BCE : liquidité à flot pour les banques, au compte-gouttes pour les Etats

par Isabelle Job et Frederik Ducrozet, économistes au Crédit Agricole

Baisse de taux, liquidité à profusion pour les banques, la BCE fait tout pour éviter un resserrement trop brutal du crédit. En revanche, le robinet de la liquidité continue de couler au compte-gouttes pour les Etats.

La BCE a annoncé sans surprise une nouvelle baisse de 25 pdb de son taux directeur, un geste qui constitue une véritable marche arrière après les deux tours de vis concédés entre avril et juillet de cette année. L’institut francfortois est par ailleurs prêt à aller un cran plus loin, le plancher des 1% ne paraissant plus insurmontable en raison de la dégradation aussi rapide que brutale de la conjoncture sur fond d’aggravation de la crise des dettes souveraines.

Selon nous, le taux Refi devrait être ramené à 0,5% d’ici mars 2012. Le nouveau jeu de prévisions du staff de la BCE atteste de cette inflexion de tendance avec une croissance en moyenne prévue désormais à 0,3% en 2012, soit 1pp de moins qu’il y a trois mois, suivie d’un régime de reprise molle avec une progression du PIB de 1,3% en 2013. Côté inflation, si la prévision pour 2012 est marginalement revue à la hausse à 2%, notamment en raison des fluctuations du prix des matières premières et de la hausse prévisible des taxes indirectes (rigueur oblige !), l’inflation devrait refluer sous sa cible en 2013 (+1,5% en moyenne). L’inflation n’est clairement plus un souci mais selon Mario Draghi, le risque de son contraire, la déflation, est pour le moment écarté. N’en déplaise à ce dernier, cette menace nous paraît plus tangible. Les débouclages financiers à l’œuvre, avec une purge conjointe des bilans privés et publics, est de nature déflationniste sans compter les baisses nominales de salaires et de prix (dévaluation interne) imposées au Sud. Il faudrait effectivement plus d’inflation au Centre, en Allemagne en particulier, pour rééquilibrer l’ensemble et juguler ce risque mais nous doutons que ce soit un message sibyllin envoyé par le nouveau patron de la BCE.

Sur le front de liquidité, c’est sans limite et sans condition, toute rupture de la chaîne de financement des économies avec le déploiement de tout l’arsenal possible pour éviter face à des conditions de marchés difficiles. En abreuvant coûte que coûte les banques en liquidité quasi-gratuite, la BCE joue son rôle de prêteur en dernier ressort pour suppléer l’assèchement de liquidité sur les marchés de gros (ou ce qui revient au même lorsque les banques sont exclues par le prix). C’est un impératif dicté par l’urgence à l’heure où d’importants besoins de financements se profilent à l’horizon avec des banques qui vont notamment devoir renouveler un gros stock de dettes arrivant à échéances (pas moins de 230 Mds d’euros de tombées au premier trimestre 2012).

Ainsi, deux opérations de refinancement à long terme sur des maturités de 3 ans seront conduites au tournant de l’année. Afin d’élargir l’éventail des banques participantes (notamment celles de taille moyenne qui sont de grosses pourvoyeuses de crédits en particulier aux PME), les critères d’éligibilité des collatéraux sont assouplis (notamment pour certains titres adossés à des actifs, ABS).

Parallèlement, les banques centrales nationales sont autorisées (via la facilité de prêts d’urgence, ELA) à échanger des crédits bancaires (utilisés en gage) contre de la liquidité. Enfin, le ratio de réserve obligatoire est abaissé de 2% à 1%, ce qui devrait venir gonfler le stock des réserves excédentaires, avec l’espoir que cette liquidité soit bien drainée, c'est-à-dire circule sur le marché interbancaire pour ensuite être acheminée dans la sphère réelle sous la forme de prêts aux ménages ou aux entreprises.

Ouvrir à fond les vannes de la liquidité a pour ultime objectif de faire en sorte que l’assainissement nécessaire des bilans bancaires se fasse de la manière la plus ordonnée possible, sans contrainte de liquidité, afin de limiter l’impact sur l’économie réelle au travers d’un resserrement trop violent du crédit. L’annonce récente de la Fed, concertée avec 6 autres banques dont la BCE, d’abaisser les taux swaps en dollars de 50 pdb procède également de cette logique en garantissant un approvisionnement suffisant en liquidité dollars pour les banques qui sont des acteurs globaux. D’ailleurs, l’appel d’offres a été correctement souscrit cette semaine, avec 34 banques participantes pour un montant total de 52,3 Mds USD. Certains y voient là aussi une manière d’aider les Etats sans le dire en incitant les banques à maintenir leur exposition souveraine, les titres publics pouvant être facilement escomptés auprès de la BCE. Ceci explique sans doute que les décisions annoncées jeudi n’ont pas fait l’unanimité.

 Liquidité au compte-gouttes pour les Etats

Si le robinet jaillit à flot pour les banques, il coule au compte-gouttes pour les Etats. Le programme de rachat de titres (SMP) reste actif et a pour seule vocation d’aider à une meilleure transmission de la politique monétaire, dixit le patron de la BCE. Ce dernier n’a pas aussi manqué de rappeler les limites imposées par le Traité avec une interdiction formelle de monétiser directement les déficits, ce qui exclut toute intervention sur le marché primaire. De surcroît, les interventions sur le marché secondaire doivent être impérativement stérilisées, ce qui selon notre analyse pourrait amener la BCE à émettre des certificats de dette pour éponger, au besoin, la liquidité créée. On espère qu’il s’agissait surtout là d’une posture pour continuer à mettre la pression sur les gouvernements à l’aube d’un sommet européen, jugé crucial. En effet, pour la BCE, la balle reste dans le camp des politiques qui se doivent de délivrer une réponse crédible avec un mix de politiques structurelles orientées compétitivité et croissance, de discipline budgétaire assortie d’un corset légal et des mécanismes de stabilisation (FESF puis MES qui vont être désormais gérés par la BCE) pleinement opérationnels, qui institutionnalisent en temps de crise une solidarité de fait à caractère contraignant.

L’idée est que le renforcement de la discipline budgétaire va permettre, à lui seul, de regagner de la crédibilité et de ramener la confiance dès aujourd’hui. On aimerait y croire mais en l’absence de croissance, le redressement des comptes publics s’annonce partout difficile et la sanction des marchés, via l’augmentation des primes de risque, pourrait mettre en échec ces politiques de rigueur sachant que les agences de notation risquent de mettre de l’huile sur le feu en abaissant les notes de tous les Etats-membres de la zone euro.

La BCE pourrait alors se retrouver dans une situation de non-choix, contrainte de jouer un rôle de prêteur en dernier ressort pour des Etats autrefois impécunieux mais sur la voie de la rédemption !

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