par Frédérique Cerisier et Jean-Luc Proutat, économistes de BNP Paribas
- Le sommet européen de Bruxelles des 8 et 9 décembre débouche sur un large accord intergouvernemental visant à renforcer la zone euro.
- Les 17 pays de la zone euro en seront signataires. A l'exception du Royaume-Uni, les autres pays de l’UE envisagent de s'y associer.
- Le renforcement de la discipline budgétaire, la mise en route accélérée du Mécanisme européen de Stabilité, le renforcement du rôle de la Commission européenne sont actés.
L’Union économique et monétaire (UEM) fait face à un choix qu’elle ne pourra plus reporter très longtemps : franchir un pas vers le fédéralisme ou rompre.
La première voie est politiquement escarpée. Le maintien de la monnaie unique exigera des transferts, des pays riches et créanciers du Nord vers ceux, moins riches et débiteurs, du Sud, un partage de souveraineté en matière budgétaire, une convergence des niveaux compétitivité impliquant pour ceux qui ont dérivé des ajustements longs et difficiles.
La seconde voie est économiquement et socialement suicidaire, le chacun pour soi garantissant la dépression pour tous. A l'issue d'une phase de reconstitution des monnaies nationales qui serait immanquablement assortie d'un contrôle des capitaux, certains pays comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce ou l'Irlande dévalueraient. Rendue insupportable, leur dette extérieure constituée en euros serait pour tout ou partie répudiée. Ceux qui l’ont souscrite, comme l'Allemagne, la France, ou le Benelux, non seulement couperaient les ponts mais subiraient eux-mêmes de lourdes pertes. Ils seraient ainsi contaminés. Le tarissement des flux financiers et commerciaux qui en résulterait dépasserait largement le cadre de l’UEM, compte tenu du poids de celle-ci dans l'économie mondiale (30% du PIB des pays avancés).
Notre conviction est que, conscientes des enjeux, les autorités politiques et monétaires feront taire leurs divergences et agiront de concert afin d’éviter le pire. Elle est étayée par une succession récente et manifestement orchestrée de prises de position, en vue du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des 8 et 9 décembre à Bruxelles. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont détaillé, en début de semaine, la « feuille de route » soumise aux Vingt-Sept lors du sommet. La démarche, qui consiste à obtenir un compromis franco-allemand avant d’y associer tous les membres de l’UE, a probablement fait grincer quelques dents, notamment celles de M. Van Rompuy, qui avait préparé ses propres propositions. Elle a eu le mérite de jeter les bases d’une discussion dans laquelle deux pays représentant la moitié de l’économie de la zone euro poussaient dans le même sens. L’accord global est finalement intervenu rapidement, dans la nuit du 8 au 9 décembre. En voici les principales conclusions.
Renforcement de la discipline budgétaire
-) « Règle d’or ». Les Etats de la zone euro devraient s’engager à introduire dans leur législation nationale une « règle d’équilibre budgétaire » harmonisée. L'objectif pourrait être pour chaque Etat de ramener son déficit structurel en deçà de 0,5% du PIB. La Commission sera chargée d'établir les principes communs que devront présenter ces règles nationales et d'établir un calendrier. En effet, la loi votée outre-Rhin, très proche de celle envisagée ici, a donné sept ans au gouvernement fédéral allemand et dix ans aux Länder pour équilibrer leurs finances1. Quels seront les délais envisagés ici ? Des règles fortement intégrées auraient l'avantage de rendre beaucoup plus lisibles les trajectoires budgétaires des pays et de l'ensemble de la zone, dans les années à venir. Mais le succès de la démarche repose aussi sur son "appropriation", dans la lettre comme dans l'esprit, par les parlements nationaux et les opinions publiques.
-)Sanctions. Défendue par l'Allemagne, l'idée de pouvoir faire condamner par la Cour de Justice européenne (CJE) un Etat qui dévierait des règles d’équilibre budgétaire a été rejetée. La CJE aura, en revanche, la possibilité, à la demande de la Commission ou d’un Etat membre, de vérifier la bonne transposition dans le cadre légal national des termes de la « règle d’or ». La France et l’Allemagne on convenu, par ailleurs, de rendre quasi automatique l’application des sanctions recommandées par la Commission en cas de déficit excessif (supérieur à 3% du PIB). Alors que l’engagement d’une procédure disciplinaire nécessite, aujourd’hui, l’approbation du Conseil européen, elle ne pourra être évitée, demain, que si ce dernier réunit contre elle une majorité qualifiée (cf. encadré page suivante). Ce principe dit « de majorité inversée » a bien pour conséquence de renforcer le rôle de la Commission européenne, puisque c'est à elle que revient la charge d'évaluer la situation des Etats membres et de proposer au Conseil l'entrée d'un pays en procédure de déficit excessif.
Ce volet "disciplinaire" de l'accord est complété par des avancées en matière de solidarité. La possibilité d'émettre des euro-obligations a été formellement rejetée par la France et l’Allemagne, cette dernière ne semblant pas prête d’opter pour un tel schéma, très intégrateur. En revanche, les mécanismes de soutien actuels sont renforcés sur plusieurs points.
