par Deepshikha Singh, Deputy Head de La Française Sustainable Investment Research & Head of Stewardship
En 2022, la sphère ESG a été marquée par l’actualité, les controverses et des débats. En 2023, nous nous attendons à ce que le terme générique « ESG » soit complètement repensé.
E – pour Évolution, Engagement et Environnement
La hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires continueront de soulever la question de la priorité entre durabilité et sécurité. Mais ces évolutions ne doivent pas être considérées comme des obstacles à l’investissement ESG mais comme des catalyseurs de changement. Les critères ESG doivent évoluer d’une stratégie de niche vers une philosophie d’investissement prépondérante.
Nous nous attendons à une concentration croissante sur l’engagement et la gestion responsable. Les investisseurs doivent agir en tant que partenaires des sociétés investies, afin de créer un impact significatif sur leurs externalités et la valorisation du portefeuille. Le peu de ressources consacrées actuellement à la gestion responsable constitue un obstacle majeur à l’utilisation efficace de l’influence des investisseurs et à la création de valeur sur le long terme. Pour résoudre ce problème, les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) ont lancé un « Projet de Ressources pour la Gestion Responsable » afin de rechercher et d’évaluer le niveau approprié de ressources que les investisseurs institutionnels devraient consacrer aux activités de gestion responsable et à la résolution des problèmes systémiques de durabilité.
Il est maintenant communément admis que l’action climatique est vouée à l’échec si les externalités négatives sur la biodiversité, l’eau et les déchets ne sont pas traitées. Après la COP15 et la COP27, se tiendront prochainement les 2e et 3e sessions du Comité de Négociation Intergouvernemental (CNI) pour élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique. Nous misons sur le fait que davantage d’investissements soient réorientés vers les stratégies en faveur du capital naturel et de l’économie circulaire.
S – pour SDG (ODD), Solidarité et Social
Environ 40 % des investisseurs privilégient une certaine forme d’alignement sur les ODD dans leurs portefeuilles. Mais les notations ESG tierces ne tiennent pas nécessairement compte de l’impact positif qu’une entreprise a, ou pourrait avoir, sur les ODD ; il est donc important que les gérants d’actifs développent une capacité à reconnaître et à identifier ces lacunes.
La COP 27 et la COP 15 ont réitéré l’importance de partager la responsabilité financière de l’adaptation au climat dans les communautés les plus vulnérables (pays en voie de développement – Global South) avec les pays qui ont récolté les avantages économiques d’une industrialisation rapide (pays développés – Global North). La COP 27 s’est achevée par la création d’un fonds de compensation des pertes pour soutenir les pays vulnérables. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, a fait pression pour « un pacte de solidarité climatique, dans le cadre duquel tous les grands émetteurs doivent faire un effort supplémentaire pour réduire les émissions de cette décennie conformément à l’objectif de 1,5 degré et d’assurer un soutien à ceux qui en ont besoin ». Les pays émergents disposant de ressources fossiles seront privés de revenus d’exportation vitaux en raison de la transition climatique, et il est tout à fait justifié que cela soit pris en compte dans les négociations sur le climat. Alors que nous entrons dans la 3e année de la « Décennie d’action », il est important que les flux financiers publics et privés soient redirigés vers la mise en œuvre de projets de transition à travers le monde.
Les facteurs sociaux de l’investissement durable sont devenus plus importants au cours des dernières années. Les enjeux de la diversité, de l’égalité salariale, de la santé et de la sécurité figurent en bonne place dans les engagements et les propositions d’actionnaires. Les questions de sécurité sont un sujet clé pour les secteurs stratégiquement importants pour la transition climatique, tels que l’exploitation minière et les énergies renouvelables. Avec le lancement de PRI Advance, nous nous attendons à ce que l’on se concentre davantage sur les questions des droits humains en 2023. Au sein de l’UE, une nouvelle proposition règlementaire pourrait obliger toutes les entreprises d’au moins 100 salariés à rendre compte de leur écart de rémunération entre les sexes tous les 3 ans, et annuellement pour les entreprises de 250 salariés ou plus.
G – pour Greenwashing , Gaps (écarts) et Gouvernance
2022 a vu le début d’une répression du greenwashing. Les gestionnaires d’actifs en Europe ont été contraints de reclasser des fonds en raison de l’incertitude entourant le règlement SFDR. En novembre 2022, l’ONU a même publié un rapport qui propose des recommandations sur la manière de prévenir et d’éviter le greenwashing. La Financial Conduct Authority du Royaume-Uni entamera sa période de consultation sur le greenwashing le 25 janvier 2023. En Europe, les autorités européennes de surveillance ont publié un « appel à témoignages » sur le greenwashing, qui vise à identifier ses principaux problèmes, risques et moteurs. Toutes les entreprises cotées sur les marchés réglementés de l’UE commenceront à appliquer la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), ce qui donnera aux gestionnaires d’actifs une plus grande clarté sur les performances des entreprises en matière de développement durable.
La bataille pour limiter les émissions à une hausse de 1,5 degré reste mal engagée. Les déficits de financement continuent de freiner l’action climatique. Le besoin mondial d’infrastructures vertes est d’environ $5 000 Mds/an, mais seuls $384 Mds sont actuellement disponibles. Dans un rapport de la Fondation Rockefeller en coordination avec le Boston Consulting Group, il est mentionné qu’environ $3 400 Mds pour le financement de l’atténuation du changement climatique sont nécessaires chaque année entre 2020 et 2025. Si la Chine est exclue des calculs, alors les économies en développement ont également besoin d’environ $1 000 Mds/an pour le financement climatique. Cependant, les données suggèrent qu’ils ne reçoivent actuellement que 27 % de cet objectif. Il en va de même pour la biodiversité, pour laquelle on estime que les besoins de financement sont d’environ $800 Mds /an, à comparer aux dépenses mondiales estimées actuellement à environ $100 Mds.
La gouvernance demeurera un enjeu clé en 2023. Les investisseurs vont au-delà de la structure du conseil d’administration et des critères d’indépendance pour exiger plus de transparence. La rémunération des dirigeants a fait l’objet d’un examen minutieux pendant la pandémie lorsque les écarts de rémunération entre les PDG et les salariés ont augmenté de façon exponentielle. Les investisseurs et les conseillers disposant d’un droit de vote par procuration adoptent une ligne plus dure en matière de « over-boarding » – lorsqu’un membre du conseil d’administration ou un cadre supérieur s’implique dans un trop grand nombre de sociétés. Les investisseurs interpellent de plus en plus les administrateurs sur les performances de leurs entreprises en matière de développement durable et les en tiennent responsables. Les propositions de « Say on Climate » ont fourni un nouvel outil aux actionnaires pour amener la direction et les conseils d’administration à rendre des comptes sur les stratégies et les plans de gestion du risque climatique de leur entreprise.
Alex Edmans, professeur de finance à la London Business School, a écrit en septembre dernier dans son article intitulé « End of ESG » : « Les critères ESG sont à la fois d’une extrême importance et rien de particulier. Tenir compte des facteurs à long terme lors de l’évaluation d’une entreprise n’est pas un investissement ESG ; c’est de l’investissement ». Au-delà de la simple intégration des évaluations ESG, les investisseurs n’auront d’autre choix que de prendre en compte la profondeur et l’ampleur des incidences de leurs investissements sur la société et l’environnement.