Zone euro : le printemps économique viendra, mais à petits pas

par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas 

Un large consensus se dessine parmi les prévisionnistes économiques : celui d’une reprise progressive de la croissance trimestrielle du PIB réel dans la zone euro en 2024, portée par la décrue persistante de l’inflation, les baisses de taux directeurs ainsi que par les investissements dans la transition énergétique et ceux liés au programme NextGeneration EU. Le commerce extérieur pourrait aussi jouer un rôle. Les données d’enquête de la Commission européenne et de S&P Global se sont améliorées depuis l’automne dernier mais leur niveau reste inférieur à la moyenne historique. Sur la base des relations historiques, le momentum positif de ces données – observations récentes supérieures à celles d’il y a trois mois – vient conforter la probabilité d’une augmentation de la croissance du PIB au premier trimestre par rapport au quatrième trimestre 2023.

Un large consensus se dessine parmi les prévisionnistes économiques : celui d’une reprise progressive de la croissance trimestrielle du PIB réel dans la zone euro en 2024. L’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels, publiée en janvier, indique un lent redressement de l’activité économique tout au long de cette année[1]. Les projections macroéconomiques de décembre 2023, établies par les services de l’Eurosystème, tablent également sur une amélioration[2]. Dans ses prévisions économiques de l’hiver 2024, la Commission européenne souligne que « les perspectives restent mesurées pour le premier trimestre de 2024, mais que les conditions d’une accélération progressive de l’activité économique cette année sont toujours en place »[3]. Nos prévisions vont dans le même sens. La poursuite de la décrue de l’inflation, les baisses des taux directeurs – ce qui devrait améliorer les conditions de financement – ainsi que les investissements dans la transition énergétique et ceux liés au programme NextGeneration EU constituent les principaux déterminants de la reprise attendue. Avant la première réduction des taux par la BCE, cette perspective peut d’ores et déjà soutenir la confiance des agents économiques par le biais d’une diminution de l’incertitude sur les taux d’intérêt – plus précisément, la disparition des craintes de hausses des taux – et d’un assouplissement des conditions financières. Dans une communication récente, Isabel Schnabel de la BCE a évoqué le fait que : « L’économie redémarre alors que le pic de la transmission pourrait avoir été atteint »[4]. Autrement dit, la restriction monétaire devrait constituer un frein moins important qu’auparavant. Enfin, l’environnement international pourrait également jouer un rôle positif[5].

Que nous disent les données ? Nombre de données subjectives (soft data) – enquêtes auprès des entreprises et des ménages – sont publiées plus tôt que les données objectives (hard data) – activité, demande, emploi. Au vu des relations historiques entre ces deux types de données on peut déterminer s’il existe déjà dans les premières des signes indiquant une amélioration des secondes. L’indice du sentiment économique (ESI) de la Commission européenne a légèrement reculé en février (de 96,1 à 95,4). S’agissant des composantes de cet indice, le sentiment dans l’industrie a enregistré un léger repli. La construction et, en particulier, le commerce de détail ont connu un ralentissement plus marqué. La confiance des ménages s’est améliorée tandis que le sentiment dans les services s’est dégradé. Dans une perspective légèrement plus longue, l’indice du sentiment économique est ressorti, après plusieurs mois de repli, à un point bas de 93,9, en septembre et octobre 2023 et il s’est redressé ensuite pour atteindre 96,4 en décembre, avant de fléchir en janvier et, de nouveau, en février. Comme le montre le graphique 1, étant donné que l’indice est toujours inférieur à 100, sa moyenne de long terme, le risque que la croissance trimestrielle du PIB réel soit négative demeure.[6]. Par ailleurs, l’indice affiche un momentum positif avec une moyenne sur les trois derniers mois supérieure à celle des trois mois précédents. Une autre mesure consiste à comparer la dernière lecture avec celle enregistrée trois mois plus tôt. Malgré son ralentissement récent, l’indice du sentiment économique de février ne s’inscrit pas moins à un niveau supérieur à celui d’il y a trois mois. Le momentum reste positif sur la base de cette mesure également. Une amélioration du momentum des données d’enquête indique-t-elle une évolution comparable de la croissance du PIB réel ? Dans l’affirmative, ce serait le signe d’une amélioration de la croissance du PIB réel au premier trimestre par rapport au quatrième trimestre 2023. C’est précisément ce que nous enseignent les données historiques : lorsque l’indice ESI du dernier mois d’un trimestre est plus élevé qu’à la fin du trimestre précédent, la croissance du PIB réel au cours de ce même trimestre est supérieure à celle du trimestre précédent dans 60 % des cas[7]. Comme la croissance du PIB réel (t/t) a été positive dans 51 % des cas, la prise en compte du momentum de l’indice ESI devrait présenter une valeur ajoutée lors de l’estimation de la croissance trimestrielle du PIB.

