par Stanislas Coquebert de Neuville, Analyste-gestionnaire, et Régis Bégué, associé-gérant et responsable de la gestion actions chez Lazard Frères Gestion
Plusieurs grandes marques de textile font l’objet d’un boycott en Chine pour avoir stoppé leur approvisionnement en coton du Xinjiang. Derrière ce bras de fer géopolitique se trouve un enjeu nouveau pour les entreprises : assumer leurs engagements dans le domaine social, cher aux investisseurs attentifs au respect des critères « environnementaux, sociaux et de gouvernance ».
Quelques jours auront suffi pour mettre le feu aux poudres. Le 22 mars, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis annonçaient des sanctions à l’encontre de la Chine, accusée de répression envers les Ouïghours du Xinjiang. En représailles, un mouvement de boycott a commencé à frapper plusieurs marques occidentales d’habillement et de sport présentes en Chine, accusées d’avoir coupé leur approvisionnement en coton chinois quelques mois plus tôt.
Un choix s’impose en faveur du « sourcing éthique »
Les groupes visés par le boycott ont pour point commun d’être membres de la « Better Cotton Initiative » (BCI), une organisation indépendante créée avec l’appui de deux ONG en 2009 pour établir des standards sociaux et environnementaux dans la chaîne du coton. L’adhésion à cette initiative n’était pas une simple question d’image pour ces entreprises. Leur but était également de répondre aux fortes exigences des investisseurs occidentaux, de plus en plus nombreux à tenir compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères « ESG ») dans leurs choix de gestion. Ces entreprises se sont ainsi engagées à se fournir en coton « socialement responsable ».
Fin 2020, face aux soupçons d’un recours au travail forcé dans le Xinjiang, la BCI a demandé à ses membres de ne plus se fournir en coton provenant de cette région. Peu après, en janvier 2021, l’une des dernières décisions de Donald Trump a été d’interdire les importations de coton du Xinjiang aux Etats-Unis. La situation a dès lors propulsé les membres de la BCI au centre des tensions diplomatiques sino-occidentales. La marque H&M est ainsi devenue la première cible des boycotts. Plusieurs magasins de l’enseigne restent fermés en Chine depuis le 29 mars. L’App e-commerce de la marque a été supprimée des plates-formes mobiles et l’ensemble de ses magasins ont été déréférencés sur les applications chinoises de géolocalisation. D’autres acteurs de la mode et du sport subissent, ou pourraient subir, des revers semblables, surtout si les Etats-Unis poursuivent leur projet d’étendre l’interdiction actuelle à tous les biens produits au Xinjiang.
Les groupes concernés se retrouvent donc entre le marteau (l’ESG) et l’enclume (la Chine). Refuser de se fournir dans le Xinjiang, c’est perdre une partie de la clientèle chinoise. Le choix inverse est toutefois peu envisageable : pour ces entreprises, ce serait prendre le risque de se désavouer sur la question du « sourcing éthique » en s’aliénant à la fois la clientèle occidentale et une part non négligeable de leurs investisseurs. Le choix s’impose donc de lui-même, même si celui-ci doit s’accompagner de moindres bénéfices à court terme.
L’enjeu social fait jeu égal avec le respect de l’environnement
Depuis les années 1990, le monde a donc bien changé. L’image des multinationales peu sensibles au travail des enfants dans les usines asiatiques est désormais derrière nous. Le changement d’attitude des investisseurs n’y est pas étranger. L’affaire du coton du Xinjiang montre à quel point l’investissement socialement responsable (ISR), ainsi que les critères ESG qui en forment le socle, pèsent désormais lourd en faveur de choix plus déontologiques pour les multinationales.
La situation peut pourtant sembler paradoxale. Être plus exigeant sur les critères sociaux, c’est renoncer à une partie des bénéfices immédiats. Les investisseurs le savent, mais préfèrent y voir un gain d’image à long terme en étant fiers de favoriser, à leur échelle, la prise en compte de valeurs plus éthiques. Soulignons que les risques des entreprises occidentales vis-à-vis des sanctions chinoises restent par ailleurs maîtrisés. Les boycotts envers les produits occidentaux ne sont pas une nouveauté. Dior, Uniqlo, Toyota ou encore KFC ont déjà fait l’objet de boycotts en Chine par le passé, pour des raisons très différentes. Apple en avait été menacé l’an dernier. L’expérience nous a appris que les boycotts chinois restent généralement de courte durée, avec un impact financier relativement limité.
Une chose est sûre : l’affaire du coton du Xinjiang révèle surtout l’importance considérable désormais prise par la dimension sociale de l’acronyme « ESG » au sein des entreprises. Pendant longtemps, les investisseurs associaient surtout cet acronyme au respect des critères environnementaux. Les entreprises les plus avancées en matière de critères ESG étaient, à leurs yeux, les entreprises qui faisaient le plus d’efforts pour réduire leur bilan carbone. Il est désormais démontré que la dimension sociale fait jeu égal avec la dimension environnementale en matière d’éthique des entreprises.Marchés Financiers