par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas
Alors qu’une baisse du taux de refinancement de la BCE se profile, la question de son efficacité à relancer l’activité et, notamment, l’octroi de crédit dans les pays périphériques de l’Union économique et monétaire demeure entière. La profondeur et la persistance des maux européens appellent à des remèdes plus radicaux.
Malgré une politique monétaire déjà accommodante (la BCE réalise l’ensemble de ses opérations de refinancement à taux fixe et pour des quantités illimitées) et des liquidités excédentaires de plus de EUR 360 milliards, l’encours de crédit ne cesse de chuter dans le sud de l’Europe. En Espagne, par exemple, les prêts au secteur privé étaient en baisse de 10,5% sur un an en janvier 2013.
Au-delà de la faiblesse de la demande, l’offre de prêts est aussi pénalisée par l’importante montée du risque de crédit. En janvier, le taux de prêts non performants atteignait 10,8% des encours (voir graphique). Un véritable cercle vicieux s’est mis en place : la pénurie de financements accentue les difficultés de trésorerie des entreprises, déjà confrontées aux arriérés de paiement des biens et services qu’elles vendent à l’Etat et aux collectivités locales. Ces difficultés de trésorerie conduisent à des retards de remboursement des prêts des entreprises et donc une augmentation du risque de crédit pour les banques, répercutée sur les taux débiteurs. Les taux d’intérêt bancaires sur les prêts inférieurs à 1 an et inférieurs à EUR 1 million s’établissaient, en janvier, à 4,4% en Italie, 5,2% en Espagne et 6,6% au Portugal.
Par ailleurs, malgré le resserrement des spreads souverains en zone euro suite à l’annonce du programme d’Opération Monétaire sur Titres (OMT), les taux du crédit bancaire dans la périphérie ne cessent de diverger avec les pays du Nord. L’écart-type entre les taux bancaires italiens, espagnols, allemands et français était, en janvier 2013, à un plus haut historique. Aussi, le simple fait pour une entreprise d’appartenir à la périphérie de la zone euro, indépen- damment de sa situation financière intrinsèque, se traduit par un handicap de compétitivité vis-à-vis de ses concurrentes du noyau dur. Ce problème se pose avec encore plus d’acuité pour les petites et moyennes entreprises qui, pour la plupart, n’ont pas ou peu accès au financement de marché. Elles sont pourtant le moteur traditionnel de l’activité et de l’emploi dans les pays du sud de l’Europe.
Enfin, en dépit du retour relatif des investisseurs étrangers sur les segments de dettes souveraines espagnole et italienne, le financement de ces Etats continue de reposer en grande partie sur le secteur bancaire national. Les banques achètent des titres d’Etat, utilisés ensuite comme principaux collatéraux pour obtenir des liquidités auprès de la BCE. Malgré l’extension en juin 2012 de la gamme des collatéraux acceptés dans les opérations de refinancement à certain type de prêts au secteur privé, les entreprises restent partiellement évincées du circuit de financement bancaire. Le problème se pose aussi chez les pays sous programmes d’aide. Au Portugal ou en Grèce par exemple, les dérapages budgétaires par rapport aux cibles fixées dans leur programme de financement nécessitent des émissions supplémentaires de bons du Trésor qui sont souscrits par les banques locales.
Le recul du crédit reste incompatible avec une reprise de l’activité au Sud. Il rend de ce fait plus longue et difficile la consolidation des finances publiques. De plus, la contraction prolongée de l’investissement productif conduit à une baisse du PIB potentiel. Les réformes de structure destinées à stimuler l’offre de biens et de services dans les pays en mal de compétitivité se révèleront inefficaces si elles ne s’accompagnent pas d’un rebond du taux d’investissement. Réparer le canal de transmission de la politique monétaire apparaît donc crucial pour sortir de la crise. Mario Draghi a assuré la semaine dernière explorer à 360 degrés de nouveaux instruments pour relancer l’activité, soulignant les risques à la baisse qui entourent la perspective d’une reprise mi-2013. Cette déclaration n’est pas sans rappeler celle de juillet 2012 qui avait précédé l’annonce de l’OMT en septembre. A l’époque, le président de la BCE assurait être prêt à mettre tout ce qui était en son pouvoir pour préserver l’unité de l’euro.
Pour autant, l’action de la Banque centrale ne peut se substituer à celle des gouvernements. Si de nouvelles mesures non conventionnelles de politique monétaire pourraient soutenir les entreprises en les ciblant plus directement, seule l’intégration européenne permettra de réduire durablement la fragmentation du financement au sein de la zone euro. En particulier, l’union bancaire, parce qu’elle pourrait rompre les liens entre risques bancaires et souverains, permettrait de restaurer la confiance dans les secteurs bancaires des pays périphériques, améliorer leur condition de financement et, partant, l’octroi de crédit.