par Jacques Blot, Conseiller de Convictions AM
Antonis Samaras a perdu son pari de faire élire un nouveau président grec. Il y aura donc des élections anticipées le 25 janvier, au lieu de l’échéance normale de juin 2016. La Constitution grecque stipule en effet que des élections doivent être organisées dans les 30 jours après la dissolution de la Chambre lorsque celle-ci n’est pas parvenue à élire un nouveau président. La nouvelle Vouli doit être convoquée dans les 30 jours après les élections. Sa première tâche sera d’élire le nouveau président. Il suffira au troisième tour d’une majorité simple.
La Chambre comprend 300 députés, élus dans 56 circonscriptions selon un système proportionnel dit « renforcé ». Le parti qui arrive en tête bénéficie d’une prime de 50 sièges. Les 250 autres sièges sont répartis entre les formations qui obtiennent au moins 3 % des suffrages. Avec ce système, pour avoir une chance d’obtenir la majorité absolue à la Chambre un parti doit obtenir environ 35 % des voix.
En 2012, la Nouvelle Démocratie avec 29,7 % des voix avait obtenu 129 sièges ; Syriza avec 26,9 %, 71 sièges ; le Pasok (12,3 %), 33 sièges. Quatre autres partis étaient entrés à la Vouli : les Grecs indépendants (nationalistes, dissidents de ND); Aube dorée (extrême droite) ; la Gauche démocratique DIMAR (centre gauche, dissidents du Pasok) ; le Parti communiste. L’alliance ND-Pasok- DIMAR bénéficiait d’une majorité de 179 voix, réduite à 155 lors du dernier vote de confiance en décembre 2014 (DIMAR a quitté la majorité en juin 2013).
Les sondages les plus récents placent Syriza en tête (dans une fourchette de 27 à 29 % des voix), devançant la Nouvelle Démocratie de 2 à 4 points. Par rapport aux sondages de novembre on constate une progression de ND de 2 à 4 points et un recul moyen de Syriza de 2 points. Le grand perdant serait le Parti socialiste (Pasok) qui passerait de 12,3 % en 2012 à 5/6 % maintenant. Le parti DIMAR crédité de 1 % ne serait plus représenté, tandis que le nouveau parti centriste POTAMI (créé par des dissidents du Pasok), avec 6, 5 % à 7,5 %, entrerait à la Chambre, ainsi que les communistes (6 %) et l’extrême droite d’Aube dorée (6 %). Les Grecs indépendants sont juste au-dessus du seuil des 3 %.
Une victoire de Syriza reste probable aux prochaines élections
Les résultats restent donc encore indécis. Une campagne courte et dure devrait accentuer la bipolarisation. Une victoire de Syriza reste à ce stade la plus probable, mais on ne peut exclure que les Grecs en majorité défavorables aux élections anticipées ne préfèrent la prudence, comme en 2012.
A la question : qui est le meilleur pour diriger le pays? 44,1 % des sondés indiquent Samaras, 34,4 % Tsipras.
Selon les projections actuelles en sièges, il manquerait à Syriza de dix à quinze députés pour obtenir une majorité absolue. Son leader, Alexis Tsipras, ne pourrait donc être nommé immédiatement Premier ministre.
Conformément à la Constitution, il serait alors chargé d’une mission exploratoire de trois jours pour s’assurer d’une majorité avec un ou plusieurs partenaires. L’extrême droite exclue, le parti communiste et le Pasok ayant indiqué qu’ils refuseraient de gouverner avec Syriza, restent comme alliés possibles la droite nationaliste des Grecs indépendants, qui, s’ils franchissent la barre des 3 %, pourraient être tentés de former un front anti-Bruxelles, et le nouveau parti Potami qui, lui aussi, pourrait être tenté, mais dont le programme reste flou.
