par Léon Cornelissen, Lukas Daalder et Ronald Doeswijk, stratégistes chez Robeco
La Réserve fédérale a lancé un deuxième plan d’assouplissement quantitatif (QE2), légèrement supérieur aux 500 milliards de dollars attendus. Ce programme, qui pousse déjà les actions et les prix des matières premières à la hausse, et qui tire le dollar vers le bas, a coïncidé avec les signes d’accélération de la croissance dans le monde entier. Par exemple, les derniers indices PMI chinois et américain ont tous les deux dépassé les prévisions.
Ceci est de bon augure pour les cours des actifs risqués pour les prochains mois. Les principaux risques sont une dégradation de la crise de la dette dans la zone euro et un renforcement des tensions monétaires donnant lieu à des mesures protectionnistes. Les pays sont peu disposés à laisser leurs devises augmenter par rapport au dollar et résistent à d’énormes afflux de capitaux, potentiellement déstabilisants.
Le monde montre des signes d’accélération de la croissance après le ralentissement de mai 2010. La banque centrale américaine donne un élan supplémentaire en lançant un nouveau programme d’assouplissement monétaire, ce qui poussera certainement les autres banques centrales à suivre son exemple, d’une façon ou d’une autre. La BCE réticente fait face à de nouvelles tensions sur les marchés obligataires européens. La Banque du Japon doit freiner la vigueur du yen.
Amérique du Nord
Les données du PIB américain du troisième trimestre ont été modérées, avec une expansion de l’économie de 2% selon les chiffres préliminaires. Si ces 2 % semblent raisonnables dans le contexte actuel, l’essoufflement sous-jacent a été beaucoup moins favorable, l’accumulation des stocks étant l’un des principaux facteurs de croissance pour ce trimestre. Si l’on exclut les stocks, le PIB a gagné un maigre 0,6 % en valeur annualisée. Comme toujours, des révisions sont à prévoir, mais elles ne changeront pas radicalement le message sous-jacent : l’économie américaine a ralenti au troisième trimestre.
Voilà pour les mauvaises nouvelles. L’économie américaine semble avoir pris une meilleure voie au début du dernier trimestre. Les deux indices ISM se sont avérés plus élevés que prévu, l’indice ISM des producteurs affichant une hausse surprise de près de 3 points, pour atteindre 56,9 en octobre. Etant donné le niveau relativement élevé de liquidités actuellement sur les bilans du secteur des entreprises, cette amélioration du climat pourrait déclencher une stimulation très attendue des investissements. Les sous-indices concernant les nouvelles commandes, l’emploi et les exportations ont fortement augmenté, ces dernières étant probablement le résultat direct de l’affaiblissement prolongé du dollar et du rebond de l’activité économique sur les marchés émergents. Encore plus important : l’annonce de la nouvelle série de mesures de relance monétaire lancée par la Fed, mieux connue sous le nom de QE2. La Fed n’a pas opté pour une nouvelle approche choc ; les 600 milliards de dollars d’achats de bons du Trésor supplémentaires étaient à peine supérieurs aux 500 milliards de dollars attendus.
Néanmoins, c’est le caractère flou de l’annonce de la Fed qui est le plus marquant : la Fed va “ajuster le programme comme il se doit pour encourager au mieux l’emploi et la stabilité des prix”. Le message devrait être clair : la Fed ne va pas rester sans rien faire à regarder l’économie plonger dans une nouvelle récession. En adoptant cette approche, la Fed force les autres à faire de même, ou du moins à anticiper une forte appréciation de leur devise. Bien sûr, il existe, à plus long terme, toutes sortes de risques (inflation) et d’inconvénients (une mauvaise allocation des capitaux, étant donné que la Fed détiendra environ 25 % des obligations d’Etat américaines en circulation d’ici mi-2011) liés à cette politique. Mais à moyen terme, nous sommes passés d’un scénario de dépression/déflation à un scénario de croissance/inflation. Concernant les élections de mi-mandat, le message phare semble être la division croissante entre les différents partis, et en leur sein même. Globalement, le risque d'impasse sur différentes questions importantes semble avoir augmenté, ce qui signifie que c’est à la Fed de remettre l’économie américaine sur les rails.
Europe
Le gouvernement britannique, juste après avoir annoncé un programme de contraction budgétaire sans précédent, a dû être heureux de découvrir les chiffres étonnamment solides de la croissance britannique pour le troisième trimestre. Le PIB réel a enregistré une croissance de 0,8 %, contre une prévision de 0,4 %. Standard & Poor’s a confirmé la notation AAA du Royaume- Uni. La pression sur la Banque d’Angleterre pour renforcer les mesures de relance a diminué.
Menée par l’Allemagne, l’économie de la zone euro continue à se redresser. Mais si la production se renforce, la croissance du secteur des services se dégrade, indiquant une faible demande intérieure.
