par Catherine Stephan, Economiste chez BNP Paribas
• L’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 avait été assortie de plusieurs dispositions, le temps que le pays libéralise son économie.
• L’article 15 (a) (ii) du protocole permettait aux pays membres de l’OMC refusant d’octroyer le statut d’économie de marché à la Chine de choisir la méthode de calcul des prix de référence pour décider des cas de dumping.
• Cet article a expiré le 11 décembre dernier. Certains membres de l’OMC sont donc contraints de revoir leur stratégie de défense contre le dumping. C’est le cas en particulier de l’Union européenne, qui a noué des relations commerciales étroites avec la Chine au cours des quinze dernières années.
La Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) en décembre 2001 dans le but de tirer avantage des accords commerciaux négociés par ses membres. Cette adhésion a toutefois été assortie de plusieurs dispositions, le temps que le pays libéralise son économie.
Les membres de l’OMC, qui refusaient d’octroyer le statut d’économie de marché à la Chine, pouvaient ainsi choisir la méthode de calcul des prix de référence pour décider des cas de dumping, pratique qui consiste, pour une entreprise, à exporter un produit à un prix inférieur à sa valeur normale, c’est-à-dire au prix pratiqué « au cours d'opérations commerciales normales pour le produit similaire destiné à la consommation dans le pays exportateur »1.
L’article 15 (a) (ii) du protocole d’accession de la Chine à l’OMC offrait cette possibilité aux membres de l’organisation. Il prévoit en effet que « le Membre de l'OMC importateur pourra utiliser une méthode qui ne sera pas fondée sur une stricte comparaison avec les prix ou les coûts intérieurs en Chine si les producteurs faisant l'objet de l'enquête ne peuvent pas démontrer clairement que les conditions d'une économie de marché existent dans la branche de production du produit similaire en ce qui concerne la fabrication, la production et la vente de ce produit. »
Cet article a expiré le 11 décembre 2016. Sa seule suppression ne devrait pas contraindre les pays membres de l’OMC qui ne l’ont pas encore fait à reconnaître la Chine comme une économie de marché. Toutefois, ceux-ci devront revoir leur stratégie de défense contre le dumping. C’est le cas en particulier de l’Union européenne (UE), qui a noué des relations commerciales étroites avec la Chine au cours des quinze dernières années (près de 20% de ses importations de marchandises en 2015). Leurs relations commerciales font, en effet, l’objet de nombreux litiges. La Chine totalise à elle seule près de 58 des 74 mesures antidumping européennes actuellement en vigueur.
De l’importance du choix de la méthode de calcul
L’article 15 (a) (ii) offrait des marges de manœuvre à l’UE pour déterminer la méthode de calcul des prix de référence et décider des cas de dumping. L’UE, qui ne reconnaissait pas le statut d’économie de marché à la Chine, pouvait utiliser sa propre méthode, à savoir celle du « pays analogue ». Les prix sont alors comparés à ceux observés dans un pays tiers à économie de marché. Ce mode de calcul est plus avantageux que la méthode générale de l’OMC utilisée lorsque le pays exportateur est une économie de marché. Celle-ci consiste principalement à examiner les coûts de production ou les prix du marché intérieur du pays en question2 pour estimer la valeur normale.
On a pu en prendre la mesure lorsque l’UE a appliqué à titre d’exception le traitement d'économie de marché (TEM) à des entreprises exportatrices individuelles chinoises qui démontraient qu'elles fonctionnaient dans les conditions d'une économie de marché. Les droits antidumping, alors calculés sur la base des prix chinois, étaient nettement inférieurs à ceux qui auraient résulté d’une pratique non différenciée. Les prix résultant de ce traitement ont, en effet, été en moyenne inférieurs de 30 % aux prix calculés selon la procédure du « pays analogue ».
La riposte de l’Union européenne
L’expiration du seul article 15 (a) (ii) en décembre dernier sème une certaine confusion sur la procédure antidumping à suivre désormais à l’encontre de la Chine, premier exportateur mondial de marchandises.
Le reste du protocole l’objet fait, en effet, l’objet de diverses interprétations. La seule suppression de l’article 15 (a) (ii) n’obligerait notamment pas les pays membres de l’OMC à reconnaître la Chine comme une économie de marché, prérogative qui relève non pas de l’OMC mais de la seule compétence de ses Etats membres.
L’UE semble pour l’instant peu encline à le lui octroyer. Le Parlement européen, qui a sur ce sujet un droit de codécision avec le Conseil européen, a adopté une résolution en ce sens en mai 2016. Il refuse, en effet, l’octroi de ce statut jusqu’à ce que la Chine remplisse les cinq critères établis par la Commission européenne, notamment celui de ne pas bénéficier d’intervention significative de l’Etat. Les prix doivent par ailleurs refléter l’offre et la demande, et les opérations de change doivent être exécutées aux taux du marché.
