par Philippe Vilas-Boas, Economiste au Crédit Agricole
• La zone euro est une grande puissance exportatrice. Ses exportations de biens représentent plus du quart des exportations mondiales. Elle a toutefois perdu du terrain sur la décennie 2000 au profit de l’Asie, et plus spécifiquement de la Chine. Depuis 2012, la position de la zone euro s’est stabilisée dans un environnement de faible progression du commerce mondial.
• La structure des exportations de la zone euro ne lui a pas permis, entre 2000 et 2010, de bénéficier pleinement de la croissance relativement soutenue des exportations mondiales. Alors que le Royaume-Uni est le premier « client » de la zone euro juste devant les Etats-Unis, ce sont la Chine et les Etats-Unis qui ont contribué le plus fortement à la croissance de la demande adressée à la zone euro depuis 2000 ; leur demande s’est affaiblie depuis 2012 alors que la demande de la Russie a baissé, grevant les exportations européennes.
• Au-delà de l’impact d’une structure de ses exportations légèrement défavorable, avant la crise de 2009 la zone euro a vu son poids sur les marchés partenaires s’éroder nettement en raison d’une compétitivité affaiblie. Mais la performance européenne en termes d’exportation s’est stabilisée depuis 2012 et devrait se maintenir dans les années à venir. Cette stabilisation est toutefois le résultat de tendances contrastées au sein même de la zone euro : des gains marqués de parts de marché de l’Espagne grâce à une amélioration de sa compétitivité ; des pertes pour la France et l’Italie ; une certaine stabilité pour l’Allemagne.
• Si le dynamisme de la position de la Chine dans le commerce mondial semble s’affaiblir, les craintes portent aujourd’hui sur le risque d’une poussée protectionniste notamment outre-Atlantique. Une réduction des importations américaines pèserait significativement sur la demande adressée à la zone euro. Ses exportations s’en trouveraient fragilisées, ce qui pèserait sur la modeste reprise qui s’est engagée, dans un contexte de faibles volumes mondiaux et d’inquiétudes grandissantes sur les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Les exportations de biens de la zone euro représentent 3 959 Mds $ en 2015, soit 38,7% du PIB. Au prix de 20101, elles représentent 26,7% des exportations mondiales. La zone euro est ainsi la deuxième zone géographique en termes d’importance des exportations, derrière l’Asie (34,7%) et devant l’Amérique du Nord (12,3%). Le poids de la zone euro dans le commerce mondial s’est néanmoins réduit, plus particulièrement entre 2000 et 2010, sous l’effet de la concurrence accrue des pays asiatiques. Entre 2000 et 2015, la part de la zone euro dans les exportations mondiales perdait 7 points alors que l’Asie en gagnait 13.
– Vers une nouvelle dynamique des exportations ?
Entre 2000 et 2008, la croissance annuelle des exportations en volume de la zone euro atteignait 3,3% en moyenne. La crise des « subprimes », et le brusque arrêt du cycle manufacturier qui a suivi, a porté un coup d’arrêt à la croissance des exportations de la zone euro, avec une moyenne annuelle de +0,2% entre 2008 et 2012. Celle-ci s’est reprise depuis et s’élève à 1,8% depuis 2012, rythme qui demeure nettement inférieur à celui d’avant-crise.
Par ailleurs, la dynamique des exportations européennes est inférieure à celle des exportations mondiales jusqu’en 2014 ; ces dernières croissent depuis 2012 de 2,3% par an et étaient sur un rythme moyen de +5,3% l’an avant la crise. Mais, en 2015, le taux de croissance des exportations de la zone euro a dépassé celui des exportations mondiales, stoppant la baisse de la part de la zone euro dans les exportations mondiales.
Les évolutions en volume des exportations de la zone euro s’expliquent par deux facteurs :
- la structure par pays de ses exportations et l’impact de la dynamique propre des importations de ses partenaires commerciaux ;
- les performances à l’exportation de la zone euro peuvent gagner du terrain et permettre de mieux pénétrer les marchés de ses partenaires. Ces performances à l’exportation peuvent s’expliquer par l’évolution de la compétitivité-prix, mais aussi par une meilleure adaptation des produits au marché (compétitivité hors prix).
Dans les paragraphes suivants, nous tentons d’identifier le rôle de chacun de ces deux facteurs dans les évolutions des exportations de la zone euro.
