par Philippe d’Arvisenet, directeur de la recherche et des études économiques de BNP Paribas
Au cours des derniers mois, les indicateurs conjoncturels (ISM aux Etats-Unis, PMI en Europe) ont montré que la forte contraction de l’activité économique, enregistrée dans les deux derniers trimestres, donnait des signes de modération, annonçant le retour à la croissance à horizon des prochains trimestres.
Cette embellie s’accompagne néanmoins de craintes, au premier rang desquelles l’inflation. Malgré le creusement d’un output gap négatif et la poussée du chômage qui vont se poursuivre, ce qui ôte toute crainte du côté des coûts et du pricing power, le caractère très accommodant des politiques monétaires, conjugué à un fort gonflement des déficits publics, inquiète et conduit à des interrogations sur les voies de sortie : les Etats vont-ils être en mesure de stabiliser leur endettement, les banques centrales vont elles pouvoir reprendre les liquidités qu’elles ont créées ?
L’ajustement des stocks, qui avait amputé la croissance de façon conséquente en début d’année, touche à sa fin. La désinflation a conduit à un redressement des gains de pouvoir d’achat. La baisse des taux d’intérêt, si elle n’est pas de nature à relancer une vague d’endettement des ménages, a eu pour mérite d’alléger leurs charges. Le redressement des Bourses joue favorablement sur la confiance tandis que, sous l’effet des mesures prises par les banques centrales, le fonctionnement du marché monétaire s’est débloqué. Par ailleurs, les mesures de soutien budgétaire voient leurs effets monter en puissance. Pour autant, les éléments de fragilité ne manquent pas. La contraction de l’activité n’est pas encore terminée. La croyance par les marchés d’un relèvement prochain du taux objectif des Fed Funds semble pour le moins prématurée. La hausse récente des taux longs est normale. Elle tient, à la fois, à la sortie d’une période d’aversion extrême au risque et aux signes d’embellie conjoncturelle (il existe une très nette corrélation, par exemple, entre les rendements à 10 ans et l’ISM manufacturier) ainsi qu’à l’anticipation de taux d’endettement publics plus élevés. Si toutefois les craintes d’inflation devaient pousser les taux longs sensiblement plus haut, les avantages de la réduction des spreads sur le marché des titres hypothécaires seraient contrebalancés par la hausse des taux sans risque. La poussée des cours du pétrole, certes inférieurs de 50% à leur niveau de l’été dernier, mais en hausse de 120% par rapport à leur point bas du début de l’année, ne peut que freiner la demande.
Quels risques inflationnistes ?
Les craintes d’un retour de l’inflation apparaissent très exagérées.
D’abord, la sous-utilisation des capacités de production est massive et quasi générale. La croissance mondiale serait selon le FMI de -1,3% en 2009 après plusieurs années de progression au rythme voisin de 6%. Le PIB mondial se trouvera ainsi cette année à environ USD 4000 mds en deçà du niveau qui aurait été observé si le sentier de croissance des dernières années avait été maintenu. La croissance attendue l’an prochain, toujours inférieure au potentiel, fera encore progresser cet écart. Les plans de relance budgétaire qui, pour la plupart, couvrent deux voire parfois trois ans, totalisent à peine USD 3000 mds. Leur potentiel inflationniste apparaît pour l’heure inexistant. En outre, la croissance envisageable dans les prochaines années n’est pas de nature à provoquer des tensions sur la demande. Les ménages sont entrés dans une phase de réparation de leur situation financière, autrement dit, l’heure n’est plus à une poussée du crédit propre à inscrire la hausse de leur demande au-dessus de celle des revenus, lesquels sont déprimés par la dégradation du marché du travail. Ensuite, le degré de sous- utilisation des capacités de production, conjugué à un resserrement des conditions de financement, augure mal d’une vive reprise de l’investissement. Enfin, l’effet positif des stimuli budgétaires n’est pas reconductible. Au contraire, l’anticipation de mesures propres à stabiliser l’endettement public, dont les hausses de prélèvements constituent les plus probables, n’est pas elle non plus de nature à impulser un fort redressement de la demande. Il est, en effet, peu vraisemblable que la croissance soit suffisante pour déboucher sur une stabilisation de l’endettement public, tandis que la réduction de la dépense se heurte au caractère incompressible de nombreux postes budgétaires (salaires, dépenses de retraites, de santé…), d’où les craintes de monétisation des déficits… Qu’en penser ?
Dans les précédents cycles, la reprise débouchait sur une croissance supérieure au potentiel car alimentée par une hausse forte de la distribution de crédit. La reprise actuelle sera différente. L’emploi, une variable retardée du cycle, va continuer à se contracter (quoique à un rythme moins marqué que dans les derniers trimestres) et le chômage à progresser, tandis que la sous-utilisation de capacités de production restera très marquée.
