Serbie : des dynamiques économiques et politiques contraintes par le contexte de guerre

par Ada Zan, Economiste chez Crédit Agricole

L’économie serbe montre un certain degré de résilience dans un contexte mondial plus complexe. La hausse des prix est un des facteurs du ralentissement de la croissance du PIB, mais celle-ci devrait néanmoins rester autour de 4% en 2022 après une reprise post-Covid d’environ 7%. Les relations commerciales se font principalement avec les pays membres de l’UE, ce qui devrait faire baisser quelque peu la demande des exportations dans un cadre de ralentissement global de l’UE. Un des atouts majeurs de l’économie serbe ces dernières années reste sa capacité à attirer des investis¬sements étrangers notamment européens, chinois et russes dans le secteur de l’énergie. Cette configuration la place également dans une position assez délicate dans un contexte de guerre au cœur de l’Europe. Jusqu’à présent le pays tirait profit de l’ensemble des puissances économiques et politiques mondiales mais dans les moments de confrontations et d’un renouveau des alliances, Belgrade pourrait être mise face à un positionnement plus claire, ce qui ne pourra pas se faire sans un certain coût économique et politique pour le pays et les dirigeants. Les prochains mois pourraient être assez complexes pour la Serbie.  

Après la reprise de 2021 (+7,5%), un certain ralentissement de la croissance du PIB devrait s’enregistrer en 2022 autour de 4%, grâce en partie à l’activité industrielle qui se maintient relativement bien avec une progression de quasiment 10% en avril par rapport à la même période de l’année précédente.

La hausse de l’inflation des prix de l’énergie a immédiatement induit la hausse globale des prix qui a atteint 9,6% en avril 2022. Dans ce contexte inflationniste, qui par ailleurs touche toutes les économies, on assiste à un creusement du solde courant serbe en raison de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie notamment. La Russie représente 30% des importations énergétiques de la Serbie et la coopération entre les deux pays se poursuit malgré le contexte de sanctions de l’UE vis-à-vis de la Russie.

En revanche, les principaux pays partenaires pour les exportations serbes sont des membres de l’UE et, par conséquent, le ralentissement de la croissance des membres de l’UE impactera négativement les exportations. Le solde courant devrait donc continuer à se creuser en 2022 autour de 6% du PIB. Le niveau des réserves de change est quant à lui plutôt confortable avec environ 4,7 mois d’importations, ce qui permet une certaine stabilité de la devise.

Les finances publiques, qui avaient déjà été fortement sollicitées par la crise de la Covid-19 continuent à être un moteur de croissance malgré le creusement des déficits autour de 5% en 2022. Malgré la hausse de la dette publique en 2020, celle-ci reste à un niveau stable (mais néanmoins élevé pour un pays émergent) autour de 57% du PIB.

Le niveau des investissements directs étrangers (IDE) progresse depuis plusieurs années et représente environ 6,3% du PIB. La coopération avec la Chine est une des nouvelles sources d’IDE mais l’UE reste le principal contributeur des investissements étrangers en Serbie.

Notre opinion : Le Parti nationaliste Serbian Progresive Party du président Vucic reste la force politique majeur du panorama politique serbe. Les élections législatives et présidentielles d’avril 2022 l’ont confirmé dans un cadre d’affaiblissement des partis de l’opposition et d’une concentration des pouvoirs et de l’autorité autour du président.

Les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale ne montrent pas d’amélioration de la gouvernance dans ce pays, mais au contraire une régulière détérioration est constatée notamment sur la perception de la corruption, l’État de droit et les libertés d’expression (moyenne de 56 en 2015 vs 50 en 2019)

L’UE devrait continuer à mettre la pression sur une solution de reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, ce qui continuera à alimenter les tensions entre Belgrade et Priština, sans pour autant aboutir à une résolution rapide du conflit.

Plus globalement, la position serbe devient de plus en plus compliquée à soutenir en raison du contexte de guerre en Ukraine. D’un côté, la Serbie et la Russie ont des relations culturelles et diplomatiques très proches avec une coopération militaire très rapprochée. De l’autre côté, sa nouvelle coopération lucrative avec la Chine s’intensifie depuis plusieurs années au point où la Serbie devrait devenir un des principaux maillons des infrastructures de la route de la soie dans les Balkans en tant que porte d’entrée vers l’UE. En parallèle de tout cela, son processus d’adhésion à l’UE progresse, certes très lentement mais Belgrade est officiellement candidate et maintient son cap sans pour autant se plier à la politique commune des sanctions et sans prendre une position claire vis-à-vis de la guerre en Ukraine. Il est clair que le pays veut préserver toutes ses sources de revenus mais il se peut que les pressions européennes le poussent de plus en plus à un retranchement. Il faut rappeler par ailleurs que l’opinion publique est de moins en moins favorable à une adhésion à l’UE et plutôt sympathisante de V. Poutine. Les prochains mois devraient être de plus en plus délicats et tout durcissement de la position de l’UE vis-à-vis de la Russie devrait rendre encore plus vulnérable la Serbie qui a le cœur tourné vers l’est et le portefeuille vers l’ouest.