En cas d’échec de Tsipras, des missions exploratoires seraient confiées successivement aux chefs des deuxième et troisième partis (ND et Aube dorée), qui n’auront aucune chance d’aboutir. Le président essaierait alors de former un gouvernement d’union nationale ;en cas d’échec, il nommerait un gouvernement de techniciens chargé d’organiser de nouvelles élections dans un délai d’un mois. Ce serait reproduire le scénario de 2012 quand, devant l’impossibilité de former une majorité stable après les élections de mai, un nouveau scrutin eut lieu en juin qui amena au pouvoir le parti conservateur de Samaras.
Si, pendant la campagne, la Nouvelle démocratie réussit à reprendre la première place, la difficulté de former une majorité sera encore plus grande puisque son principal partenaire, le Pasok, devrait sortir des élections très affaibli.
L’arrivée au pouvoir de Syriza : le risque de défaut
« Il n’est plus question de suspendre unilatéralement le remboursement de la dette grecque. » Au fur et à mesure que se renforce la probabilité de son arrivée au pouvoir, Alexis Tsipras cherche à rassurer. Son objectif affiché n’est pas d’abandonner l’euro, encore moins de quitter l’Union européenne. Ce qu’il conteste, c’est la politique actuelle qui impose la rigueur, d’où l’exigence qu’il soit mis fin aux mémorandums imposés par la Troïka et que, pour la rendre supportable, la dette grecque détenue par les partenaires européens soit renégociée. Il propose donc la tenue d’une grande conférence européenne sur la dette et attend de Bruxelles une mobilisation financière pour son programme de relance économique de 13,5 Mds €. Sur le plan social, au nom de l’urgence humanitaire, il entend revenir sur une partie des mesures imposées par la Troïka, notamment en augmentant le SMIC et les allocations vieillesse. Il veut toutefois maintenir le budget en équilibre.
Comment ces objectifs peuvent-ils être compatibles avec le calendrier et les impératifs européens ?
L’Eurogroupe a décidé de prolonger jusqu’à fin février le plan d’aide européen afin de poursuivre avec Athènes la négociation permettant de verser la dernière tranche du prêt. Il est également prévu qu’une ligne de crédit de précaution soit ouverte au MES pour accompagner le retour de la Grèce sur les marchés. Mais on voit mal, quel que soit le résultat des élections, comment un accord pourrait être conclu avant fin février. Le FMI, dont l’aide à la Grèce court jusqu’en 2016, vient pour sa part d’indiquer que les négociations ne reprendraient qu’après la formation d’un nouveau gouvernement.
Selon Samaras, lors des dernières négociations, la Troïka aurait fixé de nouvelles conditions comprenant des hausses d’impôts et des baisses de revenus, exigences que les Grecs avaient rejetées. S’agissant du budget 2015, les experts auraient noté un manque de financement de 2 à 3 Mds et se seraient opposés à l’étalement des arriérés d’impôts.
La négociation sera longue et difficile avec les instances européennes
Or les négociateurs européens ne pourront renoncer aux règles de conditionnalité et de contrôle fixées dans les traités. Même si Tsipras se dit fort de sa légitimité démocratique, la négociation sera longue et difficile. Le début de l’année ne peut donc être qu’une période d’incertitudes, de turbulences et de risques financiers.
Sans accord, sans financement européen et sans soutien du Mécanisme européen de stabilité (le gouvernement actuel compte sur une ligne de crédit du MES pour financer le budget 2015), la Grèce pourrait tenter d’avoir recours aux marchés pour se financer. Mais une absence totale de confiance inhiberait les investisseurs et conduirait à des taux insupportables (le 29 décembre, après l’échec du deuxième vote, le taux des obligations à 10 ans est remonté à 9,55 %).
L’issue inéluctable serait alors une crise de solvabilité (Athènes doit faire face aux échéances de mars et rembourser en juin à la BCE 6 Mds d’obligations). Les banques hellènes connaîtraient une crise de liquidité. Ceci ne pourrait que conduire la Grèce à abandonner l’euro (Grexit).
Des risques pour l’Eurozone ?
