par Bryan Petermann, Gérant de portefeuille chez Muzinich
Au cours des dernières semaines, la volatilité a fait son retour sur les marchés actions et obligataires internationaux. Après avoir atteint un niveau record le 26 janvier, l’indice S&P 500 (dividendes réinvestis) a chuté de 7,85 %, tandis que les bons du Trésor américains à 10 ans ont baissé de 2,25 % (jusqu’au 24 avril). Si les tarifs douaniers et la menace de guerres commerciales ont certainement contribué à l’aversion au risque des investisseurs, nous pensons que ce récent repli des actions et des obligations américaines illustre principalement la réaction des marchés financiers à la perspective d’une normalisation des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine (« Fed »).
La normalisation de la politique monétaire fait référence aux mesures prises par la Fed afin de relever les taux d’intérêt à court terme à des niveaux plus normaux et de réduire la proportion de titres qu’elle détient actuellement dans son bilan. Dans le même temps, nous pensons que le Trésor va devoir augmenter ses émissions compte tenu des récentes baisses d’impôt et que cela se traduira probablement par des taux plus élevés dans la mesure où le Trésor éprouve des difficultés à trouver des acheteurs qui se font de plus en plus rares.
Deux éléments sont à noter :
- nous avons observé une dispersion des performances entre les marchés au cours de cette période ; les actions américaines, les bons du Trésor américains à 10 ans et les obligations d’entreprises investment grade ont ainsi accusé les plus fortes baisses par rapport aux obligations high yield et aux leveraged loans ;
- nous sommes convaincus que la correction actuelle ne résulte pas d’une détérioration des fondamentaux du crédit ou d’une crise systémique. Comme nous pouvions nous y attendre dans un environnement dominé par des inquiétudes liées aux taux d’intérêt, les obligations high yield et les loans, avec leurs coupons élevés et leur profil de duration plus court, ont mieux préservé le capital que les actions américaines, les bons du Trésor américains à 10 ans et les obligations d’entreprises investment grade. En dépit de la surperformance de chacune de ces classes d’actifs (exception faite des loans), le high yield a été le témoin de plusieurs semaines de sorties de capitaux, une situation qui donne à penser que les investisseurs sanctionnent une classe d’actifs qui s’est révélée résistante à la hausse des taux et qui sert de puissante source de diversification au sein d’un portefeuille.
Une Fed sur la voie de la normalisation de ses taux avant le changement de cycle
Compte tenu d’un bilan de plus de 4 000 milliards de dollars et de la faiblesse de ses taux, la Fed a à sa disposition un arsenal monétaire limité à l’heure actuelle afin de lutter contre la prochaine récession. Dans la mesure où nous nous trouvons probablement aux derniers stades du cycle économique, il apparaît donc plus nécessaire pour la Fed d’agir, d’autant plus que les données économiques positives et les tensions inflationnistes grandissantes lui fournissent une justification chiffrée afin de normaliser les taux. Le « dot plots » (anticipation du niveau des taux de la Fed à la fin de l’année par les membres du FOMC) tend à indiquer que la Banque centrale américaine va continuer de relever ses taux tout au long de l’année en raison de la bonne orientation des données économiques.
L’augmentation des déficits américains va probablement exercer de nouvelles pressions haussières sur les taux du Trésor
Fin 2017, l’administration Trump a réussi à faire adopter ses baisses d’impôt, ce qui, selon le Bureau du budget du Congrès américain (Congressional Budget Office) non partisan, est susceptible de creuser le déficit au cours des années à venir. Compte tenu de la perspective d’une augmentation des déficits, les investisseurs s’attendent à ce que le Trésor doive accroître ses émissions de manière à combler l’écart de financement entre les recettes fiscales et les dépenses publiques. L’offre du Trésor est ainsi susceptible d’augmenter.
Dans le même temps, la demande en faveur de cette classe d’actifs est susceptible de diminuer dans la mesure où certains acheteurs ont anticipé de réduire leurs achats. Engagée sur la voie de la normalisation, la Fed est résolue à réduire la taille de son bilan en laissant les bons du Trésor arriver à échéance sans réinvestir le produit de la vente. Selon la Réserve fédérale, nous pouvons nous attendre à une réduction de 35 % de la taille de son bilan au cours des trois prochaines années. Ainsi, la Fed, le plus important acheteur de bons du Trésor, va désormais réduire ses achats à l’avenir. Nous pensons que les acheteurs étrangers sont également appelés à acheter moins de bons du Trésor dans le futur. Par exemple, les acheteurs dont les devises sont l’euro et le yen sont confrontés à des coûts de couverture importants qui rendent la détention de bons du Trésor moins avantageuse financièrement. Enfin – la Chine – le premier détenteur étranger de bons du Trésor américains demeure un acteur imprévisible. Il reste encore à voir jusqu’où l’administration Trump est prête à aller dans sa guerre commerciale avec cet important créancier des États-Unis.
