par Raymond van der Putten, économiste chez BNP Paribas
Le Royaume-Uni est entré en récession, la pire qu’il ait connu depuis au moins 60 ans.
Les autorités britanniques ont réagi à la crise financière en adoptant un ensemble complet de mesures visant à (1) améliorer le fonctionnement des marchés financiers et (2) à soutenir la demande.
Cependant, le coût du plan de sauvetage pour le Trésor n’a pas été chiffré avec précision. De plus, le Chancelier n’a pas présenté de plan crédible pour redresser, à terme, les finances publiques.
En l’absence de coordination au plan mondial des politiques publiques, la tentation du protectionniste refait surface, au Royaume-Uni et ailleurs, ce qui fait peser une lourde hypothèque sur la reprise mondiale.
Le Royaume-Uni est entré en récession, la pire qu’il ait connue depuis au moins 60 ans. Au quatrième trimestre, le PIB s’est contracté de 1,5%, t/t la plus forte baisse depuis 1980 (EcoFlash 09-032). L’activité manufacturière, en particulier, a été sérieusement touchée, enregistrant une chute de 4,6%, nombre de sociétés ayant dû réduire leur production pour abaisser le niveau de leurs stocks, notamment en prolongeant les congés de fin d’année. Dans les services, on observe également un repli de 1% de l’activité. Les plus forts reculs ont été enregistrés dans la distribution, l’hôtellerie et la restauration. Dans les services aux entreprises, l’activité a, contre toute attente, mieux résisté, reculant d’à peine 0,5%.
La récession est le résultat de l’interaction entre la crise financière mondiale et le dénouement des déséquilibres macro-économiques apparus au cours de la décennie écoulée, comme les importants déficits des comptes courants et le fort endettement des ménages aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne et en Irlande. Par ailleurs, pendant cette période, les pays émergents comme la Chine et les pays producteurs de pétrole, dont le taux d’épargne est particulièrement élevé, ont accumulé d’énormes créances sur les pays développés.
L’abondante liquidité et le faible niveau des taux d’intérêt de marché qui en a découlé ont encouragé l’endettement dans les pays développés. En outre, la recherche de la rentabilité a conduit à une accélération de l’innovation financière et, en particulier, la croissance de la titrisation des instruments du crédit et le développement du modèle « originate and distribute ». Cependant, au cours de l’été 2007, dans la foulée du retournement du marché immobilier américain et de l’éclatement de la crise des subprime, le marché de ces instruments de crédit s’est grippé, avec des conséquences graves, dans un premier temps, sur le secteur bancaire et en particulier sur les institutions largement engagées sur ces instruments.
Au Royaume-Uni, mais aussi ailleurs, les banques ont entamé un processus de deleveraging, en recourant à l’injection de nouveaux capitaux, en resserrant les conditions de crédit et en vendant des actifs. Ce processus est toujours à l’œuvre à l’heure actuelle. Ainsi qu’il ressort de la dernière enquête de la BoE sur les conditions du crédit, couvrant les trois derniers mois jusqu’à la mi-décembre, les établissements financiers ont réduit les prêts accordés aux ménages et aux entreprises dans des proportions qui dépassent les prévisions. Ils tablent, en outre, sur la poursuite du durcissement du crédit au cours des trois prochains mois. Une situation qui s’est soldée par un ralentissement considérable de la masse monétaire.
L’effondrement des prix des logements joue un rôle décisif dans la récession actuelle. Les prix de l’immobilier résidentiel au Royaume-Uni ont chuté d’environ 17% en glissement annuel en janvier.
Conséquence, le coût du logement a lui aussi baissé. Selon le Council of Mortgage Lenders (organisme regroupant les principaux prêteurs immobiliers), les charges d’intérêt représentaient en général 18,2% du revenu des primo accédants en novembre, soit le taux le plus bas depuis février 2007. Dans l’ensemble, les personnes ayant déménagé en novembre ont consacré 14,4% de leurs revenus au paiement des intérêts ; il faut remonter à avril 2006 pour trouver un chiffre aussi faible. Toutefois, la demande de logement est restée modeste, en raison de la fermeture du robinet du crédit, mais aussi des réticences des acquéreurs potentiels à s’engager sur le marché. Le taux de croissance sur 12 mois du crédit hypothécaire a ralenti à 3,4% à peine en décembre contre plus de 10% deux ans auparavant, tandis que le nombre de prêts approuvés est tombé aux environs de 25 000 par mois, contre approximativement 75 000 à la fin 2006.
A la suite de la chute des prix de l’immobilier, la capacité des ménages à emprunter davantage avec comme garantie leur bien immobilier est fortement réduite. Ainsi, les extractions de liquidité (« House Equity Withdrawal ») ont diminué, alors qu’elles représentaient encore 4,6% du revenu moyen disponible en 2007.
