par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas
D’après un récent document de travail de la BCE « dans la situation macroéconomique actuelle, les politiques budgétaires et monétaires se renforcent mutuellement et génèrent un potentiel réciproque. Cette observation constitue un argument de poids en faveur de la coordination des deux politiques en pareille circonstance »[1].
L’expansion budgétaire accroît l’efficacité de la politique monétaire lorsque les taux sont très bas, tandis qu’une politique monétaire accommodante allège la contrainte de financement du secteur public. Les auteurs de l’étude rappellent, dans leur conclusion, qu’au moment d’évaluer les perspectives de la politique de la banque centrale, il convient de tenir compte de la politique budgétaire car celle-ci influence la croissance et, indirectement, l’inflation.
On peut penser qu’en temps normal cela a moins d’importance, la contribution de la consommation publique à la croissance du PIB réel ayant tendance à être relativement stable et plutôt limitée. Dans la zone euro, elle a oscillé entre 0,2 et 0,4 point de pourcentage[2] entre 2016 et 2019. En période de fortes fluctuations, en revanche, il convient de tenir compte davantage de la politique budgétaire. L’année 2021 est à cet égard exceptionnelle dans la mesure où la consommation publique devrait, selon les prévisions, contribuer à hauteur de 0,8 point de pourcentage à la croissance du PIB[3]. L’année prochaine, cependant, elle devrait reculer à 0,2 point de pourcentage. Ainsi, la demande privée devra prendre le relais pour maintenir la croissance économique.
L’analyse du rôle de la politique budgétaire est complexe et ne se limite pas à la consommation publique, loin s’en faut. Il faut aussi tenir compte de l’investissement public, des transferts, des recettes fiscales, etc. Les charges d’intérêt constituent un autre facteur important. Lorsque la dette arrivant à échéance est refinancée à des taux d’intérêt nettement plus bas, elle peut entraîner une baisse du déficit budgétaire ; cette baisse n’est liée à aucun changement concernant les autres dépenses ou la fiscalité, de sorte qu’il faut se concentrer sur le solde primaire, soit le solde budgétaire déduction faite des charges d’intérêt.
Ce dernier est, néanmoins, influencé par les évolutions du cycle conjoncturel, en raison du rôle des stabilisateurs automatiques — comme la baisse des allocations de chômage avec le redressement de l’activité — de sorte qu’il est recommandé de se focaliser sur le solde primaire structurel, c’est-à-dire corrigé des variations conjoncturelles.
Ce concept, exprimé en pourcentage du PIB potentiel, est ce que le Fonds monétaire international (FMI) et le Conseil budgétaire européen (CBE) appellent l’ « orientation budgétaire discrétionnaire »[4]. L’impulsion budgétaire correspond, dès lors, à la variation en glissement annuel du solde primaire structurel. Pour expliquer la différence entre orientation et impulsion, le CBE fait l’analogie avec la politique de la banque centrale : « une mesure restrictive comme le relèvement du principal taux de refinancement peut toujours être conforme à une politique monétaire accommodante ou très accommodante en fonction du point de départ ». En d’autres termes, une politique budgétaire accommodante — un déficit primaire structurel important — implique qu’à un certain moment dans le passé, l’impulsion budgétaire a été très positive, entraînant des effets favorables de second tour, dits « effets multiplicateurs de la politique budgétaire ».
Dans la mesure où cette impulsion est assez récente, il est judicieux de s’intéresser aussi, et en particulier, au niveau du solde primaire (l’orientation budgétaire) pour évaluer dans quelle mesure les politiques antérieures et futures influencent les perspectives économiques. On peut également soutenir qu’un déficit primaire implique un financement partiel des dépenses publiques par la dette, ce qui devrait être favorable à la croissance par rapport à une situation d’excédent primaire[5]. Ces éléments sont importants pour interpréter le graphique. Celui-ci montre que, pour 2022, l’orientation budgétaire devrait rester très favorable à l’activité économique — la plupart des pays afficheraient d’importants déficits primaires structurels — tandis que l’impulsion budgétaire devrait être négative dans la plupart des pays, ce qui freinerait la croissance.
Cependant, la Commission européenne souligne à juste titre qu’« au vu des circonstances exceptionnelles engendrées par la pandémie de Covid-19, de l’existence de transferts importants provenant du budget de l’Union (tels que ceux en provenance de la FRR[6] ou autres subventions de l’UE), et de l’incertitude notable entourant les estimations de l’output gap, les indicateurs conventionnels comme la variation du solde budgétaire structurel ou « indice de référence des dépenses » ne sont pas jugés appropriés pour mesurer l’orientation budgétaire dans le contexte actuel »[7]. Aussi, la Commission européenne a-t-elle mis au point une nouvelle mesure de l’orientation budgétaire, incluant les dépenses financées au niveau national ainsi que celles financées par le FRR et les autres subventions de l’UE[8]. « L’orientation budgétaire globale peut donc être mesurée par la variation des dépenses primaires nettes (telles que définies ci-dessus) par rapport à la croissance potentielle moyenne du PIB sur dix ans ». Pour 2022, elle table sur un effet positif de près de 1 % du PIB. Cette orientation est une bonne nouvelle car elle accompagne et renforce la reprise actuelle. Par ailleurs, elle augmente l’efficacité de la politique accommodante de la BCE.
NOTES
[1] Krzysztof Bańkowski, Kai Christoffel and Thomas Faria, Évaluation du dosage des politiques budgétaires et monétaires dans la zone euro, document de travail de la BCE n° 2623, décembre 2021.
[2] Cela correspond, en moyenne à une croissance du PIB de 14 %. À titre de référence, en termes de niveau, la consommation publique a représenté 20,6 % du PIB en 2019. Sauf indication contraire, tous les chiffres utilisés ici proviennent des prévisions d’automne de la Commission européenne (novembre 2021).
[3] En 2020, la consommation publique a eu l’effet d’un amortisseur de choc dans une économie frappée par la pandémie. Elle a contribué à hauteur de 0,3 point de pourcentage à la variation du PIB réel contre une contribution négative de toutes les autres composantes, entraînant une contraction du PIB réel de -5,9 %. L’année 2021 est exceptionnelle. Le PIB réel devrait, selon les prévisions, enregistrer une expansion de 5,0 %, à la faveur d’un fort rebond de la demande finale, avec une contribution estimée de la consommation publique de 0,8 point de pourcentage.
[4] Source : European Fiscal Board, Assessment of the fiscal stance appropriate for the zone euro in 2022, 16 June 2021. Le terme « discrétionnaire » est utilisé pour souligner la différence avec les fluctuations liées au cycle conjoncturel et leur impact sur le solde budgétaire.
[5] Cela suppose que le déficit public ne provoque pas une hausse des taux d’intérêt (absence d’effet d’éviction) et que les ménages n’associent pas ce déficit à une perspective de hausse d’impôts (absence d’équivalence ricardienne).
[6] Facilité pour la reprise et la résilience
[7] Source : Commission européenne, COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT, THE COUNCIL, AND THE EUROPEAN CENTRAL BANK on the 2022 Draft Budgetary Plans: Overall Assessment, COM(2021) 900 final, 24 novembre 2021.
[8] Ce calcul ne tient pas compte de l’impact des mesures d’urgence temporaires liées à la crise.
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