par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Pour la première fois depuis presque 2 ans, les grands indices actions viennent de reculer de plus de 10 % en quelques semaines. Les sujets de préoccupation ne manquent pas et il y a même des relents de 1987 (« Twin deficits américains », risque de hausse des taux) et de 2000 (bulle technologique). Simple consolidation normale après une année 2017 atypique et particulièrement peu volatile ? Ou est-ce le début d’un marché plus durablement baissier, pratiquement 9 ans jour pour jour après le point bas des marchés qui a suivi la crise de 2008/2009 ?
Le début d’année 2018 est particulièrement volatil. Après un mois de janvier étonnamment positif (jusqu’à + 7,5 % sur l’indice S&P 500), les marchés sont entrés dans une phase de consolidation assez vive. Début février, un « flash krach » lié à une rapide remontée des taux obligataires de l’ordre de 40 points de base de part et d’autre de l’Atlantique, et exacerbée par des facteurs techniques (hausse de l’indice de la volatilité qui a entraîné des ventes « forcées »), suivie d’une phase de rebond et à nouveau des replis marqués… Comment analyser cette situation ? Il y a actuellement plusieurs grilles de lecture des marchés : un aspect fondamental structurel (la croissance, et le niveau des taux d’intérêt) et une actualité riche et anxiogène : guerre commerciale ? Fin des politiques monétaires très accommodantes ? Baisse du dollar avec le retour des « Twin deficits américains », correction des GAFA(1), géopolitique…
Plusieurs logiques se télescopent donc : une logique fondamentale, plutôt positive…
Sur le plan fondamental en effet, l’activité économique reste satisfaisante, bien que l’on ne soit plus en phase d’accélération et que ce scénario soit désormais très consensuel. Mais c’est un fait. Les perspectives 2018 ont été revues à la hausse en début d’année par le FMI et l’OCDE, avec une croissance mondiale attendue à 3,9 % cette année et en 2019. Si l’activité manufacturière mondiale consolide quelque peu, les vecteurs de la demande restent globalement assez puissants : consommation plutôt bien orientée, en dépit d’un léger tassement peut-être lié à la hausse des prix, et perspectives encourageantes concernant l’investissement des entreprises, avec une bonne diffusion géographique. Aux États-Unis, la croissance a été révisée à la hausse et atteindra 2,7 % cette année selon le consensus. La zone Euro « tourne » actuellement à 2,5 %, ce qui est conforme à son potentiel, voire légèrement au-dessus.
La Chine suscite toujours le doute compte tenu de la « bulle crédit » et immobilière potentielle, mais le taux de croissance instantané reste satisfaisant à plus de 6,5 % et conforme aux objectifs du gouvernement. Dans le reste des pays émergents, il n’y a pas de sujet particulier actuellement et l’activité se maintient conformément aux anticipations.
Bref, la conjoncture est plutôt bonne, même si la « dérivée seconde » ralentit ! Cette conjoncture positive se répercute naturellement dans les comptes des entreprises. Les perspectives bénéficiaires ont été nettement revues à la hausse aux États-Unis après la réforme fiscale.
La question à ce stade du cycle, et particulièrement pour ce qui concerne les États-Unis, c’est l’inflation : est-elle en phase, enfin, de remontée ? Il y a eu quelques statistiques un peu inquiétantes pour les marchés à ce sujet, notamment en ce qui concerne la progression des salaires. Les craintes se sont calmées. L’inflation sous-jacente structurelle remonte certes, mais lentement et les indices se restent modérés.
… et des logiques de court terme, plus préoccupantes : guerre commerciale/guerre des changes, « Twins déficits américains », risques géopolitiques, recul des GAFA, fin des politiques monétaires ultra accommodantes.
Difficile de donner une appréciation claire à ce stade sur tous ces sujets. Concernant le risque d’une guerre commerciale dure, nous avons plutôt le sentiment que nous sommes dans des postures qui doivent conduire à des négociations intelligentes plutôt que sur des impacts très importants : le programme de taxation à hauteur de 60 milliards de dollars les importations chinoises aux États-Unis est encore très imprécis. De même, la réponse chinoise paraît très modérée pour l’instant.