Au troisième trimestre 2008, les ménages ont effectué des remboursements nets à hauteur de 2,4% de leur revenu disponible. Pour de nombreux ménages, la forte baisse des prix dans l’immobilier conduit à ce que le capital restant dû soit supérieur à la valeur de leur bien immobilier. Le nombre des foyers dans ce cas atteint 4% de l’ensemble des détenteurs de prêts hypothécaires, selon la dernière enquête NMG, mais tout en restant en deçà du niveau de 1995 (autour de 7%). Toutefois, compte tenu de la poursuite du plongeon des prix de l’immobilier, un bond de ce ratio à 10% n’est pas à exclure, ce qui se traduira probablement par une forte augmentation des cas d’insolvabilité.
Des politiques macro-économiques accommodantes
Les autorités monétaires et budgétaires ont pris des mesures draconiennes pour limiter l’impact de la crise financière sur l’économie réelle. Suite à l’annonce, dans le projet de budget, d’une baisse “temporaire“ de 2,5 points du taux de la TVA, à compter du 1er décembre, le ministre des finances allemand, Peer Steinbrück, est même allé jusqu’à accuser le gouvernement britannique de «keynésianisme primaire ».
Redresser le secteur financier : telle est la priorité des autorités. La Banque d’Angleterre a accru les injections de liquidités sur le marché. En avril dernier, la Banque centrale a mis en place le Special Liquidity Scheme qui permet aux banques d’échanger des titres adossés à des prêts hypothécaires de qualité supérieure et autres valeurs mobilières contre des bons du Trésor. Après la faillite de Lehman Brothers, la Réserve fédérale a augmenté les lignes de swap avec six grandes Banques centrales, dont USD 40 milliards avec la BoE.
En octobre 2008, le Premier ministre, Gordon Brown, a présenté un programme de recapitalisation du secteur bancaire. La Royal Bank of Scotland a ainsi reçu GBP 5 milliards en échange d’actions préférentielles, le gouvernement s’engageant à assurer la prise ferme de l’émission de GBP 15 milliards d’actions ordinaires. Suite à l’échec de cette émission vers la fin du mois de novembre, le gouvernement a porté sa part dans le capital de la banque à 57,9%, puis à 70% en janvier. La société issue de la fusion entre HBOS et Lloyds TSB, en cas de succès de l’opération, pourrait recevoir quant à elle GBP 11,5 milliards, dont GBP 3 milliards d’actions préférentielles. Cela porterait la part de l’Etat britannique dans cette institution à 43%.
De plus, le gouvernement a affecté 250 MdGBP à un mécanisme de garantie du crédit destiné à de nouvelles émissions de titres de la dette à court et moyen terme pour aider les banques dans leur opérations de financement sur le marché et de refinancement au fur et à mesure de l’arrivée à échéance de leurs obligations.
Le crédit bancaire étant néanmoins resté insuffisant, le gouvernement a présenté un nouveau plan de sauvetage du secteur financier en janvier. Entre autres mesures, le mécanisme de garantie du crédit sera reconduit jusqu’à la fin de l’année. De plus, un nouveau dispositif de garantie pour les titres adossés à des actifs — Asset Protection Scheme (APS) — a été annoncé.
Pour lever les incertitudes pesant sur les investissements passés, le gouvernement garantira les “actifs toxiques” contre les pertes au-delà d’une certaine limite. Ce dispositif devrait améliorer l’accès des banques aux marchés de financement de gros.
Le second plan de sauvetage du secteur financier a, par ailleurs,ouvert la voie à une politique monétaire non conventionnelle. La Banque d’Angleterre serait ainsi habilitée à racheter, à concurrence de GBP 50 milliards, les obligations d’entreprise de qualité supérieure et autres actifs similaires. Le Gouverneur King s’est félicité de cette décision, la Banque centrale ayant quasiment épuisé tous les moyens conventionnels à sa disposition ; le 5 février, le Comité de politique monétaire a de nouveau abaissé le taux directeur de 50 pb à 1% (EcoFlash 09-053).
Plan de sauvetage des entreprises
En janvier, Lord Mandelson a annoncé un train de mesures en faveur des petites et moyennes entreprises. Le Mécanisme de fonds de roulement a pour objet de faciliter l’obtention de lignes de crédit destinées au financement du fonds de roulement d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires égal ou inférieur à GBP 500 millions par an. Le gouvernement accordera aux banques des garanties couvrant 50% du risque lié aux nouveaux portefeuilles de fonds de roulement et pour un montant pouvant aller jusqu’à GBP 20 milliards.
Les pouvoirs publics ont par ailleurs mis en place un système de Garantie du financement des entreprises afin d’aider les petites sociétés solvables réalisant un chiffre d’affaires annuel de GBP 25 milliards. Ils ont ainsi débloqué GBP 1 milliard de garanties pour soutenir, à hauteur de GBP 1,3 milliard, les prêts d’un montant maximum de GBP 1 million accordés par les banques sur une période de 10 ans au plus.
