par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions de Dexia Asset Management
Les statistiques économiques meilleures que prévu et la détermination sans faille de la FED créent certes des conditions financières plus favorables, mais les investisseurs ont tendance à beaucoup trop considérer la deuxième phase d’assouplissement quantitatif (« QE2 ») comme un avantage sans aucune contrepartie pour les actifs risqués. Certains parlent même d’une nouvelle situation économique satisfaisante généralisée (« sweet spot ») pour les actions dans la mesure où le ralentissement de l’activité n’a été rien d’autre qu’une simple pause dans le cycle durable de la reprise et où des taux d’intérêt réels négatifs sont particulièrement de bon augure pour les actions.
Aveuglés par cette seconde phase d’assouplissement quantitatif, les investisseurs ont ainsi en grande partie fait fi du retour sur le devant de la scène de la crise de la dette souveraine, comme en ont témoigné les nouveaux niveaux record atteints par les spreads de la dette irlandaise et portugaise. La situation a semblé connaître une amélioration après le sauvetage résolu de la Grèce au début du mois de mai et la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF). La situation couvait depuis un certain temps dans les pays périphériques, en l’occurrence en Irlande et au Portugal. Depuis mai, des changements sont intervenus. L’Allemagne a plaidé en faveur d’un fonds de sauvetage permanent (le FESF était supposé prendre fin en décembre 2013) afin de prendre le relais du FESF. Bonne nouvelle s’il en est, mais dans le cadre de l’accord, les autorités allemandes ont également souhaité que les détenteurs d’obligations ne soient pas les seuls à assumer tout le risque et acceptent une marge de sécurité dans l’éventualité où un pays en vient à être aux prises avec des difficultés budgétaires. L’Allemagne a essayé d’imposer l’application d’une taxe au moyen de laquelle l’Union européenne pourrait sanctionner un pays ne respectant pas ses objectifs de déficit. Nous avons à plusieurs reprises indiqué que le risque souverain allait subsister pendant un certain temps si seules des solutions à court terme étaient mises en œuvre en lieu et place des nécessaires réformes structurelles.
Les investisseurs ont également fait abstraction du revers de la médaille du « QE2 » qui a pris la forme d’un regain de tensions sur le marché des changes. Presque chaque grande économie cherche, d’une façon ou d’une autre, à limiter le risque de sa devise ou même à la faire baisser afin d’offrir un certain ballon d’oxygène à ses exportations et l’assouplissement des banques centrales a, en règle générale, eu pour conséquence de pousser une devise à la baisse.
La seconde vague d’assouplissement quantitatif est susceptible de se traduire par des flux de capitaux encore plus importants en direction des pays émergents qui, selon nous, auront bien des difficultés à les contenir. Tout donne ainsi à penser que ces afflux de capitaux ont de grandes chances de faire s’accroître la masse monétaire dans ces pays où les conditions monétaires sont déjà extrêmement accommodantes. En conséquence de quoi, les marchés émergents, particulièrement ceux d’Asie hors Japon, sont en passe de connaître une bulle des actifs, bulle dont nous ne sommes peut-être qu’au tout début.
Si suivre la situation de la demande finale est toujours important, nous sommes néanmoins convaincus que ce sont les anticipations inflationnistes qui constitueront le principal indicateur à surveiller pendant un certain temps. Le mécanisme le plus important pour que l’assouplissement quantitatif fonctionne continue d’être des prévisions d’une accélération de l’inflation ou la disparition des anticipations déflationnistes. En abaissant les taux d’intérêt et la valeur des devises, de même qu’en augmentant la masse monétaire, les banques centrales orientent ainsi à la hausse le risque d’une poussée de l’inflation à l’avenir. De plus, compte tenu des niveaux d’endettement aussi élevés, les autorités monétaires dans leur ensemble sont bien plus susceptibles de vouloir faire en sorte que l’inflation s’accélère plutôt que de laisser le risque déflationniste s’ancrer durablement.
Le « QE2 » a déjà eu les effets attendus sur les prix des actifs et les anticipations inflationnistes. Dans ces conditions, les marchés d’actions se retrouvent à court de munitions à court terme et vulnérables à toute nouvelle source de déception, surtout sur le front du risque souverain et de ses conséquences sur le système bancaire. Restaurer la confiance est toujours indispensable à la reprise des marchés et la deuxième phase d’assouplissement quantitatif est loin d’être la panacée. Des multiples de valorisation modestement à deux chiffres sont le témoignage du manque de confiance des investisseurs et de prévisions d’un scénario de marché défavorable reflétant soit une inflation excessive soit une déflation. Les bénéfices des entreprises sont de bonne facture et même meilleurs que ce que l’on avait pu le plus souvent craindre. En conséquence, ce ne sont pas les bénéfices qui constituent le sujet de préoccupation, mais plutôt leur viabilité et la capacité des autorités monétaires à parvenir à créer un environnement propice à la confiance.
