par Florence TOUYA, économiste a Crédit Agricole
L’aggravation de la crise financière et sa contagion à l’économie réelle mettent au défi les économies européennes. Leur entrée en récession ne fait plus guère de doutes et les prévisions pour l’exercice 2009 restent sombres en tablant au mieux sur une stagnation de l’activité l’année prochaine.
Face à l’urgence, les gouvernements européens ont déjà apporté une réponse globale et coordonnée pour soutenir leurs systèmes bancaires. L’enjeu se situe désormais dans la sphère réelle avec la nécessité d’amortir le creux cyclique. Des actions ont été prises à l’échelle nationale avec des mesures de soutien à l’activité combinant des politiques d’offre ou de demande, ainsi que des mesures plus ciblées par secteur.
Les instances européennes plaident ouvertement en faveur d’un renforcement des actions collectives, voire communes, entre Etats membres et ce afin d’accroître l’efficacité de tout plan de relance.
Soutenir l’activité économique : de la nécessité aux moyens
Face aux enchaînements systémiques déclenchés par la faillite de Lehman Brothers et au risque d’un rationnement plus sévère qu’anticipé du crédit, les gouvernements de la plupart des Etats occidentaux ont adopté des mesures de soutien aux systèmes bancaires.
Appréhendant simultanément les problématiques de liquidité et de solvabilité, l’objectif de ces interventions visait en priorité à ramener la confiance et à prévenir toute rupture dans le circuit de financement de l’économie. Les actions prises pour enrayer les effets adverses de la crise bancaire et financière ont fait l’objet de concertations à plusieurs niveaux (G7, Union européenne…).
Aujourd’hui, c’est la perspective d’une crise économique qui est au cœur de toutes les inquiétudes. Les dernières enquêtes de confiance indiquent une accélération du ralentissement à l’œuvre et les statistiques de croissance du troisième trimestre, à paraître cette semaine, devraient confirmer l’entrée en récession (au sens technique du terme) de la Zone euro. En réaction, les Etats membres se sont entendus sur la nécessité d’amortir le choc cyclique tout en soulignant l’importance de mener à bien les réformes structurelles engagées. Si l’intention est commune, la mise en œuvre se fait au niveau national, en fonction des problématiques et des spécificités propres, ainsi que des marges de manœuvre politiques et budgétaires dont dispose chaque pays(1).
Les instruments employés peuvent relever de politiques de l’offre et/ou de politiques de la demande. Les Etats membres choisissent dans cette palette d’actions celles qui leur paraissent adaptées à la situation conjoncturelle actuelle et/ou aux objectifs d’évolution de leur système économique, en termes de spécialisations productives, de contrat social et, plus largement, de modèle de croissance.
Les politiques d’offre cherchent à élever le potentiel de croissance de l’économie et s’inscrivent donc dans une démarche de moyen – long terme. Cela passe en général par des réformes structurelles (Cf. la stratégie de Lisbonne) qui visent essentiellement à accroître la productivité. A cet effet, le soutien se porte notamment sur l’investissement en innovation et en nouvelles technologies, sur les infrastructures, sur la formation, l’éducation et la recherche et développement, sur l’intérêt d’une plus grande flexibilité des marchés du travail et des biens et services pour élever le degré de compétitivité de l’économie. Le coût de ces mesures peut être lissé dans le temps, ce qui représente un réel avantage pour les pays disposant de marges de manœuvre budgétaire réduites.
Les politiques de demande se veulent contracycliques, au-delà du simple jeu des stabilisateurs automatiques(2). Leur rôle consiste à atténuer le creux conjoncturel et à mettre en place les conditions d’une reprise. Les politiques directes d’emploi, d’allègements fiscaux, d’intervention sur la demande au travers d’aides à la consommation ou de soutien au revenu s’inscrivent dans cette logique. Les pays y ont recours selon des degrés variables en fonction des marges de manœuvre qu’ils peuvent utiliser. Par exemple, l’Espagne, qui est entrée dans la crise avec des finances publiques assainies et dont la croissance est significativement mise à mal par la récession immobilière, a fortement recours à ce levier.
Un cadre coordonné pour des mesures nationales
En octobre, la Commission européenne a proposé un certain nombre de lignes directrices pour la mise en œuvre de mesures destinées à soutenir l’activité économique en Europe, actant en particulier l’extension de l’octroi par la Banque Européenne d’Investissement de prêts aux PME (30 Mds €, par l’intermédiaire des banques commerciales). Par ailleurs, l’importance de définir un cadre d’action commun a été mise en exergue lors de la réunion de l’Eurogroupe à Bruxelles le 3 novembre dernier et la nécessité de poursuivre les réformes relevant de la stratégie de Lisbonne a été rappelée.
Pourtant, face à des chocs communs qui mettent en danger la croissance de la zone euro, des réticences à la définition et à l’application d’une action jointe sont apparues, révélant les difficultés d’une coopération poussée entre des Etats hétérogènes et de plus en plus nombreux. Dans le cadre des mesures de soutien à l’activité, l’inspiration se veut commune mais le mode opératoire reste à la discrétion de chaque Etat. Il ne s’agit pas d’élaborer un plan de relance global mais plutôt de mettre en œuvre des mesures de soutien ciblées dans un cadre coordonné.
Bien que leurs intérêts convergent et que les interdépendances soient fortes, les priorités nationales des Etats membres ne sont pas nécessairement les mêmes et peuvent conduire à des choix budgétaires différents, appuyés en outre par l’application du principe de subsidiarité (3). Le manque d’incitation à agir de manière collective et l’absence d’un budget européen qui permettrait de mettre en œuvre des programmes économiques communs risquent de réduire l’efficacité de tout plan de relance.
Néanmoins, il n’est pas impossible qu’une action commune puisse être rapidement décidée. Le 11 novembre 2008, le commissaire européen Almunia a, en effet, mis en exergue la nécessité d’apporter une réponse concertée et coordonnée des Etats membres pour faire face de manière efficace à la crise. Il s’agit d’actionner le levier de la politique monétaire mais aussi d’utiliser les marges de manœuvre accordées après le relâchement des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance, sans oublier de poursuivre les réformes structurelles afin de rehausser à terme le potentiel de croissance de la Zone (stimuler l’investissement, la recherche et l’innovation, agir sur le marché du travail…).
Avec son plan de soutien aux banques, l’Europe a démontré qu’en cas d’urgence elle était capable d’agir à l’unisson. Espérons qu’elle n’attendra pas trop longtemps avant de s’engager dans une voie commune pour extirper la zone euro de la récession(4).
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NOTES
(1) La politique monétaire relève en effet du niveau supranational et la politique budgétaire est encadrée par les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance qui requièrent que chaque Etat parvienne à un équilibre de ses finances publiques.
(2) Ce sont les éléments (relevant des finances publiques) qui permettent de lisser le cycle d’activité et donc d’amortir les fluctuations de l’activité induites par des événements conjoncturels.
(3) Principe de répartition des pouvoirs selon lequel une responsabilité, une tâche, doivent être confiées au plus petit échelon ayant la capacité à réaliser l’action correspondante.
(4) Le souhait exprimé le 12 novembre dernier que le budget européen devienne un outil efficace pour atteindre les objectifs prioritaires de la zone s’inscrit bien dans cette démarche de recherche d’une coordination renforcée entre Etats membres.