Zone euro : Inflexion budgétaire ?

par Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas

• Alors que la situation conjoncturelle apparaît très fragile, le débat sur l’opportunité d’un soutien budgétaire à l’activité dans la zone euro a été, une fois de plus, relancé.

• Le président de la BCE, Mario Draghi, a notamment plaidé pour un policy mix plus accommodant et une plus grande coordination des politiques nationales.

• Les politiques budgétaires resteront, dans l’ensemble, modérément restrictives l’an prochain. Les marges de manœuvre existantes seront vraisemblablement utilisées.

• Le lancement d’un programme européen d’investissement est une bonne nouvelle.

Alors que les dernières informations conjoncturelles (croissance du T2, enquêtes au T3, renforcement des sanctions à l’encontre de la Russie) conduisent à réviser en baisse les prévisions de croissance, que les Etats membres préparent leur loi de Finances pour l’année prochaine, et que la nouvelle Commission européenne se met en place et prépare son agenda, les questions budgétaires sont sur toutes les lèvres. Nous revenons dans cet article sur certains des éléments ayant attiré notre attention ces dernières semaines.

Quelle orientation pour les politiques budgétaires ?

La dégradation des perspectives de croissance a fait resurgir le débat sur la nécessité d’un soutien budgétaire à l’activité dans la zone euro, ou, du moins, d’un relâchement des efforts de consolidation. La plupart des gouvernements finalisent actuellement leurs projets de budget pour 2015. Ils doivent d’ailleurs faire parvenir ces projets d’ici mi-octobre à la Commission européenne (c’est le two-pack). L’an dernier, celle-ci avait publié des éléments et rendu son avis sur ces projets de budget dès le 15 novembre, et elle pourrait faire de même cette année, à moins que l’installation du nouveau collège des commissaires ne ralentisse ce processus.

Dans l’attente de ces informations, il n’est pas aisé d’estimer précisément l’ampleur des mesures budgétaires qui seront mises en place l’an prochain. Pour cette raison, les dernières projections macroéconomiques de la Commission européenne (Prévisions du printemps 2014), ont été faites en ne tenant compte que des rares mesures budgétaires qui seraient déjà votées et/ou suffisamment documentées. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’à ce stade l’amélioration structurelle du solde budgétaire "attendue" en 2015 soit nulle ou quasi-nulle dans ces projections. Elles prévoient dès lors que le déficit budgétaire nominal de la zone euro pourrait encore s’établir à 2,3% du PIB en 2015, après 2,5% cette année.

En fait, et même si, peu à peu, les positions budgétaires s’améliorent2, un certain nombre de pays vont devoir encore fournir des efforts conséquents. Parmi les grands pays de la zone, la France et l'Espagne sont encore sous procédure pour déficit excessif. Leurs programmes de stabilité prévoient des efforts structurels de respectivement 0,9pp et 0,3 pp de PIB en 2015, mais ces politiques doivent encore être largement documentées selon les services de la Commission. En Italie, l'effort programmé par le gouvernement est également de 0,3pp de PIB.

Le débat sur une modification des règles budgétaires, dont nous nous étions fait l’écho avant l’été (voir Zone euro : adapter l’effort budgétaire ?, Ecoweek du 11 juillet dernier) ne semble pas devoir déboucher rapidement, les chefs d’Etats et de gouvernement préférant a priori mettre l’accent sur un programme d’investissement commun. Les marges de manœuvre qu’offre déjà le Pacte de Stabilité seront très certainement utilisées, mais elles ne permettent que des ajustements limités. La BCE estime, pour sa part, à 0,3pp du PIB l’effort budgétaire agrégé qui sera probablement mis en oeuvre en 2015 dans la zone euro3. Cela reste à confirmer lors de la publication des projets de budgets nationaux, mais dans l’ensemble, il est clair que l’orientation de la politique budgétaire restera, en moyenne, modérément restrictive dans la zone euro en 20154.

Qu’a dit Mario Draghi à Jackson Hole ?

Rétrospectivement, il est évident que la partie la plus importante du discours du président de la Banque centrale européenne concernait le fléchissement des anticipations d’inflation, et préfigurait les décisions de politique monétaire prises par le Conseil des gouverneurs au début du mois de septembre (baisse des taux, lancement d’un programme d’achat de titres de dettes privées).

Mais, sur le plan budgétaire, Mario Draghi a également un peu modifié son discours habituel à Jackson Hole, et tenu des propos qui méritent d’être soulignés. Bien évidemment, il a maintenu son plaidoyer en faveur des réformes structurelles et de l’assainissement des finances publiques, en rappelant que sa composition pouvait permettre de limiter l’impact sur l’activité5. Mais il a innové en expliquant que la zone euro avait globalement souffert de l’impossibilité de mobiliser la politique budgétaire pour soutenir l’activité depuis 2010 et, surtout, dans son analyse des causes de cette situation. Le Président de la BCE a ainsi avancé que cela n’était pas dû à la situation budgétaire agrégée de la zone, pas plus mauvaise que celle des US ou du Japon, mais au fait que la Banque centrale ne peut y offrir un filet de sécurité pour le financement des Etats (backstop for government funding). Ceci a obligé les membres de la zone euro à mener leur consolidation budgétaire de façon précoce. Des propos parfaitement consensuels sur les caractéristiques de la crise, mais tout à fait nouveau dans la bouche d’un Président de la BCE.

