par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi AM
Se mettre en mode « risk on » depuis le début d’année aura été une décision pertinente, c’est un fait indiscutable. Depuis trois mois désormais les marchés financiers sont dans une phase de forte reprise. Le marché du high yield européen a gagné plus de 9 % depuis le début de l'année, les actions allemandes – et japonaises – ont progressé de près de 20 %, les spreads souverains se sont nettement resserrés, de 200 pb pour l’Italie et le Portugal, de 170 pb pour l’Irlande, de 30 pb pour la France …. Qu'est-ce qui justifie de tels mouvements ? Quels sont les facteurs importants de cette reprise … et surtout, est-ce vraiment durable ?
Un contexte de marché à l'évidence plus porteur … et qui vient corriger les excès passés
Il est possible de mettre en avant au moins 8 facteurs (pas moins !) justifiant l'embellie des marchés.
1. De meilleurs indicateurs économiques à la fois aux États-Unis et en zone euro, avec notamment une reprise des indicateurs précurseurs allemands, ce qui nous conforte dans l'idée que le creux de l'activité économique a été atteint au cours du premier trimestre de l'année en cours. Par ailleurs, les craintes d'atterrissage brutal de l'économie chinoise s'étiolent. Après tout, ce qui justifie une révision à la baisse des prévisions de croissance chinoise (7.5%), c'est essentiellement le fait que le secteur immobilier sera moins déterminant, ce qui honnêtement n'est pas plus mal. Le ralentissement économique du bloc dit émergent reste modéré. Autrement dit les risques de « double dip » aux États-Unis, les risques d'une récession durable et profonde en zone euro et enfin les risques de « hard landing » en Chine ont nettement cédé du terrain. Il y aura bien évidemment des à-coups dans les indicateurs économiques (des phases de déception, des phases d’enthousiasme), phénomène typique des sorties de récession, mais la tendance restera positive.
2. Qui aurait cru il y a encore six mois que les pays européens seraient capables de gérer le problème de la Grèce sans alimenter la contagion ? La capacité à gérer la Grèce de façon indépendante a permis de rappeler que l’insolvabilité de ce pays devait davantage être perçue comme un problème spécifique que comme un problème systémique.
3. Nous avons donc assisté à une déconnexion des dettes souveraines et de la Grèce, ce qui a permis non seulement une forte chute de la corrélation entre les souverains, mais aussi et surtout un repli des spreads et des CDS de la quasi-totalité des pays de la zone euro. En dépit de toutes les réserves d’usage sur la portée et la représentativité des CDS souverains, rappelons que les CDS 5 ans ont cédé 135 pb en Italie, 160 pb en Irlande, 50 pb en France et 30 pb en Allemagne, ce qui donne une idée de l’amélioration de la situation.
4. Les banques ont également réussi à se déconnecter des souverains jugés à risque. Pendant toute l'année 2011, les rumeurs et les craintes sur les banques n'ont cessé d'alimenter les chroniques : tarissement de liquidités, besoins de recapitalisation, trop forte exposition aux dettes souveraines, exposition excessive aux produits dérivés, exposition dangereuse aux actifs toxiques … Tout était bon pour prédire le pire sur les banques et notamment des risques de faillite … comme si la BCE allait laisser faire ou n’avait pas les moyens de fournir la liquidité nécessaire au système bancaire. Le « deleveraging » des banques (réduction de l’exposition aux souverains notamment) et l'attitude de la banque centrale européenne (qui, via les LTRO, a fait passer la durée moyenne de ses prêts aux banques de 30 jours à 950 jours) sont venus rappeler les excès des marchés financiers. En particulier, la BCE a montré très clairement son soutien aux banques. Alors qu'en 2011, risques bancaires et risques des souverains étaient jugés similaires, ce n'est plus exactement le cas aujourd'hui.
