par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Face à la crise économique, les autorités budgétaires et monétaires ont été promptes à réagir. Dans le monde, et en particulier dans les pays développés, les taux d’intérêt ont été rapidement réduits. De nombreux gouvernements ont mis en place des programmes de soutien au secteur financier et à l’économie. L’endettement des agents privés est devenu, pour partie, un endettement public, et une partie des risques bancaires a été transférée sur le risque souverain (Irlande, Espagne…).
Aux Etats-Unis, la recapitalisation du secteur bancaire a été jugée crédible, et la Fed a pu revenir à ses préoccupations habituelles : assurer la stabilité des prix et le plein emploi. Dans la zone euro, l’absence de réponse commune aux problèmes bancaires a été l’un des principaux éléments ayant conduit à ce que l’on nomme à présent la crise de la dette souveraine.
La BCE a été appelée à intervenir, mais face aux avancées politiques graduelles et partielles, sa réponse n’a pas été aussi massive que certains l’espéraient. Se refusant à financer les Etats, la BCE s’est concentrée sur les questions de liquidités bancaires. Mais lorsque l’intégrité même de la zone euro a été remise en question, l’élargissement des spreads intra zone ne reflétant plus uniquement des différences de perspectives budgétaires en intégrant un risque de convertibilité, la BCE a perdu en orthodoxie. Mario Draghi a alors qualifié d’inacceptables les primes de risque liées aux craintes de réversibilité de l’euro, annonçant par la suite le programme OMT. Depuis lors, les spreads sont revenus à des niveaux plus raisonnables : sur les taux à 2 ans, et comparé à l’Allemagne, le spread espagnol n’est plus que d’un peu plus de 200 points de base aujourd’hui (contre un point haut de près de 700 pb fin juillet 2012). En Italie, il a été réduit de plus de 520 pb à moins de 150 pb.
La BCE est aujourd’hui quasiment dans la même position que la Fed : il ne s’agit plus de combattre des risques systémiques, mais de mener la politique monétaire dans un environnement financier apaisé. Si le risque systémique recule, les conditions conjoncturelles n’ont pourtant rien d’habituelles. Aux Etats-Unis, trois ans après la fin de la récession, les capacités restent largement sous utilisées alors que le Royaume-Uni et a zone euro sont retombés en récession. Il faudra attendre le 14 février pour connaître la première estimation de la croissance au T42012 dans la zone euro, mais une contraction semble inévitable, d’ores et déjà confirmée en Allemagne (-0,3%), en Belgique (-0,1%) et en Espagne (-0,7%). Soucieux de retrouver une crédibilité budgétaire, la plupart des pays développés applique une austérité qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages. Les perspectives de la demande sont déprimées, et l’offre pâtit de capacités excédentaires qui conduisent à une remontée du chômage qui elle-même vient peser sur la formation des revenus. En résumé, et au-delà des effets de l’augmentation des taux de TVA et des variations des prix des matières premières (notamment alimentaires et énergétiques) qui répondent souvent à des chocs sur l’offre, l’inflation est appelée à rester modérée. Le souci des banquiers centraux est dès lors de relancer l’économie.
En l’absence de pressions sur les prix, leurs marges de manœuvre peuvent apparaître larges. Mais les banques centrales du monde développé se heurtent toutes à la contrainte de taux monétaires flirtant avec le zéro, contrainte que nombre d’entre elles tentent de dépasser avec des politiques non conventionnelles. La Banque d’Angleterre (BoE), la Banque du Japon (BoJ) et la Réserve fédérale américaine (Fed) se sont tournées vers le quantitative easing : ne pouvant plus intervenir sur les taux courts, elles agissent directement sur la partie longue de la courbe en achetant des titres d’Etat (ainsi que des titres adossés à de la dette hypothécaire dans le cas de la Fed). Ces mesures non orthodoxes sont en place, de façon continue ou ponctuelle, depuis 2010, sans pour autant être parvenues à sortir ces pays de la trappe à liquidité. Il s’agit alors de faire preuve de créativité, que ce soit en créant de nouveaux programmes spécifiques, comme le Funding for Lending de la BoE, ou en tentant d’influer sur la formation des anticipations d’inflation.
Cette dernière stratégie est celle de la BoJ qui a récemment doublé son objectif d’inflation de 1% à 2%, mais aussi de la Fed, qui a annoncé une tolérance plus importance à l’inflation (l’objectif pour le déflateur de la consommation privée étant temporairement relâché de 2% à 2,5%) tant que le taux de chômage ne passait pas la barre de 6,5%. Le prochain gouverneur de la BoE, Mark Carney, a par ailleurs évoqué l’idée d’un changement de cadre de la politique monétaire, avec le ciblage, non plus de l’inflation, mais du PIB nominal.
La BoJ n’a pas encore annoncé quelles mesures accompagneraient sa nouvelle cible d’inflation, et Mark Carney ne remplacera Sir Mervyn King qu’en juin prochain. Cette semaine, la Fed n’a pas non plus annoncé de nouvelles mesures. Mais les minutes des réunions de 2012 ne laissent que peu de doute sur l’intention des membres du FOMC de réformer davantage leur communication. En particulier, après avoir clarifié les conditions qui la conduiraient à remonter les taux, la Fed devrait énoncer celles qui modifieraient le rythme d’expansion de son bilan. Quant à la BCE, elle a certainement été aussi loin que son ascendance allemande lui permettait. Reste que l’OMT pourrait finalement être lancé et qu’à 0,75% le refi peut encore être abaissé.