Tsipras semble persuadé que l’Europe ne peut pas prendre le risque d’une nouvelle crise qui, par contagion, atteindrait les autres pays périphériques et mettrait en péril l’existence même de l’Eurozone, et donc que ses partenaires européens finiront par se montrer conciliants. En fait, il existe deux risques de contagion : l’une est économique, l’autre politique. S’agissant de la contagion économique et financière, les vicissitudes grecques n’ont pas jusqu’à présent vraiment perturbé les autres pays fragiles de la zone euro.
Les partisans d’une ligne sans complaisance vis-à-vis d’Athènes soulignent d’ailleurs que ces pays sont désormais moins vulnérables et que l’Europe s’est dotée de moyens lui permettant de faire face à une nouvelle crise. La BCE a assoupli sa politique et peut mettre en œuvre des mesures non conventionnelles. Le MES est opérationnel. En cas de besoin, il peut accorder une aide à un Etat qui ne peut se financer sur les marchés, racheter de sa dette sur le marché primaire et secondaire, recapitaliser ses banques par le canal d’un prêt au gouvernement ou garantir ses émissions sur le marché.
Ces interventions sont subordonnées à une procédure précise :demande d’assistance de l’Etat, évaluation du risque financier pour la zone euro, négociation avec la Troïka d’un mémorandum fixant le montant et les conditions de l’aide. En Allemagne le Bundestag doit donner son accord. C’est ce système de conditionnalité qui est désormais remis en cause par tous les contestataires européens comme imposant la rigueur alors que l’Europe devrait se doter de moteurs de croissance.
Un rôle décisif pour l’Allemagne et la Banque Centrale Européenne
Céder à Tsipras pourrait avoir une autre conséquence, politique celle-là, qui serait de renforcer le camp des contestataires, notamment en Espagne où le nouveau parti Podemos est donné en tête des sondages pour les élections de fin 2015.Le cas grec, jugé désormais gérable, pourrait servir à démontrer que la sortie de l’euro entraîne pour un pays non discipliné plus de conséquences négatives que les politiques exigeantes imposées par l’appartenance à une même zone monétaire.
Dans ce contexte, deux acteurs auront un rôle décisif : l’Allemagne et la BCE. Certes le gouvernement allemand a fait de la préservation de la zone euro une priorité absolue et jusqu’à présent Angela Merkel a fini par préférer la solidarité au repli. Mais elle doit tenir compte d’une opinion publique sensible aux arguments des Eurosceptiques et des fortes réserves de la Cour constitutionnelle allemande qui pourrait soumettre tout nouvel engagement de Berlin à de nouvelles et contraignantes conditionnalités.
Le Bundestag a donné en décembre son accord au prolongement du plan d’aide et à l’éventuel octroi par le MES d’une ligne de crédit ;toutefois le ministre des Finances allemand a été clair : de nouvelles élections ne changeront rien à la dette grecque et tout nouveau gouvernement devra respecter les accords pris par ses prédécesseurs.
Si l’Allemagne décide d’adopter une politique de fermeté, elle a le poids et les moyens de refuser les concessions voulues par les Grecs. Ce qu’elle n’a pas fait avec Samaras pour des raisons politiques, elle peut être tentée de le faire avec Tsipras.
Au MES par exemple, où les décisions sont prises avec un quorum des 2/3 des membres disposant au moins des 2/3 des voix, l’Allemagne (27,5 % des voix) pourrait avec l’aide de plus petits pays créer une minorité de blocage. Elle pourrait, pour des raisons politiques, trouver en Madrid un allié pour exiger le strict respect par la Grèce de ses engagements.
Un défaut grec ferait toutefois ressurgir en Allemagne le problème de la mutualisation des dettes européennes puisqu’il en résulterait pour les membres de l’Eurogroupe, et au premier chef pour Berlin, la perte des prêts consentis à la Grèce.
L’opposition aux nouvelles politiques de la BCE s’en trouverait renforcée. S’agissant du programme de rachat de titres souverains (OMT),la Cour de Karlsruhe a jugé qu’il n’était pas inconstitutionnel, car pour l’instant sans application réelle sur le territoire allemand. Il en irait différemment si la BCE le mettait en œuvre au début de 2015,ce qui, pour la Cour, par la socialisation des dettes qu’il entraînerait, porterait atteinte à la souveraineté budgétaire allemande et pourrait l’amener à exiger la non-participation de la Bundesbank.