5. Les actifs risqués sont également déconnectés des dettes souveraines à risque. En 2011, les portefeuilles avaient un facteur de risque commun, voire même dans certains cas unique : la crise de la dette. La contagion, les craintes de récession forte, les risques sur les valeurs financières … tout cela venait de la situation de crise de dette. En conséquences, classes d’actifs et sous-classes d’actifs ont passé une année avec de fortes corrélations, ce qui d’une part a affecté les portefeuilles, mais d’autre part a partout incité à réduire le risque. L’accalmie sur les marchés financiers a alimenté les décorrélations qui elles-mêmes ont nourri l’accalmie.
6. Il faut rappeler également la grande prudence des portefeuilles internationaux. En décembre, selon les enquêtes, ils étaient encore massivement surinvestis en cash, et fortement sous pondérés en actifs risqués. Toute amélioration de la situation devait avoir un impact important. Les actions allemandes par exemple, ont cédé 16% en 2011, alors 75 que la croissance du PIB était de 3%. Certes, les actions anticipent, mais les anticipations d’effondrement de la zone euro ou de récession sévère ne sont plus à l’ordre du jour.
7. En fait, nous l’avons déjà souligné, 2011 a été une année de capitulation. L'incompréhension généralisée à l'encontre de la zone euro et de sa gouvernance, mais aussi les craintes de récession dure voire même l'éclatement de la zone … tout cela a incité nombre d'investisseurs à se désintéresser de cette partie du monde. Cela a entraîné non seulement de fortes sous-pondérations, mais aussi de fortes sous-valorisations. Sans acheteurs, les prix se sont tout naturellement effondrés. Les banques, et la zone euro elle-même étaient valorisées dans l'attente du pire (respectivement faillite et éclatement), et le fait de revenir un peu moins négatif sur la zone ou simplement neutre explique à lui seul le mouvement de marché auquel nous assistons.
8. La singularisation de la Grèce signifie en clair que nous sommes passés d'une situation de crise de dettes à une situation de problèmes de dettes. Ce point est crucial : en situation de crise, les corrélations sont élevées, et les portefeuilles ont, pour faire simple, un seul facteur de risque. Depuis trois mois, il est de nouveau possible de faire de la valeur relative, de faire de la sélection de pays, de secteur, de compagnie 50 (actions et dette) … Autrement dit, il est désormais possible de faire réellement de l'allocation d'actifs.
Ne nous voilons pas la face, tous les facteurs de risque n’ont pas disparu, loin s’en faut, et la BCE à elle seule n’a pas résolu tous les problèmes des banques. De nombreux facteurs de risque demeurent, et il est utile de les rappeler.
1. Les indicateurs économiques se sont retournés favorablement, mais la zone euro est loin de montrer les capacités d'avoir une croissance solide et qui accélère. Les divergences à l’intérieur de la zone euro demeurent : certains pays sont capables de relancer leur activité économique et sont parvenus à conserver un niveau de croissance décent (Allemagne en particulier). D’autres luttent pour stabiliser l’activité et réduire dépenses publiques et déficits publics (La France en est un exemple représentatif), 21 d’autres enfin ont été emportés par la vague d’austérité qui a fortement contracté les perspectives de croissance (Grèce et Portugal au cours de ces dernières années, Italie et Espagne plus récemment). La récession modérée en zone euro et le retour vers une croissance positive pour l’ensemble des pays en 2013 ne doivent pas cacher les divergences entre les pays, ni le faible niveau d’activité de certains des pays de la zone euro.
2. Les LTRO ont donné un répit important aux banques, mais ils ne résolvent pas à eux seuls tous les problèmes : les besoins de recapitalisation, la nécessaire poursuite du « deleveraging », le risque de crédit crunch … tout cela n’a pas disparu en quelques semaines. Il faudra suivre de près les enquêtes sur les conditions de crédit pour se faire une idée plus précise de la capacité de l’économie européenne à accélérer. Pour l’heure, nos prévisions de croissance sont très conservatrices pour 2012 et 2013 : la zone euro devrait connaître une légère récession en 2012 (-0.2%) et dégager une croissance du PIB de 1.3% en 2013 (grâce à l’Allemagne notamment qui devrait renouer avec une croissance supérieure à 2.5%).