Autre enquête importante relative au climat des affaires : celle servant à calculer l’indice des directeurs d’achat de S&P Global (PMI). Le momentum – défini comme la variation entre la moyenne des trois derniers mois et celle des trois mois précédents – a été positif, dans l’industrie manufacturière comme dans les services, mais il convient de rappeler que cette évolution part d’une base faible, en particulier dans le secteur manufacturier. Comme le montre le graphique 2, plus le PMI manufacturier recule en deçà de 50, plus la probabilité d’une croissance négative du PIB en glissement trimestriel se renforce[8]. À cet égard, le chiffre de 46,5 pour le mois de février interpelle. Le momentum du PMI est-il utile pour déterminer si la croissance du PIB réel, au cours d’un trimestre donné, peut être plus élevée que celle du trimestre précédent ? La réponse est manifestement positive : lorsque le PMI manufacturier du dernier mois d’un trimestre est supérieur à la valeur enregistrée trois mois plus tôt, la croissance du PIB réel augmente par rapport au trimestre précédent dans 64 % des cas. Comme la dernière valeur du PMI manufacturier est bien supérieure à celle de décembre (46,5 contre 44,4), il semble probable que le chiffre du mois de mars soit plus élevé que celui du dernier mois de 2023, suggérant un momentum positif. Cela indiquerait avec une forte probabilité que la croissance du PIB au premier trimestre sera meilleure qu’au dernier trimestre de l’année dernière. 

Pour conclure, en ce début mars, il est tentant d’évoquer l’arrivée du printemps pour décrire les perspectives économiques. D’autant que les mois écoulés ont été pareils à un hiver économique en termes d’activité et de demande. On a principalement observé une stagnation du PIB réel en même temps qu’une amélioration des données sur la confiance, malgré le fléchissement récent de l’indice de la Commission européenne. Cependant, à l’instar d’un hiver économique clément – pas de récession dans la zone euro -, le printemps devrait être marqué par une reprise en douceur et donc très progressive. Dans un tel contexte, l’évolution de l’inflation reste déterminante par son impact sur la confiance et le pouvoir d’achat des ménages, sur la base de coûts des entreprises et, surtout, par son incidence sur les orientations prospectives et les décisions de la BCE.

NOTES

[1] Source : BCE, Enquête auprès des prévisionnistes professionnels, janvier 2024. Il convient de noter que le profil de croissance trimestrielle est légèrement inférieur à celui de l’enquête précédente (octobre 2023). 

[2] Source : BCE, Projections macroéconomiques des services de l’Eurosystème, décembre 2023 (europa.eu). 

[3] Source : Commission européenne, European Economic Forecast, winter 2024, document institutionnel 268, Février 2024.

[4] Source : BCE, Has the fight against inflation been won?Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne, conférence sur la politique monétaire et la politique financière, Bocconi University, Milan, 23 février 2024. Dans son intervention, I. Schnabel fournit des estimations, basées sur des modèles, relatives à l’impact des variations des anticipations de taux d’intérêt à court terme entre décembre 2021 et février 2024, ainsi que des variations des anticipations relatives au bilan de la BCE entre octobre 2021 et février 2024 sur la croissance du PIB réel. L’impact moyen ressort à -4,0 % en 2023, -2,0 % en 2024 et à près de zéro en 2025.

[5] Dans ses commentaires sur les projections des services de l’Eurosystème de décembre 2023, la BCE a cité à titre de facteur supplémentaire l’amélioration de l’environnement international.

[6] Les données d’enquête et celles relatives au PIB pour l’année 2020 ont été exclues compte tenu des fluctuations extrêmes liées à la pandémie de Covid-19.

[7] Les données relatives à 2020 ont été exclues. Les résultats obtenus grâce à cette mesure du momentum sont meilleurs que ceux basés sur la moyenne trimestrielle de l’indicateur ESI. 

[8] Le choix du PMI manufacturier plutôt que du PMI composite – moyenne pondérée des enquêtes dans l’industrie manufacturière et les services – s’explique par la disponibilité de séries chronologiques plus longues.