Sur le fond, la position de Donald Trump n’apparaît pas complètement infondée. La Chine a bénéficié depuis son entrée dans l’OMC(2) en 2001 de l’ouverture assez large des marchés occidentaux alors que les conditions d’accès à la Chine sont plus compliquées, sans parler de secteurs importants de l’économie qui sont subventionnés. Il est peut-être temps de remettre ces sujets sur la table, d’autant plus que la thématique des « Twins déficits américains » redevient d’actualité. Le plan de réduction des impôts décidé par Donald Trump, de même que le programme d’investissement en infrastructures prévu, vont aggraver le déficit budgétaire alors que le déficit commercial reste très important. Ces éléments risquent de peser sur le dollar à moyen terme. Une baisse significative supplémentaire de la monnaie américaine serait problématique pour la zone Euro et les résultats des entreprises de cette zone. Le niveau de 1,25 USD est techniquement très important. Nous avons le sentiment qu’il sera difficile à franchir à court terme car le marché est actuellement plutôt vendeur de dollar. Mais c’est à suivre, la stabilité des parités de change est un facteur important pour les marchés.
Enfin, nous entrons effectivement dans un nouveau cycle monétaire avec la fin de politiques ultra accommodantes. Les premiers pas de Jerome Powell étaient très attendus. Les marchés étaient un peu sceptiques sur sa nomination : ce n’est pas un économiste de formation et sa nomination a coïncidé avec le « flash krach » de début février, symbole délicat… Il a plutôt réussi sa prestation à notre avis : il a été transparent sur sa vision de l’économie, qu’il juge solide avec une croissance de 2,7 % en 2018 et de 2,4 % en 2019 et avec un taux de chômage qu’il anticipe à 3,6 %.
Concernant l’inflation, la Fed ne prévoit pas de surchauffe et s’attend à un taux de 2 % en moyenne pour les trois prochaines années. Il a égale- ment donné un cheminement clair de la politique monétaire : la Fed continue sa phase de normalisation monétaire au regard d’une économie devenue robuste. La hausse des taux correspond moins à un besoin de lutter contre l’inflation qu’à celui de les mettre au niveau de l’état actuel de l’activité économique en parallèle avec la réduction de son bilan. La Fed devrait continuer cette normalisation dans les trimestres à venir et la surprise pourrait être plutôt celle d’une 4e hausse des Fed Funds cette année. Le cheminement de relèvement des taux est donc bien balisé avec 3 hausses cette année et 3 l’année prochaine de 25 points de base chacune pour atteindre un taux neutre sur le long terme (probablement courant 2020) qu’elle estime à 2,875 %, en légère hausse par rapport aux anticipations précédentes. Du côté de la BCE, il n’y aura pas de modification de la politique actuelle à court terme, notamment sur le niveau des taux d’intérêt. Le sujet qui va animer les marchés concernera la succession de Mario Draghi. Son mandat prend fin en novembre 2019 mais les débats sur le futur Président de la BCE commenceront dès la fin de cette année.
Taux d’intérêt : Ne pas confondre sortie de déflation et retour de l’inflation…
Il y a peu de potentiel de performance sur les marchés obligataires dans leur ensemble. Nous sommes probablement dans un contexte global propice à une remontée des taux d’intérêt. Mais ils montent pour de bonnes raisons : économie et normalisation des politiques monétaires. La question de l’inflation se pose à ce stade et est redevenue d’actualité ces dernières semaines. Nous pensons que l’inflation sous-jacente va aussi se normaliser et remonter de quelques points de base pour se stabiliser à terme autour des objectifs des Banques Centrales, soit 2 % de part et d’autre de l’Atlantique.
Dans ces conditions, nous pensons que nous sommes davantage dans une phase de normalisation du niveau des taux d’intérêt que proches d’un risque de krach obligataire. Nous anticipons des niveaux autour de 1 % sur le Bund allemand vers la fin de l’année et autour de 3 % sur le T-Notes 10 ans US. Les spreads de crédit(3) se sont légèrement écartés ces dernières semaines, mais ils restent encore assez tendus sur le segment « Investment Grade » et offrent peu de potentiel de réduction supplémentaire. Sur les obligations gouverne- mentales de la zone Euro, les événements politiques en Espagne et en Italie n’ont eu que peu d’impact. Il n’y a pas de scénario d’éclatement de l’Europe actuellement dans les marchés et c’est logique. En effet, il n’y a plus de partis politiques suggérant une sortie de la zone Euro. Les obligations « périphériques » restent donc intéressantes pour le surplus de rendement, même s’il y a peu de potentiel de réduction des spreads à ce stade. Le « High Yield » redevient un peu plus intéressant après les tensions récentes et nous pouvons aujourd’hui construire un portefeuille à cinq ans avec un « yield to worst » autour 4,5 %. Une tension supplémentaire constituerait des points d’entrée selon nous. Attention, encore une fois, à la liquidité sur cette classe d’actifs. Il faut y souscrire à notre avis dans une optique de « buy and hold » car il peut y avoir des problèmes de liquidité ponctuellement s’il y a des sorties massives sur les fonds à valeur liquidative quotidienne ou sur les ETF qui répliquent les indices.