3. Les élections générales en Grèce (fin avril début mai) sont-elles susceptibles de changer radicalement la donne politique ? En ce qui concerne les partis de droite, les derniers sondages indiquent que les intentions de vote placent en tête les conservateurs de la Nouvelle Démocratie (18%), et cela malgré son approbation du plan d’austérité. Il devance le parti au pouvoir, le PASOK (14%), vainqueur des dernières élections de 2009. Un gouvernement de coalition regroupant ces deux partis semble inévitable, pour peu qu'ils souhaitent faire obstacle à la gauche radicale et communiste, qui, de son côté capitalise sur ses condamnations des plans d’austérité, et que les intentions de vote placent en tête des sondages (20%).
4. L’élection présidentielle en France est également un événement qu’il faut suivre de près, tout simplement parce qu’un possible changement – si l’on se fie aux sondages – représenterait une nouvelle période d’incertitude sur les grandes orientations (notamment sur l’Europe et l’Union Monétaire). En termes de valeur relative, il est probable que la France perde un peu de ses avantages, notamment envers des pays dont la dynamique – et les écarts de taux – sont actuellement plus favorables (l’Italie, par exemple).
5. Le Portugal et l'Espagne constituent désormais les maillons faibles de la zone euro. Le premier (le Portugal) n'a pas été mis totalement à l'abri à la suite du premier plan de sauvetage et il ne pourra vraisemblablement pas accéder au marché des capitaux à long terme dès 2013, comme cela est actuellement prévu. Le second (l’Espagne) est dans une situation délicate : gérer la montagne de dettes (l'Espagne est après le Japon le pays dont la dette totale est la plus élevée), réduire le déficit public et ne pas étouffer la croissance semblent actuellement bien difficiles.
6. Le pétrole revient au centre des débats. La nette progression du prix depuis le début de l’année, en partie liée à la demande, mais aussi à certains risques géopolitiques (Iran notamment), suscite des inquiétudes sur la croissance. Le ralentissement de l’économie chinoise est un facteur rassurant, mais cela ne suffit pas à calmer les craintes sur la croissance des économies développées, actuellement en convalescence ou encore en proie à la récession. Pire encore, son impact éventuel sur l’inflation commence à alerter la BCE, si l’on en croit un récent commentaire de Mario Draghi, son président.
7. Enfin, l'ensemble des banques va devoir faire face à des pertes de rating de la part de Moody’s. Certes, de nombreuses banques sont concernées, mais il n’en demeure pas moins vrai que pour certaines d’entres elles, le choc risque d’être sévère : 4 ou 5 crans sur la dette long terme, un cran sur la dette court terme (ce qui, pour certaines, va les couper des « money market funds ») … il serait bien étonnant que cela soit un non événement.
Autrement dit, le plan de sauvetage de la Grèce a été accepté, et le plan de restructuration de la dette finalisé, mais cela n’a pas rendu la Grèce solvable pour autant ; le Portugal et l’Espagne bénéficient à des degrés divers de l’embellie actuelle des marchés, mais certaines de leurs difficultés referont surface ; les banques n’auront pas de problème de liquidités, c’est désormais un fait, mais cela ne garantit pas que ces liquidités serviront à accorder des crédits à l’économie … ou que les agences de rating vont devenir complaisantes à leur égard.
La zone euro va devoir surmonter des épreuves dans les mois à venir. Les primes de risque et les sous-valorisations étaient devenues excessives … il était normal que le contexte de marché, plus porteur, en vienne à corriger les excès passés. Il était légitime qu'une partie de la prime de risque disparaisse … mais une partie seulement, pas l’intégralité. Autrement dit, la crise de la dette n’est pas totalement et définitivement derrière nous.