Une situation économique satisfaisante généralisée (« sweet spot ») pour les actions n’est pas un vœux pieux, mais des avantages sans contrepartie et plus de réformes structurelles seront nécessaires à un retour durable des investisseurs finaux sur les marchés d’actions qui, dans leur grande majorité, se montrent encore peu convaincus du caractère positif de la prochaine décennie pour les actions. Alors que le cycle économique n’est pas si déplorable, une politique monétaire proactive et énergique ne pourrait-elle pas, au final, apporter plus de problèmes que de solutions aux marchés d’actions ?
La vie après le « QE2 »
La deuxième vague d’assouplissement quantitatif sera efficace pour les actifs risqués ou, d’une manière générale, pour les actifs financiers, mais le sera-t-elle pour l’économie réelle ? Va-t-elle favoriser les créations d’emplois ? La Banque du Japon achète déjà un large éventail d’actifs et non simplement des emprunts d’État. Si l’impression de monnaie induite par l’assouplissement quantitatif se révèle être de grande envergure, elle pourrait finir par sérieusement exacerber la hausse des prix des actifs. L’ampleur du mouvement de désendettement que doivent surmonter les banques centrales dans le cadre de leurs tentatives de relance de l’économie a attisé les aspirations de plus de mesures monétaires non conventionnelles. Peut-être nous dirigeons-nous vers un monde dans lequel l’assouplissement quantitatif utilisé de façon permanente va devenir monnaie courante.
Les minutes de la dernière réunion du FOMC ont mis en évidence l’intensification du débat parmi les membres de la Fed autour de l’adoption d’un biais accommodant. Les conditions d’un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire et les « multiples approches possibles pour parvenir à cet assouplissement supplémentaire » ont été débattues. Comme toujours en matière de politique monétaire, la communication est la clé. La Réserve fédérale devrait clarifier son objectif d’inflation. Les membres du comité de politique monétaire ont convenu que de nouvelles mesures monétaires seraient « plus efficaces si elles étaient instituées dans un cadre clairement expliqué au grand public ».
Le langage utilisé par la Fed lie étroitement la poursuite de ses achats à ses objectifs d’inflation
Il est encore impossible de se prononcer sur l’efficacité de cette nouvelle initiative monétaire, mais certaines remarques valent néanmoins d’être notées. La courroie de transmission entre la politique monétaire accommodante et le marché immobilier résidentiel est rompue et c’est pourtant généralement l’un des liens les plus solides afin de donner un coup de fouet à une reprise économie. En moyenne, le marché immobilier a ajouté 0,9 % à la croissance trimestrielle grâce à la seule construction résidentielle au cours de la première année d’expansion ayant fait suite à chacune des reprises intervenues auparavant depuis 1960. Cette nouvelle phase de politique monétaire non conventionnelle comporte bel et bien de considérables risques, mais faire pencher la balance en faveur de l’inflation devrait permettre de renforcer l’attractivité des actions en tant qu’actifs réels par rapport aux obligations en tant qu’actifs nominaux. Au-delà de toute logique, la décision de la Fed relève plutôt d’une stratégie politique plutôt que d’une décision financière.
La vague de liquidités
Alors que la liquidité est déjà plus qu’abondante dans l’économie, pour quelle raison la Réserve fédérale se lance-t-elle dans une seconde phase d’assouplissement quantitatif ? La Réserve fédérale se retrouve prise à son propre jeu en suscitant des espérances qu’elle pourrait décevoir si le « QE2 » ne parvient pas à restaurer la confiance des entreprises, mais il semble cependant que faire quelque chose est toujours mieux que de ne rien faire, particulièrement compte tenu du niveau élevé des attentes. Nous pensons sincèrement que la Réserve fédérale va continuer d’acheter des obligations jusqu’à ce que l’inflation repasse au-dessus du seuil de 2 %. L’augmentation de la liquidité à l’échelle mondiale est impressionnante, et ce, même si l’Europe semble commencer à faire cavalier seul en adoptant une stratégie inverse.
La liquidité n’étant plus le problème contrairement à la situation qui prévalait en mars 2009, elle ne saurait donc être la solution. En outre, une liquidité trop abondante commence en elle-même à devenir un problème.
