Vers la fin de la politique monétaire à taux zéro ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Lors de sa première conférence de presse à l’issue du FOMC du 27 avril, Ben Bernanke a révélé plusieurs points intéressants qui n’auraient été connus que dans trois semaines lors de la Publication des Minutes en l’absence de cette nouvelle formule.

D’une part, les projections actualisées de la Fed ont été publiées montrant une révision à la baisse des prévisions de croissance par rapport à janvier. Ainsi la tendance centrale prévoit un PIB entre 3,1% et 3,3% en fin d’année 2011 (GA T4) contre 3,4% à 3,9% en janvier dernier. Parallèlement et sans surprise, l’inflation a été revue à la hausse avec une fourchette de 2,1%/2,8% vs 1,3%/1,7% précédemment. Par ailleurs, la conférence de presse a permis à Bernanke d’expliquer les raisons de ces révisions (principalement une croissance plus faible au premier trimestre qui est d’ailleurs ressortie à 1,8% en rythme annualisé). 

Enfin, la session de questions-réponses a également été l’occasion pour le Président de la Fed de dire que le programme de réinvestissement des tombées de MBS allait se poursuivre après juin (de façon à ne pas resserrer la politique monétaire en réduisant la taille du bilan), que l’annonce de l’arrêt de ce programme serait le premier signal donné par la Fed pour resserrer sa politique monétaire et que l’expression « extended period » du communiqué signifiait une absence de hausse de taux pendant un « couple1 » de comités. Il semble donc que la tenue de conférences de presse permette de faire passer des messages difficiles à intégrer dans un communiqué, améliorant ainsi la communication et la transparence de la Fed2 .

La perception de la Fed n’a guère évolué sur le front de la croissance et de l’inflation suggérant qu’elle n’est pas dans l’urgence pour changer de cap de politique monétaire. Le discours de la Fed devrait progressivement évoluer au cours du second semestre de cette année. Selon nous, elle attendra tout l’été avant d’annoncer un éventuel arrêt du réinvestissement des MBS de façon à appréhender l’effet sur les taux de la fin du QE2 (programme d’achats de titres du Trésor pour 600Md$ qui doit se terminer fin juin 2011). Une annonce en septembre ou novembre nous paraît assez probable et le « extended period » pourrait être retiré en novembre suggérant une hausse du taux des Fed funds dès janvier 2012, ce qui n’est pas anticipé par le marché pour le moment. Nous ne sommes pourtant pas plus optimistes sur la croissance américaine que la vue consensuelle, bien au contraire (2,5% en 2011 vs 2,9% pour le consensus), les effets négatifs sur la croissance du choc pétrolier étant, à notre avis, encore sous-estimés. Les mois qui viennent pourraient être ponctués par des révisions en baisse de la croissance américaine, phénomène qui a déjà commencé (prévision du consensus à 3,2% début 2011).

Pour autant, nous pensons qu’avec une croissance de l’ordre de 2,5% au S2-2011, un taux de chômage restant sur une tendance légèrement baissière et un prix du pétrole encore élevé (110 dollars pour le brent en fin d’année), la Fed pourrait souhaiter sortir de sa politique monétaire à taux 0 (après 3 ans). En effet, d’une part, après un point bas à 0,6% en octobre 2010, l’inflation sous-jacente va continuer d’être orientée à la hausse pour atteindre 1,6% fin 2011, le renchérissement des matières premières étant de plus en plus considéré comme durable, impliquant une répercussion dans les prix des produits finis. En revanche, nous restons toujours sceptiques sur de potentiels effets de second tour liés à une indexation des salaires.

D’autre part, du fait du maintien du prix des matières premières à un niveau élevé (prix du pétrole à 114$ le baril en moyenne en 2012), la Fed pourrait être obligée de resserrer sa politique monétaire pour garantir un ancrage des anticipations d’inflation. Pour le moment, ces dernières se maintiennent à des niveaux acceptables : les anticipations des ménages (Université du Michigan) restent modérées (2,9%), les anticipations du marché (point-mort inflation forward 5 ans dans 5 ans, point-mort inflation 10 ans) sont élevées (respectivement à 3% et 2,6%) mais ne sortent pas des fourchettes historiques. De plus, on observe une inversion de la courbe des point-mort inflations, reflétant la vue du marché que le choc inflationniste est temporaire.

Un tel scénario de remontée des taux n’est actuellement pas anticipé par le marché puisque le début du resserrement monétaire américain n’aurait lieu, d’après les contrats Fed funds, qu’à partir du printemps 2012. Le marché pourrait donc corriger ses anticipations à l’automne en avançant le début du resserrement monétaire.

NOTES

  1. « couple of meetings »
  2. Cf. Edito de EcoHebdo du 01/04/2011 « Le Fed sur les pas de la BCE? »

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