La dispersion des performances n’a pas que des mauvais côtés
Une série de données économiques positives et des tensions inflationnistes grandissantes ont conduit à une correction des bons Trésor américains (le cours évolue à l’inverse du rendement), des obligations investment grade et des actions américaines, les investisseurs ayant craint de voir la Fed accélérer son processus de normalisation. Le rendement du bon du Trésor américain à 10 ans s’établit désormais à 3 % (au 24 avril 2018), un niveau que l’on n’avait plus durablement observé depuis 2011.
Toutefois, au sein des obligations, les nouvelles n’ont pas été toutes mauvaises. Nous avons pu constater une dispersion des performances ; ainsi, grâce à leurs coupons plus élevés et leur profil de duration plus court, les obligations high yield et les loans ont été en mesure de mieux protéger le capital. Les loans s’inscrivent en hausse de plus de 1 % depuis le pic du marché du 26 janvier et les obligations high yield n’accusent qu’une modeste baisse, les revenus liés aux coupons ayant permis de neutraliser plus de la moitié de la baisse des cours au sein de la classe d’actifs. Malheureusement, les obligations de meilleure qualité ne disposent pas de coupons suffisants pour compenser la majeure partie de l’évolution des taux, tandis que les actions ont selon nous été réévaluées en raison de la hausse des taux d’actualisation.
Des obligations high yield et des loans non corrélés aux bons du Trésor
Une opinion courante veut qu’en période de volatilité et de turbulence accrues, les corrélations au sein de la classe d’actifs convergent vers 1. En d’autres termes, les classes d’actifs qui ne sont pas corrélées par ailleurs semblent reculer dans une proportion globalement similaire durant les périodes de tensions sur les marchés. La seule exception à cette règle est généralement la progression des bons du Trésor qui (baisse des rendements) dans la mesure où les investisseurs se tournent vers les actifs refuges. Toutefois, un examen attentif des récentes données brosse un tableau différent. Depuis le 26 janvier, les seuls marchés qui sont réellement corrélés (une corrélation supérieure à 0,70) sont les obligations investment grade avec les bons du Trésor. Il est intéressant de noter que les actions ont une corrélation positive avec les bons du Trésor (0,32), tandis que les obligations high yield et les loans ont une corrélation négative avec les bons du Trésor, ce qui tend à indiquer que le high yield et les loans américains représentent une source intéressante de diversification au sein d’un portefeuille.
Les fondamentaux de crédit sont solides
Est-ce le début d’une récession ? « En aucun cas » selon nous. En effet, nous n’observons pas un retour à un endettement excessif et les données économiques demeurent généralement solides. Selon JP Morgan, l’endettement a diminué pour le sixième trimestre consécutif, tandis que les ratios de couverture des frais financiers (la capacité d’une entreprise à effectuer ses paiements d’intérêts contractuels) sont à leur plus haut niveau en deux ans.
Une autre mesure importante qui met en évidence l’amélioration de la qualité du high yield est le pourcentage d’obligations notées CCC au sein de l’ensemble du marché high yield américain. Au 31 janvier 2008, 18,5 % des émetteurs high yield étaient notés CCC. Au 25 avril 2018, ce même chiffre était de 11,5 %. La qualité de crédit est ainsi meilleure aujourd’hui (fin avril) qu’avant la récession en dépit d’une reprise déjà longue de neuf ans ; le marché high yield est en train de se discipliner.
La dispersion des performances – toute l’importance d’une gestion active
Dans la mesure où nous entrons dans les dernières phases du cycle économique et que la politique monétaire devient moins accommodante, nous nous attendons à une dispersion grandissante des performances au sein du high yield et des loans. Dans de telles périodes, une gestion active est extrêmement importante parce que les émetteurs vont se faire concurrence afin d’obtenir des capitaux et certains émetteurs vont éprouver des difficultés en raison de coupons plus élevés ou d’un accès limité aux marchés de capitaux. Un investisseur qui achète aveuglément le marché par l’intermédiaire d’un indice ou d’une approche macroéconomique pourrait s’exposer à des émetteurs en difficulté, tandis que des portefeuilles fondés sur la recherche crédit fondamentale et gérés activement, tels que ceux de Muzinich, pourraient éviter ce désastre.
Comme nous l’avons démontré, le high yield et les loans sont parvenus à mieux préserver le capital au cours du récent repli du marché. Dans l’environnement actuel, nous pensons que le high yield et les loans servent de puissante source de diversification au sein d’un portefeuille. Il est impossible de prévoir l’évolution des marchés. Compte tenu de la solidité des fondamentaux et des coupons, nous sommes convaincus qu’une allocation au high yield et aux loans est justifiée afin d’atténuer la volatilité du marché. De cette façon, les investisseurs seront rémunérés pour patienter jusqu’à ce qu’ils aient une meilleure visibilité sur les taux.