par Franck Dixmier, Global CIO Fixed Income chez AllianzGI
- L’invasion des forces armées russes bouleverse la donne pour la Banque centrale européenne, dont le ton hawkish avait surpris lors de la dernière réunion.
- Face aux risques sur l’inflation et la croissance, nous estimons que la BCE devrait annoncer maintenir la normalisation de sa politique monétaire, mais en la repoussant dans le temps, et en modifiant la séquence annoncée précédemment, qui consistait à attendre la fin des achats d’actifs pour opérer une première hausse de taux.
- L’annonce du maintien des achats d’actifs et d’une première hausse de taux en fin d’année devrait être bien perçue par les marchés.
La dernière réunion de la Banque centrale européenne le 3 février avait laissé les investisseurs perplexes, notamment du fait de la différence notable entre le communiqué de presse et la conférence, durant laquelle Christine Lagarde avait adopté un ton offensif en réaction à une inflation toujours plus élevée. La présidente de la BCE avait toutefois donné rendez-vous aux marchés le 10 mars, souhaitant être munie de davantage de données pour préciser son calendrier de réduction des rachats d’actifs avant de prendre des décisions sur ses taux directeurs.
La clarification attendue n’aura pas lieu. L’invasion des forces armées russes en Ukraine a totalement changé la donne. La difficulté à prévoir son évolution et sa durée, ainsi que l’extension des sanctions, notamment à l’achat de pétrole et de gaz russe, entretient un niveau d’incertitude maximale quant aux conséquences économiques sur la zone euro en termes d’inflation et de croissance. La BCE doit toutefois présenter ses nouvelles prévisions économiques.
Or l’inflation a encore surpris à la hausse en février, avec 5,8% contre 5,6% attendu et une inflation « cœur » qui ne cesse de progresser, à 2,7%. La forte hausse des prix de l’énergie, mais aussi des matières premières et du blé suite à l’agression militaire, devrait agir comme une courroie de transmission supplémentaire, tandis que les effets de second tour (hausse des salaires) ne peuvent plus être écartés. Par ailleurs, la dépréciation de l’euro et la hausse des prix du pétrole et du gaz en dollar devraient renforcer la spirale inflationniste. Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a récemment annoncé que l’inflation ne ralentirait pas sous les 2% à moyen-terme, ce qui est une condition requise pour monter les taux. Il est clair désormais que le pic attendu mi-2022 devrait être repoussé dans le temps.
Côté croissance, l’inflation devrait agir comme une taxe sur la consommation, tandis que le climat d’incertitude devrait déprimer l’investissement et ne pas encourager la désépargne. Selon Philip Lane, le chef économiste de la BCE, la croissance européenne pourrait être imputée de 0,3% à 0,4% en 2022. Cela parait très conservateur.
Face au scénario d’une inflation en hausse et d’une croissance en baisse, avec un risque extrême d’entrer dans un scenario de stagflation, la BCE se trouve dans une situation complexe. Lors d’une conférence de presse au ministère français de l’Économie le vendredi 25 février, Christine Lagarde s’est dit prête à prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer la stabilité des prix et la stabilité financière en zone euro.
De fait, l’aversion au risque a entrainé un mouvement brutal sur les marchés, ainsi qu’un écartement des spreads de crédit et de la périphérie, ce qui équivaut à un durcissement des conditions financières. Elle doit également faire face à un désencrage des anticipations d’inflation face au choc énergétique. Le 5 ans dans 5 ans est désormais à 2,24%, et les breakevens 5 ans sur le Bund à 2,97%, soit 100pb de plus que début février.
Dans ce contexte, nous n’attendons pas de remise en cause de la volonté de normaliser une politique monétaire qui reste ultra accommodante. En revanche, le rythme de la normalisation devrait être adapté et repoussé dans le temps pour faire face à une situation incertaine. Nous estimons que la BCE devrait annoncer sortir de la séquence annoncée précédemment, qui consistait à attendre la fin des achats d’actifs pour opérer une première hausse de taux, tout en conservant une stratégie très flexible. La banque centrale devrait donc annoncer la poursuite des achats de titres, sans calendrier de fin, dans le cadre de l’APP afin de soutenir les économies face au choc récessif ; et mentionner une première hausse de taux en fin d’année afin de donner des gages sur sa lutte contre l’inflation.
Une BCE plus pragmatique que perçue lors de la réunion de février, plus dovish, et la désynchronisation entre hausse de taux et fin des achats de titres devraient être bien perçus par les marchés, qui désormais n’anticipent que trois hausses et demie d’ici fin 2023. Le put des banques centrales est toujours là, alors qu’on pouvait en douter à l’aune des récents discours. Dans une situation de crise, la BCE a toujours démontré sa capacité à soutenir l’économie et les marchés. Elle ne devrait pas déroger à cette règle.