par Gautier Quéru, Directeur chez Mirova Althelia, responsable du projet de Fonds LDN
Une fois de plus la communauté scientifique sonne le signal d’alarme sur les conséquences terribles et irréversibles de l’activité humaine sur l’environnement. Le rapport de l’IPBES, publié le 27 mars 2018, met en lumière cet enjeu majeur qu’est la lutte contre la dégradation des terres, dont dépend à court terme notre bien-être, et à moyen terme la survie des espèces vivantes. Cette lutte est loin d’être perdue, mais le succès dépendra de la capacité de mobilisation rapide et massive, à l’échelle locale et globale, de tous les acteurs du monde économique et financier.
La biodiversité et le capital naturel comme nouvel enjeu planétaire
C’est à partir de 2001, à l’occasion de la publication du 3e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), que le grand public prend conscience du lien entre activité humaine, augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et changements climatiques. Le sujet du climat s’invite alors dans le champ politique, avec d’un côté l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto à partir de 2004 et, de l’autre sa contestation par certains Etats. Depuis lors, la lutte contre les changements climatiques, et en particulier la mise en œuvre d’une transition énergétique vers des sources renouvelables, se sont imposées dans les politiques publiques et les décisions des acteurs économiques.
Plus de 15 ans plus tard, c’est au tour de l’érosion de la biodiversité et la dégradation des écosystèmes et des ressources naturelles de faire l’objet d’une prise de conscience planétaire. Après de nombreux rapports dressant des constats alarmants sur la dégradation du capital naturel, et des campagnes de sensibilisations telles que le « Overshoot day » du WWF, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES en Anglais) vient de publier un rapport d’une envergure inédite sur l’évaluation de la dégradation des terres dans le monde.
Les chiffres sont éloquents et ont été largement repris dans la presse ces derniers jours : déclin du nombre d’espèces animales de 40 à 80% selon les écosystèmes entre 1970 et 2012, ; 10% de la surface terrestre à peine devrait être épargnée par l’activité humaine d’ici 2050 ; 3,2 milliards d’êtres humains sont directement affectés par la dégradation des écosystèmes. Le rôle de la dégradation des terres comme amplificateur des changements climatiques est également rappelé, ainsi que la vulnérabilité des écosystèmes à ceux-ci. Des terres dégradées font peser un risque sur la disponibilité de ressources essentielles, comme l’eau, et induisent des migrations forcées et de l’instabilité politique.
Ce rapport de l’IPBES sur l’état de la nature, le plus exhaustif à ce jour, permet de prendre la mesure véritable du rythme et de l’ampleur des dégâts sur la nature, causés, mais aussi subis, par les êtres humains, en soulignant les risques de désordre mondial pouvant s’ensuivre.
Il ne fait que renforcer la nécessité d’atteindre la cible déjà fixée dans les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies à horizon 2030 : la neutralité en matière de dégradation des terres, correspondant à un état où le développement est décorrélé de la dégradation des terres.
De la prise de conscience à l’action
Alarmant, mais pas fataliste, le rapport de l’IPBES souligne que des solutions existent et que les coûts de mise en œuvre restent – pour le moment – inférieurs aux bénéfices créés.
Si le rapport promeut en particulier des politiques publiques plus adaptées pour enrayer le phénomène de dégradation des terres, ainsi qu’une meilleure coordination des acteurs publics et une gouvernance plus adaptée, il convient également de souligner le rôle majeur que doivent et peuvent jouer la société civile et les acteurs économiques. Alors comment contrer la dégradation des terres ? Par une gestion durable des terres et des écosystèmes naturels, qui leur permette de se renouveler. Certains appellent cela des bonnes pratiques agricoles, d’autres l’agroécologie, d’autres encore évoquent une gestion territoriale intégrées. Quelle que soit la terminologie, le catalogue des solutions est là et bon nombre d’entre-elles ont été largement éprouvées. L’enjeu est désormais de les imposer en les faisant passer à l’échelle, de les imposer comme la norme plutôt que l’exception
A l’instar de la transition énergique, une transition agroécologique s’impose, impliquant de passer d’un mode de production non durable (surpâturage, monocultures, déforestation par abattis-brulis, surexploitation des terres) à un mode de production plus responsable.
A la suite de centres de recherche et d’organisations non-gouvernementale, le monde économique se mobilise de plus en plus sur ces sujets. Volontairement, peut-être, mais également poussé par la société civile et l’évolution des modes de consommation. Sur les marchés internationaux, la lutte contre la déforestation importée et le soutien en faveur de chaînes d’approvisionnement plus responsables crée une impulsion et induit une transformation progressive des modes de production. La certification et la labellisation des produits peut contribuer à améliorer la situation. Ce mouvement doit s’accélérer et s’amplifier.
Le rôle clé de la finance
La sphère financière doit accompagner cette transition agroécologique, comme elle l’a fait et continue de le faire pour la transition énergétique. Partout dans le monde, des opérateurs compétents, souvent appartenant aux jeunes générations subissant de plein fouet les mutations écologiques actuelles, promeuvent des solutions adaptées à leurs territoires et sont en recherche de financement. Si les institutions de développement les soutiennent largement, l’argent public ne pourra suffire. Le secteur financier doit, et peut, se saisir du sujet et construire des solutions.
La finance durable est en marche. Le récent plan d’action de la Commission européenne en témoigne, et l’on peut espérer que dans son sillon, des offres de financement nouvelles dédiées à des projets de gestion durable des terres et d’agroécologie se développent. Il faudra que les acteurs financiers montent en expertise sur ces sujets, nouveaux pour eux, et collaborent étroitement avec les centres de recherche et les acteurs spécialisés. Du fait des niveaux de risques pouvant être perçus comme plus élevés par les investisseurs, une phase de transition sera nécessaire, au cours de laquelle des financements publics et privés se combinent apparaît nécessaire.
L’un des pionniers de la finance durable, Mirova a fait de la lutte contre la dégradation des terres et la gestion durable du capital naturel l’une de ses priorités. C’est le sens de l’initiative LDN, que Mirova a mis en œuvre avec la Convention des Nations-Unies pour la Lutte contre la Désertification. Ce projet de fonds innovant vise à mobiliser des capitaux publics et privés pour financer des projets de gestion durable des terres et de restauration de terres dégradées. L’enjeu est de démontrer la pertinence d’un modèle économique permettant de préserver les terres, et de contribuer ainsi à l’émergence d’une nouvelle classe d’actifs capable d’alimenter la transition agroécologique, désormais vitale.