La zone euro reste donc fortement dépendante de la croissance des exportations. L’euro a été la devise la plus solide au cours des trois derniers mois, avec une hausse de 7,5 % contre le dollar américain, signifiant qu’un affaiblissement de la croissance devient probable. Les leaders européens se sont accordés pour que le filet de sécurité, jusqu’alors temporaire, devienne permanent, et pour lui donner une base juridique solide. Les hommes politiques ne laissent aucun doute quant au fait qu'un défaut de paiement ordonné sera une caractéristique du filet de sécurité permanent. Au moment de la rédaction, la BCE s’est abstenue d’acheter des obligations périphériques pendant trois semaines d’affilée. Dans un rare exemple de contestation ouverte du point de vue dominant du conseil dirigeant de la BCE, le président de la Bundesbank, Alex Weber, qui est pressenti comme le futur président de la BCE, a appelé à mettre fin à ce programme d’achat d’obligations. En introduisant un facteur d'incertitude dans la future politique de la BCE, Alex Weber contribue aux tensions persistantes au sein du marché obligataire de la zone euro.
Région Pacifique
L'économie japonaise continue de ralentir. Les espoirs de reprise au dernier trimestre ont été fermement (si ce n’est entièrement) placés sur une accélération de la croissance asiatique (lisez : chinoise). La production industrielle japonaise a diminué de 1,9 % d’un mois sur l’autre en septembre, soit la quatrième baisse d’affilée, tandis que la plupart des dépenses de consommation et les chiffres de vente au détail se sont avérés plus faibles que prévu. Avec une hausse du yen d'environ 5 % contre le dollar et de 3 % contre le yuan chinois depuis mi-septembre, on ne peut pas dire que les perspectives d’une forte reprise de l’activité industrielle s’améliorent. Le seul petit facteur positif est que le rythme de la déflation (0,6 % en septembre) ralentit. Pourtant, étant donné le renforcement constant du yen, il reste à voir combien de temps cette tendance va durer. Beaucoup de choses semblent donc dépendre de la croissance de la région (qui semble remonter) et de l’évolution future du yen. Face à une Fed qui se montre à tous les égards plus volontaire et plus agressive dans son approche QE2, les perspectives de la devise japonaise sont beaucoup moins positives. En fin de compte, c’est à la Banque du Japon de sortir de cette impasse. Jusqu’à présent, cependant, elle n’a pas souhaité, ni pu neutraliser, et encore moins contrer, l’impact des plans QE2 des États-Unis.
Même si les deux pays appartiennent à la même région, le Japon et l’Australie ont des caractéristiques opposées. L’économie australienne continue à prospérer, ce qui a poussé la Reserve Bank of Australia (RBA) à relever les taux d’intérêt à 4,75 % lors de sa dernière réunion mensuelle.
Cette décision a créé la surprise, étant donné que les derniers chiffres de l'inflation (trimestriels) se sont avérés légèrement plus faibles que prévu. Néanmoins, comme l’a expliqué la RBA, le chiffre de l’inflation était déprimé en raison de la « douceur inhabituelle des prix de l’alimentation », ajoutant que « l’inflation devrait augmenter dans les années à venir. » Un autre problème est la reprise de l’économie chinoise, qui stimule la demande de matières premières (australiennes). Si l’on en croit le ton du communiqué de presse de la RBA, il est évident qu'une nouvelle hausse dépendra fortement des données publiées dans les prochains mois.
Marchés émergents
L’indice chinois des directeurs d’achat pour le secteur manufacturier est en hausse pour le troisième mois d’affilée. L’inflation suit une tendance à la hausse, pour atteindre 3,6 % en septembre, mais la dynamique est en train de ralentir. Nous pensons que la solide croissance chinoise va se poursuivre, sans que l'inflation devienne un véritable problème. Un nouveau resserrement est peu probable dans les prochains mois. L’affaiblissement du dollar américain exerce une pression à la hausse sur de nombreuses devises des pays émergents. En Asie, les décideurs prêtent une attention particulière aux événements chinois, ce qui maintient le yuan à un niveau proche du dollar. L’embellie pourrait venir d'une réévaluation plus drastique du yuan contre le dollar par rapport aux 2,5 % qui ont été appliqués. Mais ce scénario semble peu probable. La pression va s’intensifier pour les restrictions de capitaux sur les autres marchés émergents, en particulier les plus petits.
L’Inde, qui n’a pas toujours reçu des afflux de capitaux étrangers par le passé et qui possède une devise flottante, s’abstiendra dans tous les cas de mettre en place des contrôles de capitaux. L’économie indienne maintient le cap actuellement. Heureusement, l'inflation des produits alimentaires est en train de diminuer. Un certain resserrement supplémentaire semble cependant inévitable dans l’année à venir.
Au Brésil, Dilma Rousseff — le successeur favori de Lula da Silva — a été élue présidente. Elle s’est engagée à réduire légèrement la dette nette. La production industrielle est freinée par un real fort. Un ralentissement de la croissance économique est à prévoir, et à espérer, car le Brésil a eu tendance à dépasser ses limites au cours de cette année électorale.
L’économie russe se porte bien, avec un taux de croissance proche de 5 % cette année grâce à une hausse des prix des matières premières. Nous ne prévoyons pas de ralentissement significatif de la croissance économique en 2011. L’adhésion de la Russie à l’OMC en 2011 est en train de devenir une possibilité (bien que l'élite russe semble divisée sur la question), mais l'impact sur la croissance devrait rester limité.