Les obligations indexées inflation restent en relatif intéressantes. Les « Breakevens Inflation(4) » ont peu varié ces dernières semaines, ce qui montre que les investisseurs ne croient pas au fond à un scénario très inflationniste (cf. graphique). Elles permettent toutefois de couvrir ce scénario avec peu de risque, en couvrant le risque de taux.
Les obligations émergentes ne sont pas vraiment touchées par l’agitation des marchés, surtout sur la dette locale que nous privilégions depuis quelques mois. Les rendements (autour de 7,5 %) sur les titres gouvernementaux sont attractifs en absolu et en relatif. Les devises ont bien remonté depuis la crise des pays émergents des années 2015/16, mais elles ne paraissent pas surévaluées dans l’ensemble.
Les obligations convertibles montrent leur caractère résilient dans le contexte actuel et restent à notre avis un actif asymétrique intéressant dans un portefeuille global.
Actions : La puissance des bénéfices et du dividende devrait l’emporter
Avec la correction récente et le mouvement de révision à la hausse des bénéfices des entreprises qui s’opère depuis quelques semaines, la valorisation des actions américaines a baissé : les attentes sur les bénéfices ont été ajustées à la hausse compte tenu de l’amélioration économique attendue. Les dernières estimations « tablent » dans l’ensemble sur 155 dollars par indice de bénéfice en 2018, soit une progression de plus de 15 % des bénéfices cette année. Les estimations 2019, même si c’est encore un peu tôt, s’établissent à un peu plus de 172 dollars, soit une progression supplémentaire de l’ordre de 10 %. Ceci donne au final un PER(5) 2018 de l’ordre de 17 et de 15,5 pour 2019. Ce n’est certes « pas donné » au regard des normes historiques, et le marché est aussi cher en termes de prix/valeur d’actif, mais nous ne sommes pas en situation de bulle manifeste. Nous pensons que les actions américaines vont se stabiliser cette année, les bénéfices seront « absorbés » par la baisse des valorisations. Mais, le marché pourrait également être touché par une consolidation des valeurs « GAFA », ce qui ne serait pas illogique après plusieurs années de surperformance.
En Europe, une progression de 10 % des bénéfices est attendue cette année et l’année prochaine, ce qui donne des PER très raisonnables autour de 14 et de 13, avec un rendement des dividendes de l’ensemble du marché qui reste élevé à plus de 3 %. à moins d’un retournement de cycle majeur, que l’on ne voit pas actuellement, l’attrait des actions européennes devrait tôt ou tard susciter à nouveau de l’intérêt. Nous maintenons notre objectif de progression sur l’année de 7% à 10%, ce qui donne un potentiel supérieur désormais aux cours actuels. Nous favorisons toujours les styles plus cycliques et les financières.
Nous aimons également les actions émergentes qui bénéficient également d’une dynamique positive sur les résultats des entreprises et qui ne sont pas trop chères dans l’ensemble. Les actions chinoises cotées localement ont notre préférence. Plus généralement, nous pensons que nous sommes dans une phase de marché qui sera propice à la sélection des titres, y compris dans le segment des petites et moyennes capitalisations.
Scénario central
La phase de consolidation peut très bien se poursuivre lors des prochaines semaines, les sujets de stress ne manquent pas comme on l’a vu.
Il peut ainsi y avoir quelques séances très « violentes » en liaison avec la baisse potentielle des valeurs « GAFA » dont certaines peuvent très bien perdre de 30 à 40% vu qu’il est très difficile de les valoriser.
Mais nous avons rarement vu dans l’histoire financière un grand « Bear Market » sans récession, détérioration des résultats des entreprises et/ou remontée sensible des taux d’intérêt…
Au final, nous pensons donc que nous sommes plutôt dans un scénario de consolidation, qui peut « secouer », mais qui offrira des opportunités !
NOTES
- Google, Amazon, Facebook, Apple
- Organisation Mondiale du Commerce
- Spreads de crédit représentant le différentiel de rendement d’une obligation d’entreprise privée avec celui d’une obligation souveraine.
- Le « Breakeven Inflation » représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente indexée sur l’inflation (taux réel).
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.