Devenir du FESF et du MES
-)MES : entrée en vigueur anticipée à mi-2012, soit avec un an d’avance sur le calendrier initial. le Mécanisme européen de Stabilité (MES) succédera au Fonds européen de Stabilité financière (FESF). Rappelons que le MES disposera d'un statut juridique très différent destiné à lui conférer une crédibilité élevée aux yeux des marchés. Alors que le FESF est une structure temporaire de droit privé détenue par les Etats, le MES sera permanent et s'apparentera à une organisation intergouvernementale relevant du droit public international, au même titre que le FMI. Les mécanismes de décision et de fonctionnement devraient s’en trouver améliorés. Sur ce point, l’accord obtenu au sommet européen des 8 et 9, propose deux changements majeurs :
- La majorité renforcée. Alors que les prêts du FESF nécessitent l’accord de tous les Etats qui y participent, les décisions du MES pourraient être prises à une majorité renforcée (85%, comme au FMI), si la BCE et la Commission font valoir qu'une décision urgente est nécessaire pour préserver la stabilité économique et financière de la zone euro. Les décisions les plus importantes, notamment celles prises en matière de financement, pourraient donc être emportées par un « groupe des Six » constitué de l’Allemagne, de la France, de l’Italie, de l’Espagne, des Pays-Bas et de la Belgique. L'accord de la Finlande sur ce point devra être validé par un vote parlementaire.
- Pas de participation a posteriori du secteur privé (ou PSI, pour public sector involvement). L’expérimentation du PSI sur la Grèce a eu des conséquences néfastes pour la zone euro dans son ensemble, assez proches de celles qui avaient suivi la faillite de Lehman Brothers : ventes d’actifs (en l’occurrence de titres de dette des Etats du Sud de l’Europe), assèchement des flux de financements internationaux, hausse des primes de risque, grippage du marché monétaire, etc. Pour ne pas reproduire ce schéma, l’accord indique explicitement que la Grèce restera l’exception.
Pour autant, les clauses d’action collectives voulues par l’Allemagne ne sont pas abandonnées. Elles devront être introduites sur une base harmonisée dans les législations nationales, ce qui dans le pire des cas ouvre la possibilité pour chaque Etat de restructurer sa dette, mais dans des termes précis et connus à l’avance des créanciers privés.
La capacité de prêt du MES, pour l'instant fixée à 500 milliards d’euros, pourrait être réévaluée en mars 2012. Un certain nombre de propositions visant à l’augmenter – dont une émanant du président Van Rompuy, proposant de doter le MES du statut d’institution de crédit – sont actuellement sur la table.
Les ressources du FMI renforcées ? En attendant, il est de plus en plus question que le FESF renforcé octroie, conjointement avec le FMI, des lignes de crédit de "précaution" aux Etats éprouvant des difficultés de financement sur les marchés. L'ouverture conjointe de telles lignes respecterait la règle des deux tiers (européen) un tiers (FMI) et reviendrait à mettre a disposition de l'Etat concerné jusqu'à 10% de son PIB (pour le FESF) et de 5 à 10 fois le montant de ses quotas (pour le FMI). Pour l’Italie, à laquelle on songe principalement, cela pourrait représenter une somme allant jusqu’à 240 milliards d’euros. Un montant qui permettrait d'envisager plus sereinement les prochaines échéances mais qui nécessite une augmentation de la capacité de prêt du FMI. Les Etats membres envisagent donc de renforcer ces ressources, au moyen de prêts bilatéraux, à hauteur de 200 milliards d'euros. Une décision sera prise dans les dix prochains jours.
Approbation de la BCE : de la parole aux actes ?
S’exprimant le 3 décembre devant le Parlement européen, le président de la BCE, M. Draghi, a indiqué qu’un renforcement des règles communautaires en matière de discipline budgétaire ouvrirait la voie à des interventions monétaires plus «agressives». Les marchés, euphoriques jusqu’en milieu de semaine, y ont vu le signe d’un ralliement prochain à la politique du quantitative easing (un rachat des dettes souveraines par la Banque centrale), un sport très répandu outre-Atlantique et outre- Manche mais auquel la BCE s’est jusqu’ici peu adonnée. Son Programme pour les marchés de titres totalise à ce jour 207 milliards d’euros d’achats d’obligations d’Etat, soit 2,2% du PIB de la zone euro. C’est effectivement très peu en regard des montants engagés par la Réserve fédérale des Etats-Unis (11,1% du PIB), la Banque d’Angleterre (15,2% du PIB) ou celle du Japon (19,2% du PIB). Lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du Conseil des gouverneurs du jeudi 8 décembre (voir notre semaine en zone euro), M. Draghi a encore montré sa réticence à racheter massivement la dette des Etats ; il s’est néanmoins félicité des avancées obtenues lors du sommet de Bruxelles. Un changement d’échelle peut donc toujours intervenir.
NOTES
1 Votée mi-2009, la loi donne jusqu'en 2016 au gouvernement fédéral pour ramener son déficit structurel à 0,35% du PIB et jusqu'en 2020 aux Länder pour revenir à l'équilibre.
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