par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Les imbroglios budgétaires aux Etats-Unis et le spectacle inquiétant, dignes des meilleures séries américaines, que nous ont offerts les élus américains ces dernières semaines, ont intensifié les risques d’un défaut américain. Si ce dernier nous a toujours apparu comme improbable, sa menace a fait réagir les marchés et les agences de notation. L’accord finalement trouvé est une bonne nouvelle à court terme mais ne résout ni la question du financement des dépenses publiques jusqu’à la fin de l’année fiscale 2014 ni celle du plafond de la dette qui vont redevenir un problème dès le début d’année prochaine. En conséquence, le risque politique va vraisemblablement persister dans les mois qui viennent.
Dans ce contexte, certains observateurs se demandent dans quelle mesure les investisseurs pourraient délaisser la dette américaine pour aller s’investir ailleurs et en corollaire, y-a-t-il un risque que les Etats-Unis rencontrent des difficultés à se financer.
Rappelons que les non-résidents sont les principaux détenteurs de la dette publique américaine (dette fédérale détenue par le public) avec près de la moitié du stock (48%), suivis par la Réserve Fédérale qui en détient 15%. Parmi les non-résidents, la Chine et le Japon en détiennent respectivement 10,7% et 9,5%. Les ménages américains ont une détention directe de 9% et les banques, finalement, en ont très peu, environ 2%. Le risque pour ces dernières se situe plutôt du côté de la détention des MBS. Sur les deux dernières années où les taux étaient très faibles, ce sont également principalement les non-résidents et la Fed qui ont acquis des titres du Trésor (respectivement 1100Md$ et 925Md$ depuis début 2011) et qui seront en conséquence les plus sensibles en cas de forte remontée des taux d’intérêt. Ces investisseurs non-résidents ont donc peu intérêt à vendre leurs actifs au risque de faire baisser la valeur de leurs portefeuilles. Toutefois, il se pourrait qu’ils deviennent plus réticents à en acheter davantage et ce, à une période où la Fed pourrait petit à petit réduire ses achats de titres du Trésor. Nous ne croyons pourtant pas à un scénario de défiance sur la dette américaine pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’offre de titres du Trésor va être moins importante en 2014 qu’au cours des dernières années avec la réduction du déficit public même si les tombées restent importantes. De plus, si les taux remontent quelque peu, des investisseurs résidents, qui ont été ces dernières années évincés, pourraient revenir sur la dette américaine. Il y a également la Fed qui, présidée par J. Yellen, ne permettra pas un choc trop violent sur les taux.
Par ailleurs, les Etats-Unis restent une région attractive avec l’amélioration des perspectives de croissance à moyen terme et un retour à la croissance potentielle (proche de 2,3%). Les fondamentaux structurels se sont également sensiblement améliorés. Après la période de fort désendettement des ménages et en corollaire de purge de la bulle immobilière qui a grevé la croissance depuis 2007, l’ajustement du bilan des ménages est bien avancé. En parallèle, le déficit public s’est fortement réduit (de 7% en 2012 à 4% en 2013) et la configuration croissance/taux d’intérêt est favorable à la baisse du taux d’endettement. Conséquence de la réduction des besoins de financement des ménages et de l’Etat, le déficit courant est également en amélioration (2,5% en 2013). Au total, si le risque politique reste présent, les risques macroéconomiques ont sensiblement diminué.
Enfin, quelles sont les alternatives ? L’Europe ? Les perspectives de croissance restent faibles et les risques sont nombreux : la dette publique dans un certain nombre de pays périphériques continue à augmenter et le risque bancaire n’a pas disparu. Il y a toujours la possibilité d’investir en Allemagne qui apparait comme le pays le moins risqué mais les perspectives de rendement sont faibles. Le Japon ? Peu intéressant avec des rendements très faibles et la politique de dépréciation du yen. Les pays émergents ? La crise récente a mis en exergue la fragilité financière d’un certain nombre de grands pays émergents enregistrant des déficits courants. Si les taux d’intérêt peuvent être attractifs car bien supérieurs à ceux des pays développés, le niveau de risque est beaucoup plus élevé, avec en sus un risque de dépréciation des monnaies. Par ailleurs, si l’internationalisation du RMB se poursuit avec une utilisation croissante dans les échanges commerciaux, les contraintes sont encore importantes et il faudra encore du temps pour que le compte de capital soit ouvert et la monnaie totalement convertible.
Ainsi, à court terme, en dépit d’une situation politique compliquée, il nous semble que la dette américaine va rester incontournable, sa taille et sa liquidité étant également des avantages importants.