par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Prenant le pas sur de nombreuses banques centrales, la Banque centrale de Chine a décidé d’augmenter son taux prêteur à 1 an de 25pb de 5,31% à 5,56% (et parallèlement le taux de dépôt de 2,25% à 2,5%). Cette annonce de resserrement monétaire a précédé de deux jours celle des statistiques de croissance du T3-10 (à 9,6% en glissement annuel) et de l’inflation de septembre qui a encore progressé pour atteindre 3,6%, supérieure à la cible de 3%. Si la lutte contre l’inflation devient une priorité (devant la croissance) pour les autorités chinoises, cette annonce s’inscrit dans une politique plus large de restriction du policy-mix en Chine : cette hausse de taux est la première depuis 2007 mais elle n’est pourtant pas la première mesure visant à restreindre les conditions de crédit.
En effet, la Chine a déjà pris un certain nombre de mesures pour tenter de ralentir la croissance et l’inflation depuis le début de l’année 2010. Les autorités essaient en particulier de freiner les crédits immobiliers et la hausse des prix des logements. Elles ont notamment décidé de restreindre les conditions d’achats pour l’acquisition d’un deuxième ou troisième logement, de limiter la quantité de crédit alloué, d’augmenter le taux des réserves obligatoires des banques à 3 reprises et dernièrement celui des six grandes banques à 17,5%. Les crédits à l’économie ont bien ralenti depuis le début de l’année (d’un rythme de 34% à 18% en GA) mais le ralentissement a été beaucoup plus modéré pour les crédits immobiliers (de 43% à 40%) et pour les prix immobiliers (de 13% à 11% en GA).
La Chine fait partie de ces nombreux pays émergents qui doivent faire face actuellement à des conflits d’objectifs. Ces derniers sont d’autant plus importants que des différences majeures de croissances économiques et de politiques monétaires prévalent dans le monde : d’un côté, nombre de pays émergents ont une croissance forte avec résurgence de tensions inflationnistes ; de l’autre, nombre de pays développés, les Etats-Unis en premier lieu, se sont installés dans un équilibre déflationniste qui les empêche de sortir de leur politique monétaire extrêmement expansionniste et qui les conduisent parfois à réfléchir à de nouvelles vagues de politiques non conventionnelles.
Ces conflits d’objectifs peuvent être illustrés par le triangle des incompatibilités de Mundell qui énonce qu’un pays avec parfaite mobilité des capitaux et un taux de change fixe (administré) ne peut pas mener une politique monétaire autonome. Certains pays n’ont pas un taux de change fixe mais ont toutefois un taux de change administré ou ne souhaitent pas subir une appréciation de leur monnaie. Ainsi, confrontés à des résurgences inflationnistes, ces pays souhaiteraient mener des politiques monétaires plus restrictives de façon à freiner ces tensions. Cependant la hausse des taux d’intérêt aurait pour effet d’attirer des capitaux et donc de conduire à une appréciation du taux de change, entraînant une perte de compétitivité dommageable pour le secteur exportateur. Pour éviter l’appréciation de leur monnaie, les pays doivent alors accumuler des réserves de change mais qui engendrent une hausse de leur masse monétaire si elles ne sont pas stérilisées, avec un risque inflationniste associé.
Pour essayer de sortir de ce cercle vicieux, plusieurs pays ont décidé de prendre des mesures de contrôles des capitaux, c’est le cas notamment de certains pays asiatiques comme la Thaïlande (Octobre 2010) ou Taiwan (novembre 2009) mais aussi le Brésil qui a récemment décidé d’augmenter la taxe sur les entrées de capitaux liées au placement des obligations de 2% à 6% (taxe qui avait été initialement mise en place en octobre 2009).
La Chine pourrait sembler protégée de ces potentiels déséquilibres en raison du contrôle des capitaux qu’elle opère qui devrait en théorie la prémunir contre les entrées de capitaux mais le système n’est pas complètement hermétique. Par ailleurs, si elle souhaite continuer à piloter son taux de change dans un contexte de balance commerciale excédentaire, elle va devoir poursuivre son accumulation de réserves de change.
Cette division du monde entre les pays qui font face à des résurgences inflationnistes et ceux qui sont confrontés au risque de déflation va très vraisemblablement perdurer en 2011, mettant en exergue la nécessité de décisions politiques fortes (G20) pour atténuer les tensions entre les pays qui risquent fort de persister.