauf défaillance de la confiance des investisseurs, les premiers mois de l’année s’annoncent en tout cas prometteurs.

Opportunités

Les secteurs où l’on peut s’attendre à la plus forte augmentation des opérations de fusions sont ceux qui jouissent avant tout d’une trésorerie importante. L’on songe ici en particulier aux biens de consommation de base (alimentation et boissons, produits de soins personnels, etc.), aux entreprises pharmaceutiques, à l’énergie, et au secteur des télécoms.

Impact des LBO pour l’investisseur en actions et en obligations

Si les LBO sont généralement accueillis à bras ouverts sur les marchés des actions, il n’en va pas de même sur les marchés obligataires. L’actionnaire profite de la prime payée sur le prix réel de l’action, tandis que le détenteur d’une obligation subit l’impact négatif d’une forte augmentation du risque de crédit. Le LBO est associé à une importante augmentation du leverage (endettement) et peut donc influencer la notation de crédit de l’entreprise rachetée. Après le rachat de Virgin Media par Liberty Global, la notation de crédit de Virgin Media a été abaissée de trois crans.

Aperçu des dernières transactions et de leur impact sur l’évolution du cours de l’action de l’entreprise rachetée et de l’impact sur le CDS (Credit Default Swap: plus le CSD augmente, plus le risque de crédit augmente):

  • Berkshire Hattaway prend une importante participation dans Heinz, pour pas moins de 23 milliards d’euros. Comme le montre le graphique ci-dessous, le cours de l’action Heinz a bondi alors que le risque de crédit sur base du CDS augmentait fortement (chiffres du 19 février 2013).
  • Silver Lake et Michael Dell paient 24 milliards d’euros pour retirer Dell de la bourse. Comme le montre le graphique ci-dessus, le cours de l’action Dell a bondi alors que le risque de crédit sur base du CDS augmentait fortement (chiffres du 19 février 2013).