Pour aider les sociétés très endettées à lever davantage de capitaux à long terme, le gouvernement a, en outre, créé le Fonds de ressources en capital pour les entreprises, doté de GBP 75 millions.
L’industrie automobile britannique va elle aussi bénéficier d’un ensemble de mesures visant à promouvoir le crédit d’un montant total de GBP 2,3 milliards. Le gouvernement accordera des garanties pour soutenir les prêts aux entreprises consentis par la Banque européenne d’investissement (BEI), à concurrence de GBP 1,3 milliard, auxquels s’ajouteront GBP 1 milliard de projets non financés par la BEI. Ces deux garanties concernent spécifiquement les prêts en faveur des initiatives visant à réduire les émissions de carbone. Des fonds supplémentaires seront par ailleurs débloqués pour assurer la formation du personnel dans le cadre du dispositif “Train to Gain”. Enfin, un mécanisme, qui reste encore à définir, fournira des garanties aux entreprises de financement qui consentent des prêts pour l’achat d’automobiles.
La stratégie mise en œuvre va-t-elle fonctionner ?
Les autorités britanniques ont réagi à la crise financière en adoptant un ensemble complet de mesures visant à (1) améliorer le fonctionnement des marchés financiers et (2) à soutenir la demande. Le gouvernement est accusé par certains d’excès de zèle. Toutefois, à ce stade, le plus dangereux serait plutôt l’excès inverse : ne pas en faire assez.
La stratégie actuelle présente néanmoins deux points faibles. Tout d’abord, le coût du plan de sauvetage pour le Trésor n’a pas été chiffre avec précision. Or, les finances publiques sont déjà en très mauvaise situation. Le déficit public devrait se creuser pour atteindre près de 10% en 2009 et en 2010, sous l’effet de la récession et des coûts directs des mesures de relance. Résultat, la dette publique pourrait augmenter pour s’élever à environ 70% du PIB en 2010, contre 44% en 2007. Un chiffre qui serait comparable au ratio dette/PIB en Allemagne et à peine meilleur que ce qui est attendu en France.
Cependant, outre l’importance de ces chiffres relatifs à la dette et au déficit, c’est aussi la rapidité avec laquelle les finances publiques se détériorent qui inquiète, d’autant plus que tous les coûts potentiels ne sont pas inclus dans les chiffres. Ces mesures consistent en grande partie en des garanties (en particulier l’APS, voir plus haut), qui permettront aux banques de se décharger de leurs prêts « toxiques » sur l’Etat. Le Trésor préfère probablement ces dispositifs, qui, dans un premier temps, n’entraînent pas d’emprunt supplémentaire, à des achats directs. Cependant, les pertes potentielles au titre de ces prêts sont difficiles à estimer de sorte que le coût pour le Trésor pourrait nettement dépasser les prévisions actuelles. En retenant les hypothèses pessimistes relatives aux pertes sur ces actifs, la dette du secteur public pourrait connaître une augmentation supplémentaire de près de 10% du PIB.
De plus, le Chancelier n’a pas présenté de plan crédible pour redresser la barre. La situation est également délicate pour lui dans la mesure où il pourrait ne pas être reconduit après les élections générales qui auront lieu avant juin 2010.
Le plan de relance mis en place par les pouvoirs publics n’est pas sans conséquences sur les marchés financiers. Anticipant un fort accroissement des émissions d’obligations d’Etat, le rendement du Gilt à 10 ans est remonté malgré la détente des taux courts. De plus, l’écart de rendement par rapport au bund allemand de même maturité atteint désormais 80 points de base, contre 20 points de base au début de 2009.
Le deuxième point à souligner est l’impact du plan de relance sur l’économie réelle. La crise est en partie due à la volonté des ménages présentant une dette très élevée de l’alléger. Pour le moment, la stratégie du gouvernement a été de soutenir la demande, par exemple en abaissant le taux de la TVA et en réduisant le coût de l’emprunt. Cependant, il ne sera ni facile ni souhaitable, pour le gouvernement de persuader les ménages d’accroître leur niveau d’emprunt.
La stratégie des autorités britanniques pèche par une coordination insuffisante des efforts au plan mondial. L’un des moyens possibles de sortir de la crise serait de convaincre les pays présentant d’importants excédents d’accroître leurs dépenses. Lorsque les échanges mondiaux se redresseront, le secteur manufacturier britannique sera bien placé pour en profiter compte tenu de la dépréciation de la livre. Or, pour l’heure, les pays excédentaires ne semblent pas disposés à changer de politique. Ils attribuent les déséquilibres du commerce international aux importantes dépenses de leurs clients dans les pays déficitaires dont, pourtant, ils dépendent en grande partie. En l’absence d’action coordonnée, certains pays s’emploient à promouvoir les achats auprès de leurs propres industries en excluant la concurrence étrangère. Ces réflexes protectionnistes, que l’on observe également en Grande-Bretagne, font peser une lourde hypothèque sur la reprise mondiale.