Cela augure mal d’une poussée des coûts salariaux ou du rétablissement rapide du « pricing power » des entreprises, d’autant plus que le phénomène est global. Autrement dit, l’économie réelle ne porte pas de germe inflationniste. La création monétaire par les banques centrales n’a pas conduit à une accélération des agrégats monétaires larges (M2 aux Etats-Unis, M3 en zone euro), c’est même l’inverse que l’on constate avec la modération du crédit.
Certains mettent en avant la crainte de voir les banques centrales monétiser les déficits, ce qui à terme pourrait être inflationniste !
Les banques centrales, qui ont acheté des obligations du Trésor Fed, Bank of England), l’ont fait dans le but d’injecter de la liquidité et peser sur les taux longs, pas pour financer directement les déficits. Ensuite, l’indépendance des banques centrales est inscrite dans leurs statuts. La stabilité des prix constitue l’un de leurs objectifs. On les voit mal se lancer dans une politique propre à faire émerger une vague d’inflation qu’elles veuillent éviter la déflation, veiller à ancrer les anticipations en territoire positif et ramener le taux d’inflation à un niveau proche de leur objectif est autre chose), ce serait mettre à bas pour longtemps les acquis chèrement payés de la désinflation des années 1980. On imagine mal un gouvernement aller demander cela à une banque centrale.
Par ailleurs, il n’est pas évident qu’une baisse du ratio d’endettement, corrélatif à une accélération de l’inflation, soit réalisable dans une économie ouverte caractérisée par un marché obligataire très internationalisé (les émissions souveraines sont en quasi-totalité souscrites par des investisseurs institutionnels très sensibles à l’inflation, la moitié des encours d’obligations d’Etat sont détenus par les non- résidents aussi bien aux Etats-Unis qu’en France). Dans pareil contexte, le risque inflationniste se paierait par une hausse des taux d’intérêt supérieure au surcroît d’inflation, car incluant une prime de risque inflationniste. L’espoir d’un recul du ratio d’endettement par l’inflation pourrait, dans de telles conditions, se révéler vain. En outre, les systèmes de pensions ont largement investi en titres d’Etat. Par ailleurs, les gouvernements ont émis des montants non négligeables d’obligations indexées sur l’inflation. Autant dire que le vieillissement démographique et la question du financement des retraites ne rendent pas le thème de l’érosion monétaire très populaire.
Le paradoxe serait de voir les pouvoirs publics mettre un terme prématuré à leur politique de soutien conjoncturel en raison de craintes infondées. Le gonflement de la base monétaire au Japon n’a aucunement créé l’inflation. En revanche, le resserrement trop rapide de la politique budgétaire en 1996 a fait replonger l’économie dans la récession. A cet égard, l’anticipation d’un relèvement du taux des Fed Funds d’ici à la fin de l’année paraît assez surprenante.
Des déceptions à moyen terme avec une croissance potentielle qui se modère
Non seulement il est, comme on l’a vu, difficile d’anticiper dans les prochaines années le retour d’une croissance qui s’inscrirait durablement au-dessus du potentiel, mais en outre la croissance potentielle, liée aux gains structurels de productivité et à l’évolution de la population en âge de travailler, est elle-même appelée diminuer.
Elle se limiterait à 2,25% aux Etats-Unis et entre 1 et 1,25% dans la zone euro. Compte tenu en effet du vieillissement, la population en âge de travailler, qui augmentait de 1,3% l’an aux Etats-Unis au milieu des années 1990, se stabilisera à horizon de la fin de la décennie 2010. Dans la zone euro, son augmentation, de 0,3% au début des années 2000, deviendra nulle l’an prochain et baissera de 0,5% l’an dans dix ans. De surcroît, dans la zone euro, le NAIRU, le taux de chômage compatible avec la stabilité des prix, de 8,5% avant l’éclatement de la crise atteindrait 10% l’an prochain, ce qui rend plus difficile la mobilisation de la main-d’œuvre. Parallèlement, l’extension des capacités de production sera limitée par le recul de l’investissement. Selon les données de la Commission Européenne, dans la zone euro, le ratio de l’investissement au PIB reviendrait de 22,7% en 2007 à 19,1% l’an prochain.
Enfin, il faut noter que les crises financières ont elles-mêmes des effets négatifs sur le potentiel productif via leur incidence sur les primes de risque, le resserrement des conditions de financement. D. Furceri et A. Mourougane(1) ont ainsi montré sur un panel de 30 pays observés au cours de la période 1960-2007 que, quatre ans après l’éclatement des crises, le PIB potentiel se trouvait en moyenne amputé de près de deux points et de quatre points à l’issue des crises les plus graves (Espagne en 1977, Norvège en 1987, Finlande et Suède en 1991, Japon en 1992).
NOTES
(1) D. Furceri et A. Mourougane, « The effect of financial crises on potential output : new empirical evidence from OECD countries »,OCDE working paper n°699, mai 2009.