par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas
Après des années de modération salariale, toutes les conditions sont presque réunies outre-Rhin pour assister à un certain rattrapage des rémunérations. En outre, l’idée fait lentement son chemin qu’une hausse des salaires ne profiterait pas aux seuls ressortissants allemands mais participerait au rééquilibrage économique au sein de la zone euro.
D’une part, elle arriverait à point nommé pour soutenir la consommation des ménages et l’activité allemandes, alors que les exportations seront probablement moins dynamiques en 2013. D’autre part, une baisse « maîtrisée » de la compétitivité allemande soutiendrait les exportations des pays périphériques qui ont mis en place des réformes structurelles douloureuses et fait d’importants gains de productivité depuis la crise de 2008. Un large consensus apparaît désormais au sein de l’Eurogroupe mais aussi du FMI et de l’OCDE, sur la nécessité pour ces derniers de respecter les engagements de réduction des déficits budgétaires structurels «sans pour autant durcir l'austérité». En effet, la montée du chômage, qui frappe plus d’un jeune sur cinq dans la zone euro, constitue désormais le principal risque pesant sur la cohésion sociale et la construction européenne. En Espagne et en Grèce, le taux de chômage a dépassé 26%. Il est primordial de mettre tout en œuvre pour stopper sa progression afin de soutenir la consommation, la production et la confiance dans la zone euro.
Christine Lagarde a ainsi encouragé l’Allemagne à augmenter les rémunérations et favoriser une légère poussée de l’inflation, considérant que cela faisait aussi « partie de la solidarité pan- européenne ». Outre-Rhin, Peter Bofinger, l’un des cinq sages du conseil des experts économiques1, soutient la position de la Directrice générale du FMI. Il a déclaré récemment qu’il n’y avait pas d’autre choix que d’accepter une hausse transitoire de l’inflation en Allemagne ou alors ce serait la déflation en Europe du Sud. Il est favorable à une révision de 5% des rémunérations dans tous les secteurs, i.e. 3%, couvrant les gains de compétitivité et l’inflation, et 2% supplémentaires « pour sauver l’euro », soit plus du double de ce que son confrère, Wolfgang Franz, estime raisonnable. En outre, la Bundesbank a récemment évalué les effets à long terme d’une hausse des salaires exogène sur la croissance et l’emploi en Allemagne et dans la zone euro, à partir du modèle NiGEM2 développé par le National Institute of Economic and Social Research. Les résultats économétriques sont sans appel : une hausse exogène de 2% des salaires réels abaisserait de 75pb le PIB allemand à l’horizon de dix ans, tandis que la croissance des pays périphériques (Espagne, Grèce, Portugal, Irlande) demeurerait quasiment inchangée.
Toutefois, l’opposition fédérale, désormais majoritaire au Bundesrat (cf. Ecoweek du 25 janvier 2013 : « Mme Merkel perd la Basse-Saxe, pas ses chances») a fait de la lutte contre les inégalités et l’injustice sociale son principal thème de campagne, opérant un véritable retournement idéologique par rapport à l’agenda 2010 du gouvernement Schroeder. Elle a approuvé au Bundesrat l’introduction d’un salaire horaire minimum de EUR 8,50 à l’échelle fédérale (environ EUR 1 300 mensuels sur une base de 35 heures travaillées par semaine). Si la proposition est entérinée par le Bundestag, ce qui est encore loin d’être acquis, le salaire minimum allemand se rapprocherait de celui pratiqué au Royaume-Uni mais resterait inférieur à celui de la France, des Pays-Bas et de l’Irlande. Pour l’heure, la fixation des salaires est uniquement du ressort des partenaires sociaux.
Les négociations salariales par branches concernent environ 12,5millions de salariés, soit un tiers de la population active occupée. Les syndicats les plus puissants, Ver.di dans les services et IG Metall dans la métallurgie, représentent 9 millions de salariés à eux seuls. Le premier round de négociations salariales vient de s’ouvrir dans un contexte conjoncturel favorable aux revendications syndicales. Le marché du travail a bien résisté au ralentissement mondial et à la récession qui frappe la zone euro. A 6,9% en février dernier, le taux de chômage allemand est proche de son point le plus bas depuis vingt ans alors que, dans la zone euro, il a atteint 12%, le plus haut depuis le début de la série en 1993. Dans la fonction publique, Ver.di et les représentants de 800 000 fonctionnaires ont déjà obtenu une augmentation des rémunérations de 5,6%, étalée sur deux ans, avec une première hausse rétroactive de 2,65% au 1er janvier 2013. En outre, les jeunes fonctionnaires bénéficieront désormais de la même garantie d’emploi que les autres ainsi que de 30 jours de vacances annuelles. Le puissant syndicat IG Metall réclame, quant à lui, une revalorisation des salaires allant jusqu’à 5,5%, tandis que IG Bau demande 6,6%. Habituellement, le résultat des courses est proche de la moitié des prétentions syndicales initiales.
Il s’agit, toutefois, d’une vision encore minoritaire en Allemagne, même si 40% des citoyens allemands, interrogés début avril dans l’hebdomadaire Focus, disaient comprendre les critiques qui sont adressées à l’Allemagne rendue responsable de tous les maux européens. L’orthodoxie budgétaire et la modération salariale demeurent les pierres angulaires de la politique économique allemande, comme en témoigne l’adoption du budget 2014 qui prévoit un déficit inférieur à EUR 7 milliards, un niveau jamais atteint depuis 2000, et un retour à l’équilibre structurel pour l’année prochaine.
NOTES
- Le conseil allemand des experts économiques est un groupe d’économistes créé en 1963 dans le but de conseiller le gouvernement fédéral et le parlement.
- “The macroeconomic impact of an increase in wages in NiGEM simulations” rapport mensuel février 2013.