Les effets négatifs d’une seconde phase d’assouplissement quantitatif peuvent aller bien au-delà de l’analyse coût- avantage faite par Ben Bernanke lors de son discours à Jackson Hole. Le président de la Réserve fédérale y a mis en évidence deux risques principaux accompagnant de nouveaux achats de valeurs mobilières à long terme.
Premièrement, la banque centrale ne connait pas avec précision l’effet des changements dans les titres qu’elle détient sur les conditions financières. La principale conséquence serait probablement d’accélérer la hausse des prix des actifs et les conditions propices à la formation d’une bulle du crédit : des rendements peu élevés à l’échelle mondiale, des spreads de crédit réduits et une demande de crédit excédentaire par rapport à l’offre. Le deuxième risque se rapporte à la confiance à l’égard de la capacité de la Réserve fédérale à sortir de sa politique monétaire accommodante et à diminuer la taille de son bilan. A lui seul, l’assouplissement quantitatif apparaît incapable de conduire à une croissance du crédit, alors même que le problème à l’heure actuelle n’est plus du côté de l’offre, mais bien de la demande. La majeure partie de l’augmentation du bilan de la Fed demeure sous la forme de liquidités et non de prêts.
Les prêts bancaires
Les prêts bancaires figurent au nombre des indicateurs clés à surveiller afin d’évaluer si oui ou non l’assouplissement quantitatif a un impact positif sur l’économie réelle. Dans son dernier communiqué, la Réserve fédérale a retiré la phrase « les prêts bancaires ont continué à baisser », de même que l’indicateur composite d’UBS a montré que les conditions d’octroi des crédits s’étaient assouplies au troisième trimestre après quatre années de durcissement. Si l’enquête révèle une poursuite de cette amélioration lors de sa publication d’ici les deux à trois prochains jours, elle permettra ainsi d’étayer un peu plus la probabilité d’une croissance de la production et d’une amélioration de la situation de l’emploi au cours des trimestres à venir.
Outre l’augmentation des prix des matières premières, l’effet le plus visible de l’assouplissement quantitatif est la vague de liquidités frappant des marchés émergents qui n’en avaient nul besoin. Les nouveaux prêts accordés dans les économies émergentes renouent déjà avec les très forts taux de croissance qui étaient les leurs en 2007, alors même que la reprise du crédit n’est toujours pas au rendez-vous dans les pays développés.
Le point le plus important découlant de la seconde vague d’assouplissement quantitatif est celui concernant les devises. En effet, les investisseurs commencent à soupçonner que la baisse des devises dans les pays prenant des mesures d’assouplissement quantitatif tels que le Royaume-Uni ou les États-Unis aura des répercussions sur la compétitivité ailleurs. Dans le passé, certaines tentatives d’assouplissement quantitatif se sont révélées être efficaces, mais également plutôt isolées. Mais, cette fois-ci, compte tenu du nombre important de pays à se lancer dans un programme d’assouplissement quantitatif en même temps, abaisser les taux de change va constituer un facteur de transmission décisif et, ce faisant, atténuer son impact potentiel dans le même temps.
Dans ces conditions, au moment où les marchés s’inquiètent d’un retour de l’assouplissement quantitatif, le risque d’un contrôle des capitaux dans les pays émergents se fait plus menaçant. Le risque inflationniste qui va revenir sur le devant de la scène au cours des prochaines semaines est jusqu’à présent en grande partie passé sous silence par les investisseurs. L’IPC s’établit désormais à 4,4 % en Chine, contre 3,6 % le mois dernier. De nouveaux relèvements des taux d’intérêts sont plus que probables et les investisseurs font preuve d’une bien trop grande insouciance à cet égard. Ils devraient ne pas oublier l’une des principales règles empiriques de base appelée la trinité impossible : dans un contexte de liberté des capitaux, une politique monétaire indépendante ne peut pas coexister avec des taux de change fixes. La situation est devenue intenable mais, jusqu’à présent, les pays asiatiques répugnent à laisser leurs devises s’apprécier face au dollar américain. De nouvelles tensions commerciales ou de change semblent donc probables.
