Un état des lieux de la participation des fonds souverains du Moyen-Orient

par Stéphanie Prat et Thomas Julien, économistes chez Natixis

Nous proposons d’établir un état des lieux, aussi exhaustif qu’il nous est possible, de la participation des fonds souverains (nous nous sommes concentrés sur ceux du Moyen-Orient). Pour ce faire, nous croisons les informations partielles mises à disposition par ces fonds et la structure par actionnaire du capital des entreprises cotées.

Il ressort de notre étude empirique que la stratégie des Fonds Souverains durant la crise s’est apparentée à quelques prises de participation de court terme opportunistes (essentiellement dans le secteur bancaire) tout en conservant dans d’autres secteurs des stratégies d’investissements avec un horizon de long terme.

Selon le Fonds Monétaire International, les fonds souverains peuvent revêtir diverses formes qui sont essentiellement fonction des objectifs macroéconomiques et financiers poursuivis. En particulier les fonds de stabilisation créés dans le cas où l’économie est fortement dépendante des exportations de matières premières exposant les recettes de l’Etat à une forte volatilité. Grâce à un mécanisme stabilisateur qui permet d’accumuler des recettes en phase de forte croissance pour les utiliser en phase de ralentissement, le fonds de stabilisation permet un effet de lissage des revenus et donc du cycle économique.

D’autres types de fonds – fonds d’épargne (pour les générations futures), fonds de développement, fonds de réserves pour les retraites et sociétés de placements des réserves ont plutôt une stratégie d’investissement à long terme dont les sources de financement proviennent des surplus des recettes d’exportations de matières premières. Plus généralement la nature de ces fonds souverains a pour vocation de dynamiser la croissance potentielle d’un pays (Blancheton, Jégourel, 2009).

Traditionnellement, les fonds souverains sont considérés comme étant des investisseurs poursuivant des stratégies de placement à long terme, exigeant une rentabilité du capital moins ambitieuse que celle exigée par des investisseurs privés.

Ces fonds semblent par conséquent privilégier des instruments financiers traditionnels tels qu’actions, obligations et obligations convertibles bien que nous ne disposions pas de données précises sur la composition des portefeuilles de ces fonds.

Il convient également de rester prudent quant à la vision traditionnelle de l’effet stabilisateur de la stratégie poursuivie par les fonds souverains comme en témoigne la mise à jour des difficultés (voir de la quasi-faillite) de la filiale immobilière de l’entreprise souveraine Dubaï World qui a été contrainte de demander un moratoire sur ses engagements arrivant à échéance mi-décembre te qui a provoqué une remontée généralisée (quoique temporaire) de l’aversion pour le risque.

Si certains fonds souverains sont connus traditionnellement pour mener une stratégie d’investissement plutôt conservatrice (Russie et Norvège par exemple), d’autres sont amenés à suivre des stratégies d’investissement plus risquées notamment parce que la gestion peut être réalisée sous mandat par des gestionnaires externes (selon l’institut pour les fonds souverains 75% des actifs détenus par le fonds souverain d’Abu Dhabi [ADIA] sont gérés par des gestionnaires externes dont 60% procèdent à de la gestion indicielle qui peut aller de l’indice MSCI à l’indice S&P500).

Pendant la crise financière globale, les fonds souverains ont pris des participations significatives dans le capital de grands groupes bancaires, ce qui a eu sans conteste des effets d’apaisement en contribuant à limiter le risque de propagation systémique à la suite de la faillite de Lehman. Les groupes bancaires principalement concernés étaient Citigroup (3mds USD injectés par KIA et 7,5mds USD injectés par ADIA), Merryll Lynch (2mds USD injectés par KIA), Crédit suisse (10mds de franc suisse injectés par QIA) et la Barclays bank (environ 2,35 mds injectés par QIA) (Tableau ci-dessous). 

Il apparaît selon nous que cette stratégie d’entrer au capital de ces groupes bancaires tient essentiellement au fait que les fonds estimaient que les actifs étaient sous-valorisés et qu’ils pourraient par la suite réaliser des plus-values. Le récent désengagement de KIA, qui a effectué à ce titre une plus-value d’1,1 mds de USD dans le capital de Citigroup (le fonds souverains du Koweït a annoncé le 7 décembre 2009 avoir revendu ses parts), confirme notre intuition.

Cependant, les récentes acquisitions de grandes entreprises (hors secteur bancaire) par ces fonds souverains (Vinci, Volkswagen ou encore Daimler) restent conformes à la stratégie traditionnelle de buy-and-hold de long terme qui les caractérisent.

NOTES

  1. KIA est actionnaire de Daimler AG depuis 1974.
  2. Après avoir annoncé une participation dans Citigroup en janvier 2008 de USD 3mds (équivalent à une participation de 5%), le Fonds Souverain du Koweït a annoncé le 7 décembre 2009 avoir revendu ses parts et effectué à ce titre une plus-value d’1,1 mds de USD.
  3. Le Fonds Souverain du Qatar qui est devenu l’actionnaire majoritaire a annoncé en août 2009 vouloir soutenir l’augmentation de la prise de participation de Songbirg Estates dans le groupe Canary Wharf à Londres (de 60,85% à 69,3%).
  4. En juin 2008, le Fonds Souverain du Qatar a investi pour un montant d’1,8 mds de livres lors de l’augmentation du capital de la banque équivalant à une participation de 6,2% du capital, à laquelle s’est rajoutée la prise de participation d’un fonds d’investissement détenu par un membre de la famille royale à hauteur de 1,9%. En octobre 2009, le Fonds Souverain Qatari a réduit sa participation de 0,4 point de pourcentage à 5,8%, tout en affirmant rester un actionnaire de long-terme.
  5. Cegelec était détenu à 100% par Qatari Diar (« entreprise souveraine » du Fonds Souverain QIA spécialisé dans l’immobilier) depuis octobre 2008. L’entreprise vient d’être cédée au groupe Vinci en échange d’une prise de participation de 5,8% dans le capital du groupe.
  6. Chiffre au 30 juin 2009. QIA avait franchi le cap des 5% du capital en juin 2006.
  7. Cession de « l’entreprise souveraine » Qatar Holding LLC à la banque qatarie Al Khaliji en novembre 2008 pour un montant de 250 ml de USD.
  8. Le fonds, qui est le troisième actionnaire de Volkswagen, avait exprimé au mois d’aout son intention d'augmenter sa participation en actions ordinaires, dotées de droits de vote, dans le constructeur automobile allemand à hauteur de 17% (malgré la vente en novembre 2009 d’une partie de ses actions préférentielles). Sa participation s’élevait à 6,78% au 28 août 2009. Le QIA a également pris une participation avec droit de vote de 10% dans le capital de Porsche en août 2009.
  9. La prise de participation date de février 1997.
  10. Injection de cash à hauteur de 7,5 mds USD sans pour autant jouer un rôle dans la gestion ou la gouvernance de Citigroup.
  11. Au mois de novembre 2009 l’Emirat arabe d’Abu Dhabi voulait porter sa participation dans Daimler à 15 %, contre 9,1 % actuellement.

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