par Nathalie Benatia, Macroéconomiste chez BNP-Paribas Asset Management
Après avoir terminé à un record fin août, les actions mondiales ont baissé au cours de la première semaine de septembre. Les marchés actions ont réagi aux inquiétudes sur la croissance aux Etats-Unis. L’attente de la publication vendredi 6 septembre du rapport sur l’emploi a entretenu la fébrilité : le précédent rapport avait, en effet, été l’un des éléments déclencheurs des fortes turbulences traversées début août. Les anticipations de baisses des taux directeurs de la Fed restent au cœur des préoccupations des investisseurs.
Difficile de trancher
Comme les autres données sur l’emploi publiées au cours des dernières semaines, ce rapport tant attendu n’a pas permis d’affirmer un diagnostic sur la santé de l’économie américaine. Les données sont suffisamment faibles pour justifier une baisse des taux directeurs en septembre mais pas assez pour pouvoir affirmer qu’elle sera de 50pb plutôt que de 25pb.
Les 114 000 créations nettes enregistrées en août (contre 142 000 attendues selon le consensus Bloomberg) selon le BLS (Bureau of Labor Statistics) ont déçu, d’autant plus que les chiffres des deux mois précédents ont été révisés à la baisse (-86 000 cumulés). Le taux de chômage a baissé de 4,3 % à 4,2 %, comme anticipé, et la hausse de salaires horaires est un peu plus forte qu’attendu.
Les trois données les plus suivies, qui sont celles qui déclenchent les réactions des marchés, envoient donc des messages contradictoires. Ajoutons que la forte baisse des créations d’emploi dans le secteur privé révélée la veille par l’enquête ADP avait probablement conduit de nombreux investisseurs à se préparer à devoir encaisser des créations d’emploi très largement sous leurs attentes (cf graphique 1 dans le document joint).
D’autres éléments du rapport ont pu être jugés négatifs mais les économistes ne sont pas unanimes, chacun pouvant puiser dans les données du BLS ou dans d’autres indicateurs, les éléments nécessaires à illustrer son point de vue.
Tous s’accordent toutefois à juger que l’emploi ralentit. La difficulté à évaluer justement le rythme de ce ralentissement illustre les difficultés que rencontre la Réserve fédérale américaine (Fed).
Le message est un peu brouillé
Lors de son discours à Jackson Hole, le 23 août, Jerome Powell a prévenu que la Fed ne « cherche pas à refroidir davantage le marché de l’emploi et nous ne nous réjouirions pas d’une telle évolution ».
Dans une interview publiée le 4 septembre, la Présidente de la Fed de San Francisco, Mary Daly, a rappelé la nécessité de « protéger » la santé du marché du travail (et d’éviter de conserver une politique monétaire trop restrictive) tout en indiquant que « pour l’instant », l’emploi reste solide.
Deux membres importants du FOMC (Federal Open Market Committee), qui se sont exprimés vendredi une fois les chiffres de l’emploi connus, n’ont pas souhaité lever cette ambiguïté. John Williams, le Président de la Fed de New York, a déclaré qu’il n’était pas prêt à dire de combien les taux directeurs devraient baisser en septembre tandis que Christian Waller, un Gouverneur de la Fed, pense qu’il est « important » de commencer la baisse des taux en septembre, ajoutant qu’il défendrait l’idée de baisses plus agressives si elles sont justifiées, c’est-à-dire si les indicateurs traduisent une « détérioration significative de l’emploi ».
Réaffirmer que les décisions « dépendront des données économiques » lorsque ces données ne permettent pas de trancher n’est pas une position très confortable.
Avant la réunion de politique monétaire du 18 septembre, les officiels de la Fed auront peu d’occasion de rectifier le tir afin de s’assurer que ce qui pourrait bien être la baisse de taux la plus anticipée de la galaxie n’entraîne pas des réactions extrêmes sur les marchés.
Volatilité des anticipations
La réaction initiale des marchés à terme a été de considérer que le rapport sur l’emploi traduit un refroidissement du marché du travail qui justifierait une baisse de 50pb à l’issue de la réunion du 18 septembre (la probabilité s’est inscrite à 51 % contre 30 % une semaine auparavant) mais la volatilité est restée très élevée et, après les déclarations de deux membres du FOMC, la probabilité implicite a reflué pour le reste de la séance pour terminer à 30 % (cf graphique 2 dans le document joint).
La publication des indices de prix à la consommation et la production les 11 et 12 septembre sera sans doute une autre source de volatilité. Compte tenu de la fébrilité actuelle, il n’est même pas certain que des données confirmant la récente tendance au ralentissement de l’inflation permettent la stabilisation des anticipations de baisse des taux directeurs. Les investisseurs ont bien compris une chose : c’est l’activité, et non plus l’inflation, qui déterminera le rythme de l’assouplissement.
La Banque du Canada a peut-être trouvé la bonne façon d’exprimer cette idée. La déclaration préliminaire qui a accompagné l’annonce le 4 septembre d’une troisième baisse consécutive de 25pb de son taux directeur précise que cette décision repose sur deux grandes considérations. Premièrement, l’inflation globale et l’inflation fondamentale ont toutes deux continué de baisser comme prévu ; deuxièmement, avec l’inflation qui continue de se rapprocher de la cible, il faut que la croissance économique s’accélère pour absorber l’offre excédentaire dans l’économie. C’est important pour que l’inflation puisse retourner à la cible de 2 % et y rester ».
Le Gouverneur a précisé qu’il envisageait des baisses supplémentaires et que des scénarios qui justifieraient des baisses de 50pb ont été discutés.
Alors que la situation conjoncturelle des deux pays présente des similitudes, la Fed pourrait peut-être s’inspirer de la BoC. En parlant du risque d’une politique monétaire qui deviendrait trop restrictive parce que les taux réels vont mécaniquement monter du fait du repli de l’inflation, Mary Daly a exprimé la même idée (il faut soutenir la croissance à ce stade du cycle) et, peut-être, montré le chemin.
La vie est plus facile à Francfort qu’à Washington
En ayant initié la baisse de ses taux directeurs en juin, contre l’avis de certains membres, la Banque centrale européenne (BCE) n’est pas confrontée aux mêmes interrogations sur le rythme à adopter. Une baisse de 25pb est presque totalement anticipée à l’issue de la réunion de jeudi 12 septembre et la voix des faucons est moins audible alors que l’inflation et les salaires ont ralenti. Rassurons les membres de la Fed, les anticipations concernant la décision de la BCE en décembre sont volatiles.