Dans ce cadre, Mario Draghi s’est donc déclaré favorable à l’utilisation des marges de manœuvre offertes par le Pacte de Stabilité, ainsi qu’au programme d’investissement européen promis par le nouveau Président de la Commission européenne. Surtout, il a jugé qu’il serait utile d’avoir une discussion sur le policy mix et sur l’orientation globale de la politique budgétaire au niveau européen. Il a plaidé pour plus de coordination des politiques budgétaires, plutôt que d’accepter l’idée que cette orientation globale résulte de décisions prises au niveau national, indépendament les unes les autres.

Plaider pour plus de coordination tout en maintenant l’effort structurel, c’est, à l’heure actuelle, demander à l’Allemagne de mener une politique plus expansionniste qu’elle ne le souhaite. Un appel qui a toutes les chances de rester lettre morte à brève échéance, mais qui a le mérite de rappeler que la véritable coordination des politiques économiques, c’est autre chose que de fixer à chacun les mêmes règles.

Que cherche à mettre en place J-C. Juncker ?

Enfin, nous en venons au grand programme d’investissement européen annoncé dès le mois de juillet par J-C. Juncker lors de son discours d’investiture, et qui sera un des sujets à l’ordre du jour de la réunion des ministres des finances (Eco-Fin et Eurogroupe) qui se tient cette fin de semaine à Milan.

En matière de politique économique, le nouveau Président de la Commission européenne entend lancer des initiatives dès la première année de son mandat. Des propositions visant à encourager la poursuite des réformes structurelles, éventuellement au moyen d’incitations financières supplémentaires sont envisagées6, mais J.-C. Juncker semble avoir fait de la mise au point d’un programme de soutien à l’emploi, la croissance et l’investissement, sa première priorité. L’idée est de mobiliser de façon plus efficace les ressources du budget commun de l'UE et de la Banque européenne d'Investissement (BEI) pour stimuler l'investissement privé. L’objectif fixé est de susciter jusqu’à 300 milliards d'euros supplémentaires (environ 2,3 pp de PIB de l’UE) d'investissements publics et privés au cours des trois prochaines années. Un nouvel accroissement du capital de la BEI devrait être envisagé, et il s’agit clairement d’utiliser ces fonds, et les ressources du budget de l’Union, pour susciter un effet de levier auprès des investisseurs privés, et en particulier de financer des programmes d’infrastructures européens (réseaux numériques, réseaux d'énergie, infrastructures de transport), des programmes de soutien à l’éducation et à la recherche.

La taille de ce programme (les fonds publics mobilisés seront très inférieurs à EUR 300 mds) et les délais auxquels nous sommes habitués dans les dossiers européens, commandent d’être prudent quant aux effets de ce programme sur l’activité à court terme. Cela dit, il a d’autant plus de chance d’être lancé qu’il paraît, pour une fois, faire l’objet d’un consensus parmi les Etats membres. En particulier, Paris et Berlin seraient sur le point de faire des propositions précises sur le sujet visant à augmenter la capacité d’action de la BEI. D’une façon ou d’une autre, l’objectif est de permettre à l’institution d’accroître son action, via une nouvelle augmentation de capital ou en créant des outils lui permettant de prendre plus de risques. Il s’agira aussi de contribuer, bien sûr, à faciliter la titrisation de ces financements, alors que la BCE devrait ouvrir dès le mois prochain son programme d’achat. Là, pour le coup, on peut sans doute parler de coordination des décisions.

NOTES

  1. « Stability and Growth Pact – An overview », briefing by Directirate-general for internal policies, Economic Governance support unit, European Parlimant, July 2014.
  2. Quatre pays sont sortis de la procédure pour déficit excessif au printemps dernier, trois en 2013.
  3. Cette estimation est réalisée dans le cadre des projections macroéconomiques trimestrielles, mais n’est pas intégrée aux prévisions de croissance et d’inflation publiées à cette occasion par la BCE. Pour plus d’informations, voir le bulletin mensuel de la BCE de septembre 2014, pp95 et suivantes.
  4. C’était déjà le cas cette année. Hors effets de la conjoncture, l’amélioration structurelle du déficit a été estimée à 0,2-0,3 pp du PIB en 2014, un chiffre plutôt modeste malgré des efforts non négligeables en France (0,7pp), en Irlande (1,7pp) et en Espagne (0,4pp) notamment.
  5. Cet impact sera d’autant moins marqué que les économies seront concentrées sur les dépenses publiques les moins productives, et partiellement compensées par des baisses de taxes,dont l’ impact favorable à court terme est important.
  6. Il s’agit là des fameux « competitivness and convergence instruments », dont l’Allemagne s’est fait l’avocat depuis plusieurs années.

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