Vers la stagflation ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La propagation de l’instabilité politique ces dernières semaines, en particulier en Libye, a provoqué une forte augmentation du prix du pétrole depuis le début de l’année (Brent à 94,7$ le baril le 3/01) avec une accélération ces derniers jours pour atteindre 114$ le baril le 24/02. Si l’envolée récente du prix du pétrole est complètement liée à un risque de choc d’offre, il semble cependant qu’étant donné l’importance de la demande avec une offre s’adaptant lentement, le prix du pétrole pourrait rester durablement plus élevé que ce nous anticipions précédemment (autour de 95$ le baril au second semestre 2011 et en 2012 vs 80$ avant). Ce changement de prévision du prix du pétrole a de nombreuses implications pour notre scénario macroéconomique.

Quelles sont les principales conséquences pour les économies et les banques centrales d’un prix du pétrole plus cher plus longtemps ?

Le maintien du prix du pétrole proche de 100$ le baril implique que le choc sur l’inflation ne sera finalement pas temporaire. Exit le retour sous 2,0% de l’inflation de la zone euro dès le deuxième trimestre. L’inflation va donc rester durablement plus élevée que précédemment anticipé. La question de fond reste toujours l’occurrence ou non d’effets de second tour via les salaires. Si le pétrole reste proche de 100$ le baril en 2011, nous continuons de penser que les effets sur les salaires vont s’avérer modérés alors que le taux de chômage est encore élevé. Pour autant, les entreprises pourraient transmettre une partie de la hausse du prix de leurs inputs dans leur prix de vente. Au total, il n’y aurait pas de spirale inflationniste (boucle prix-salaires) mais il y aurait malgré tout une inflation sous-jacente plus forte. Une inflation plus élevée a pour conséquence une ponction sur le revenu national des pays importateurs nets de pétrole comme les Etats-Unis ou la zone euro. Les salaires réels seront plus faibles engendrant un ralentissement de la croissance. Finalement, ce sont les ménages qui vont payer la facture du choc sur le revenu national. Les marchés du travail ne s’amélioreront guère. Au total, les économies américaine et de la zone euro pourraient se rapprocher d’un équilibre de type stagflationniste.

Dans ce contexte d’une remontée de l’inflation sous-jacente et de la disparition du risque de déflation et en dépit d’une croissance encore faible, les banques centrales souhaiteront commencer à normaliser leur politique monétaire pour sortir des politiques monétaires extraordinairement accommodantes. Une remontée plus rapide des taux directeurs (été 2012) pourrait avoir lieu (vs début 2013 dans notre précédent scénario) aux Etats-Unis comme dans la zone euro. Le refi atteindrait 1,50% fin 2012 alors que l’objectif des Fed funds serait porté à 1%. Il est peu probable cependant que les banques centrales sortent de leur politique non conventionnelle rapidement (maintien de l’allocation illimitée des MRO du côté BCE; maintien de la taille du bilan Fed avec la poursuite du réinvestissement des tombées des MBS en titres du Trésor).

Quelles conséquences pour les taux longs ?

Les taux longs pourraient rester sur leur tendance haussière mais de façon différenciée des deux côtés de l’Atlantique et se situeraient toujours à un niveau relativement faible dans une perspective historique.

La remontée des taux longs depuis l’automne dernier reflète en partie une hausse des anticipations d’inflation (les point-mort inflations ont gagné 90pb aux Etats-Unis et 70pb dans la zone euro). Avec l’idée que les banques centrales ne perdent pas leur crédibilité dans la lutte contre l’inflation et l’absence d’effet de second tour, la prime inflation dans les taux longs ne devrait plus sensiblement augmenter. Les anticipations de hausses de taux courts ont en théorie un effet haussier sur les taux longs mais c’est déjà le cas dans la zone euro, moins aux Etats-Unis. Enfin, les taux longs américains pourraient être affectés par l’arrêt de la monétisation de la dette publique par la Réserve Fédérale à partir de juin 2011 (en l’absence de QE3), avec la baisse de la demande de titres du Trésor à offre toujours abondante (déficit public de 10% en 2011). Dans la zone euro, compte tenu des anticipations de hausses de taux courts trop agressives en 2011 selon nous, la courbe pourrait se re-pentifier quelque peu au second semestre 2011 alors qu’aux Etats-Unis, la pente pourrait rester inchangée du fait de la remontée simultanée des taux 2 et 10ans.

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