Le dilemme entre valeurs de croissance et décotées
Le débat entre les valeurs de croissance et celles sous-évaluées n’a jamais été aussi intense. Cette année, le style de croissance a constitué le plus performant, et ce, même si le style « value » a tendance à surperformer en période de reprise économique. A mesure que la croissance s’élargit, les investisseurs sont à même d’acheter de la croissance à bon marché. Mais cette fois-ci, les investisseurs partent du principe que la croissance suit une tendance anémique ou, sans aucun doute, différente et qui ne s’élargit clairement pas. La ruée sur les valeurs de croissance a marqué une pause entre les mois d’avril et de juin lorsque les inquiétudes déflationnistes et la crise de la dette souveraine étaient à leur paroxysme. Depuis les deux ou trois dernières semaines, le rythme de l’économie s’est accéléré et certains indicateurs avancés, tels que l’indice ISM, atténuent les craintes de voir le ralentissement économique conduire l’économie américaine à replonger dans la récession. L’assouplissement quantitatif en soi encourage l’appétit pour le risque et le positionnement des investisseurs est tel que toutes les conditions devraient être réunies pour voir le style « value » rebondir au cours des quelques prochaines semaines. Ou, nous devrions tout au moins observer un certain retour vers la moyenne.
Mais le « QE2 » complique également la donne. La deuxième vague d’assouplissement quantitatif a pour objectif de renforcer les anticipations inflationnistes et il est encore impossible de se prononcer sur l’efficacité de cette politique monétaire non conventionnelle sur l’économie réelle. La visibilité et la confiance dans le système ne se sont pas améliorées comme en témoignent plusieurs indicateurs, à l’image de l’or ou des prêts bancaires. Seules les anticipations inflationnistes s’accroissent réellement. Si la croissance continue à se faire rare ou qu’elle reste léthargique, les investisseurs vont continuer à privilégier les valeurs de croissance. Si les anticipations inflationnistes mènent désormais le bal, les produits de taux vont être en proie à des difficultés et les investisseurs vont choisir les entreprises possédant un réel pouvoir de fixation des prix. Habituellement, il s’agit précisément de valeurs de croissance.
Les marchés se sont avérés être guidés par le momentum cette année, tandis que tenir compte des niveaux de valorisation n’a pas constitué une stratégie fructueuse. Nous savons qu’investir selon le momentum présente de multiples risques en matière de valorisation et il est désormais temps d’étudier le marché en comparant le momentum des bénéfices avec les niveaux de valorisation.
Dans ce contexte de marché, nous considérons bel et bien le secteur pétrolier comme le meilleur exemple. L’assouplissement quantitatif et la faiblesse des taux d’intérêt, voire les politiques de taux zéro, dans plusieurs pays créent un environnement favorable pour le prix du pétrole au quatrième trimestre 2010 et au-delà. Étant donné les prévisions réalistes à l’égard du prix du pétrole et les attentes en baisse concernant les marges des groupes pétroliers, la tendance des révisions de BPA 2010-2011 du secteur devrait s’améliorer et s’avérer meilleure que celle de la moyenne du marché.
Les marchés émergents présentent un avantage potentiel supplémentaire. Le très bas niveau des taux directeurs dans les pays développés, les interventions sur les devises et l’assouplissement quantitatif conduisent à l’injection d’encore plus de liquidités dans le système. Les pressions baissières sur le dollar induites par l’assouplissement quantitatif exercent des pressions haussières sur les devises émergentes. Cette situation va probablement se traduire par de nouveaux capitaux dans les actifs émergents. Mais, à court terme, le thème des marchés émergents est excessivement plébiscité et les investisseurs le considèrent comme étant sans contrepartie. Ils ne prêtent pas assez attention à la montée de l’inflation en Asie du Sud-Est.
Dans ces conditions, nous ne renforçons pas notre exposition aux marchés émergents à ce stade, mais recherchons plutôt des valeurs sous-évaluées dont le momentum s’améliore ou marque un tournant.
Notre vision du marché n’a pas changé. N’ayant jamais été des partisans du scénario d’une récession à double creux, nous penchons plutôt en faveur de celui d’un monde à deux vitesses et d’un périple s’annonçant non sans heurts pour les pays occidentaux, d’où l’importance de plus en plus accrue du « market timing » et du style. Un nouveau contexte idéal (« sweet spot ») pour les marchés d’actions est tout à fait possible à condition que la seconde vague d’assouplissement quantitatif ne s’avère pas n’être qu’un cas isolé et que les prochains mois soient placés sous le signe d’une véritable coopération monétaire à l’échelle mondiale.
Au cours des semaines à venir, nous allons suivre avec attention les anticipations inflationnistes et les prêts bancaires de façon à mesurer l’efficacité du « QE2 », tout en continuant à observer la situation de la demande réelle dans un souci d’équilibre entre les valeurs de croissance et décotées. A court terme, les marchés sont surachetés et nous attendons tout accès de faiblesse afin de nous montrer plus agressifs. Dans l’éventualité d’un repli des marchés, notre stratégie consistera principalement à mettre fin à la sous-pondération des banques et à devenir surexposés aux groupes miniers.