Un changement de méthodologie
Le changement de méthodologie n’en demeure pas moins obligatoire en raison de la suppression de l’article 15 (a) (ii). La Commission européenne, qui souhaite à la fois se conformer aux règles de l’OMC et conserver des outils pour lutter contre le dumping, a donc proposé, en novembre 2016, plusieurs amendements au règlement actuellement en vigueur.
Elle propose une nouvelle méthode des prix de référence pour décider des cas de dumping. Celle-ci s’appliquerait à l’ensemble des pays membres de l’OMC et viserait à prendre en compte les distorsions de marché imputables à une implication trop forte des Etats dans l’économie. La méthode du « pays analogue » serait seulement appliquée aux pays qui ne sont ni des économies de marché, ni membres de l’OMC.
Plusieurs éléments seront passés en revue tels que les politiques des Etats et leurs effets, le poids des entreprises publiques, les discriminations en faveur des entreprises nationales et l’indépendance du secteur financier. La Commission européenne tient par ailleurs à mieux évaluer les subventions accordées par les Etats. Lorsque des distorsions seront mises en évidence, la Commission européenne propose d’estimer la valeur normale à partir des prix ou coûts internationaux non biaisés, ou de se référer aux coûts de production ou prix de vente observés dans un pays qui a un niveau de développement proche à celui du pays exportateur. Le prix calculé doit par ailleurs inclure des coûts administratifs, de commercialisation, des frais généraux et une marge bénéficiaire raisonnables.
Cette méthodologie devrait aboutir, selon la Commission européenne, à des droits antidumping comparables à ceux actuellement en vigueur. La Commission envisage, par ailleurs, de ne plus appliquer la « règle du droit moindre » dans les cas de distorsions concernant les matières premières. Selon cette règle, les droits antidumping équivalent à la marge de dumping ou au niveau d'élimination du préjudice, si ce dernier est plus faible. Les droits antidumping sont donc nettement moindres en Europe que notamment aux Etats-Unis, où cette « règle du droit moindre » ne s’applique pas. A titre d’exemple, les droits antidumping sur certains produits laminés à froid en provenance de Chine sont en moyenne de 21,1% au sein de l’UE et de 266% aux Etats-Unis.
Certains pays européens, tels que l’Allemagne, la Suède et les Pays- Bas, davantage favorables au libre-échange, redoutent que ce projet nuise aux relations commerciales de l’UE avec la Chine, et ce d’autant plus que la Commission européenne continuera à appliquer les règles en vigueur avant le 11 décembre 2016 en attendant l’adoption définitive de ces amendements. Ce statu quo a d’ailleurs déjà amené la Chine à porter plainte auprès de l’OMC, le 12 décembre dernier, contre l’UE et les Etats-Unis au sujet des méthodes de comparaison des prix suite à l’expiration de l’article 15 (a) (ii).
Ce projet pourrait cependant obtenir un soutien suffisant. L’UE doit en effet prendre en compte l’inquiétude croissante de l’opinion publique à l’égard de la concurrence déloyale et des pratiques qui ont cours dans les autres pays, en particulier aux Etats-Unis, lesquels se refusent à accorder le statut d’économie de marché à la Chine. En effet, une différence de traitement entre l’UE et les Etats- Unis entrainerait vraisemblablement des distorsions, compte tenu de leur poids respectif dans le commerce mondial (14,4%3 et 17,3% des importations mondiales de marchandises en 2015).
ENCADRE Les cinq critères définis par la Commission européenne pour qu’un pays obtienne le statut d’économie de marché
- les décisions des entreprises concernant les prix et les coûts des intrants, par exemple des matières premières, de la technologie, de la main-d'œuvre, de la production, des ventes et des investissements, sont arrêtées en tenant compte des signaux du marché reflétant l'offre et la demande et sans intervention significative de l'État à cet égard, et si les coûts des principaux intrants reflètent en grande partie les valeurs du marché,
- les entreprises utilisent un seul jeu de documents comptables de base, lesquels font l’objet d’un audit indépendant conforme aux normes comptables internationales et sont utilisés à toutes fins,
- les coûts de production et la situation financière des entreprises ne font l'objet d'aucune distorsion importante induite par l'ancien système d'économie planifiée, notamment en relation avec l'amortissement des actifs, d'autres annulations comptables, le troc ou les paiements sous forme de compensation de dettes,
- les entreprises concernées sont soumises à des lois concernant la faillite et la propriété, qui garantissent aux opérations des entreprises sécurité juridique et stabilité et
- les opérations de change sont exécutées aux taux du marché.
Source : Commission européenne
NOTES
- « Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 » de l’OMC
- Si cette méthode n’est pas applicable, un pays peut considérer le prix pratiqué par l’exportateur dans un autre pays ou calculer le prix d’après les coûts de production de l’exportateur, d’autres dépenses et la marge bénéficiaire raisonnable.
- A l’exclusion du commerce intra-UE (28). Données de l’OMC