par Aude Lerivrain, Responsable de l'Analyse et de la Stratégie Crédit chez CPR AM
Le terme « zombie » a été utilisé la première fois pour décrire la situation de nombreuses sociétés japonaises après l’éclatement de la bulle immobilière et boursière au début des années 90 et la période de stagnation macro-économique qui a suivi. Un article des économistes Ricardo J. Caballero, Takeo Hoshi et Anil K. Kashyap publié en 2008 « Zombie lending and depressed restructuring in Japan » a particulièrement mis en lumière ce phénomène.
Même si les définitions d’une société zombie peuvent varier allant pour les moins restrictives « d’une société déficitaire » aux plus restrictives « d’une société bénéficiant de prêts subventionnés », nous nous baserons sur celle de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) qui définit une entreprise zombie comme « une société cotée en bourse de 10 ans ou plus avec un ratio de couverture, résultat avant intérêts et impôts sur la charge d’intérêts, inférieur à 1 ». Ainsi, ce sont des sociétés non rentables et bien établies à l’inverse des start-ups qui sont dans un modèle de construction communément déficitaire. Ces sociétés devraient être mises en faillite mais un contexte particulier (fleurons nationaux, environnement économique) fait qu’elles sont maintenues en vie artificiellement, très souvent grâce au financement bancaire.
Les sociétés zombies sont-elles devenues une problématique mondiale ?
À l’image de ce qui s’est passé au Japon, la part des sociétés zombies a fortement progressé dans les économies occidentales suite aux différentes crises (bulle internet en 2000 et crise financière en 2008). Elleestainsipasséede1%en1990à12%en2016. Fait aggravant… ces sociétés ont aujourd’hui une probabilité beaucoup plus forte de rester des sociétés zombies longtemps. Parmi les principales explications de cette hausse, nous trouvons le rôle des banques avec une solidité financière fragile qui ont eu tendance à prêter à des sociétés en difficulté à des taux plus faibles que ne l’autorisait la santé financière de ces dernières ou à renouveler des prêts afin de ne pas impacter négativement leur coût du risque. La deuxième explication est la forte baisse des taux depuis une dizaine d’années, ce qui n’est pas intuitif puisque le ratio de couverture des entreprises est mécaniquement amélioré au moment des refinancements dans une phase de baisse des taux d’intérêts. La situation, par contre, n’a pas incité les sociétés à se restructurer puisqu’elles avaient accès au marché et beaucoup se sont lancées dans une fuite en avant !
Quels problèmes peuvent poser les sociétés zombies à une échelle macro ?
Un trop grand nombre de sociétés zombies dans une économie peut conduire à une mauvaise allocation des ressources, à un dysfonctionnement de la concurrence et à de la désinflation en raison du maintien de surcapacités de production. De même, les sociétés zombies ayant accès à des sources de financement ne sont pas réellement encouragées à faire les efforts de rationalisation nécessaires pour redresser leur rentabilité. A terme, toutes les sociétés d’un secteur peuvent être impactées par un problème de productivité, d’investissement et d’emplois du fait des perspectives de croissance globales plus faibles et c’est toute la productivité d’une économie qui est en jeu ! M. Cabarello parlait ainsi de sclérose et de congestion de l’économie.
En quoi la pandémie peut-elle aggraver le problème des sociétés zombies ?
Le dispositif déployé par certains États pour soutenir leur tissu économique a été exceptionnel comprenant 1/ des mesures d’urgence comme le chômage partiel, les prêts garantis d’État et les différés d’impôts et 2/ des changements provisoires des régimes d’insolvabilité, afin de donner de la flexibilité aux entreprises sous la forme de moratoires, d’une hausse du seuil de créance impayée pour ouvrir une procédure et de la suspension de l’obligation de se déclarer en faillite sous certaines conditions.
Les pays européens comme la France, le Royaume- Uni et l’Allemagne font partie des pays qui ont activé ce type d’arsenal, ce qui leur a permis d’afficher une baisse notable des faillites sur le début de l'année 2020 à l’inverse des États-Unis et de la Chine entre autres qui ont déjà enregistré une hausse significative sur la période. En effet, Euler Hermes qui prévoit une hausse des défaillances au niveau mondial de 17 % en 2020 suivie d’une nouvelle hausse de 16 % en 2021 souligne ces fortes disparités par pays : les États-Unis devraient afficher une hausse de 47 % en 2020 puis 7 % en 2021 alors que la France et le Royaume-Uni devraient enregistrer respectivement une hausse de 4 % et 8 % en 2020 puis 20% et 33% en 2021.
Ainsi les États et les banques centrales ont le choix entre deux voies aujourd’hui : la première, accepter une vague massive de faillites avec un risque d’effet domino mais une reprise plus saine de la croissance, la deuxième un soutien transitoire massif aux entreprises permettant de passer le choc initial mais qui posera les bases d’une reprise fortement handicapée par le maintien en vie de sociétés non productives. Un choix inextricable !