Le risque grec peut donc conduire à travers les contradictions allemandes à ce que se posent de manière beaucoup plus fondamentale les questions de l’avenir de la zone euro et la conception du rôle et des moyens d’action de la BCE (celle-ci doit réunir son Conseil le 24 janvier, veille des élections grecques).
Le risque social et le mur de la dette
Au-delà du risque immédiat, deux autres questions méritent examen.
Si l’option politique mène la Grèce à une impasse, n’y a-t-il pas dans ce pays un risque d’explosion sociale qui, à son tour, pourrait atteindre d’autres pays européens las des politiques de rigueur ? L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a lancé un signal d’alerte. Elle estime qu’en Grèce le nombre de personnes menacées de pauvreté a plus que doublé en cinq ans pour concerner 44 % de la population. Le pouvoir d’achat des salariés a baissé de 60 % et un emploi sur quatre a été supprimé. Selon l’OIT, alors que le PIB a reculé de 25 %,il faudrait à la Grèce, avec une croissance annuelle de 2 %,respectivement 13 ans et 20 ans pour retrouver le niveau de vie et le taux de chômage d’avant crise. Ce dernier est aujourd’hui de 26,6 % (56,7 % chez les jeunes),alors que 20 % des 15/24 ans sont sans emploi et sans diplôme. Le nombre de migrants (surtout des jeunes diplômés) ne cesse d’augmenter. Cette situation est-elle acceptable par la population ? Pour l’instant la résignation a prévalu, Syriza est apparu comme un espoir. Si cet espoir est déçu, on ne peut exclure des formes de contestation plus radicales et plus violentes.
Reste un problème de fond :à long terme la Grèce dans la zone euro est-elle viable sur les plans économique et financier ?
Pour l’Allemagne, la Grèce devra respecter les accords précédents
Certes les fondamentaux de l’économie s’améliorent. Une croissance de 0,6 % en 2014 (peut-être + 1,6 % en 2015), un excédent primaire, une légère baisse du chômage ; le retournement de conjoncture en Europe et la baisse du pétrole peuvent favoriser une certaine embellie. Mais la santé du pays reste plus que fragile : trop faible taux d’investissement, exportations trop peu diversifiées, réformes structurelles encore insuffisantes. Et rien ne permet d’entrevoir et pour longtemps une réduction du poids de la dette. Malgré la restructuration de 2012 qui en effaça 105 Mds € (plus une réduction de 20 Mds résultant de l’échange d’obligations détenues par des opérateurs privés), la dette publique s’élève à 321 Mds €,dont 225 détenus par des créanciers publics (selon Bloomberg, la BCE serait détentrice de 38 % de la dette grecque en circulation).
En quatre ans, elle est passée de 120 à 175 % du PIB. Selon l’institut Bruegel, pour la ramener à 120 % en 2020, il faudrait une croissance annuelle de 3,8 %.Plus de 10 % de cette dette est une « dette flottante » (à échéance de moins d’un an),qu’il est donc nécessaire de refinancer d’une année sur l’autre.
L’Eurogroupe avait envisagé en novembre 2012 de procéder à un nouvel allègement si la Grèce assainissait ses finances. Mais une nouvelle restructuration ne paraît pas aujourd’hui envisageable, compte tenu des positions allemandes. Schaüble l’a exclue à maintes reprises. Le gouvernement grec actuel a proposé de repousser à 50 ans la maturité des prêts du premier plan et à 30 ans ceux du second afin d’étaler la charge des remboursements, ce qui l’allègerait chaque année en moyenne de 6 Mds €.Il a aussi demandé le recours à des taux fixes et non plus dépendant de l’Euribor. Peut-être y a-t-il là un espace de négociation … Quoi qu’il en soit, si les membres de la zone euro ne veulent pas que la Grèce les quitte, ils devront admettre que leur aide, quelles qu’en soient les modalités, sera pour longtemps indispensable.