– Une structure des exportations défavorable
En premier lieux, nous analysons les évolutions des exportations liées à la structure de celles-ci et à la dynamique des marchés d’exportation, excluant donc les évolutions liées à la performance à l’exportation de la zone euro. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le concept de «demande adressée ». Celui-ci permet de déterminer les évolutions des exportations liées à la seule dynamique des partenaires de la zone euro. La demande adressée représente le volume théorique des exportations qui résulterait des seules évolutions des importations des pays partenaires, à structure de pays d’exportation inchangée, fixée à une date de référence (ici 2010)2.
La demande adressée à la zone euro a progressé au rythme élevé de 4,3% par an entre 2000 et 2008, avant de subir le contrecoup de la crise, et de ralentir à 0,7% par an entre 2008 et 2012. De 2012 à 2016, elle a graduellement accéléré et a atteint en moyenne le rythme de croissance de 1,8% par an.
La demande adressée à la zone euro croît ainsi sur toute la période moins vite que les exportations mondiales, signifiant que la structure des exportations de la zone euro ne lui permet pas de bénéficier pleinement de la dynamique mondiale. Pour une part, la perte de vitesse de la zone euro est ainsi liée à l’effet mécanique de la structure de son commerce extérieur. Ce mouvement semble toutefois s’interrompre en fin de période avec des dynamiques similaires pour les exportations mondiales et la demande adressée à la zone euro.
– La Chine et les États-Unis, premiers contributeurs à la croissance de la demande adressée à la zone euro
Les premiers partenaires à l’exportation de la zone euro sont de loin le Royaume-Uni et les États-Unis avec 14% des exportations chacun (hors commerce intra-zone euro), viennent ensuite dans des proportions deux fois moindres la Chine et la Suisse. Mais, du fait des dynamiques propres de leurs importations, les contributions les plus fortes à la croissance de la demande adressée à la zone euro sont venues avant la crise de 2008, de la Chine, puis des États-Unis, de la Russie et de la Pologne. Le Royaume-Uni n’étant que le septième contributeur.
Par la suite, sur la période 2008-2012, la Chine est restée le plus gros contributeur suivie par la Suisse, qui a contribué trois fois plus que les États- Unis, la crise ayant eu des impacts différenciés sur ces pays.
Enfin, sur la période 2012-2016, les États-Unis deviennent le principal contributeur à la croissance de la demande adressée à la zone euro en raison de leur poids et du dynamisme de l’économie et des importations, alors que la contribution des importations chinoises s’affaiblit. La Russie, en revanche, du fait de la crise ukrainienne et des sanctions, a eu une contribution négative tout comme la Suisse depuis l’appréciation de la devise helvète.
– Des parts de marché stabilisées depuis 2010
Les exportations de la zone euro ont crû moins vite que la demande adressée à la zone sur la période 2000-2010, la zone euro n’a donc pas totalement satisfait la demande que ses partenaires lui avaient adressée. Face à une demande déjà peu dynamique, la zone euro a perdu des parts de marché auprès de ses partenaires. Depuis 2010 en revanche, les exportations de la zone euro croissent peu ou prou au même rythme que la demande qui lui est adressée, la zone a donc stabilisé ses parts de marché.
On peut aussi appréhender les évolutions des exportations de la zone euro liées à des gains ou à des pertes de parts de marché auprès de ses partenaires par le ratio des exportations en volume de la zone euro sur la demande qui lui est adressée. Lorsque ce ratio augmente, cela signifie que les performances de la zone euro sur les marchés partenaires se sont améliorées, et inversement. Ce ratio a ainsi diminué de manière continue jusqu’en 2010, la zone euro a été sous- performante en matière d’exportations, puis ce ratio se stabilise, indiquant que la zone euro exporte à hauteur de ce que la structure de ses exportations permet.
Cette stabilité des parts de marché depuis 2010 résulte toutefois de mouvements contrastés au sein des pays de la zone euro. L’Espagne, la Grèce et le Portugal ont gagné des parts de marché depuis 2010 tandis que la France et, dans une moindre mesure, l’Italie en ont perdu. Par ailleurs, l’Allemagne et les Pays-Bas ont vu leurs parts de marché se stabiliser.
L’Espagne est le pays de la zone qui connaît la plus forte progression de ses exportations dont la croissance annuelle moyenne depuis 2013 atteint un rythme élevé de +4,4% (contre +3% sur la période 2000-2008) alors que la demande qui lui est adressée par ses partenaires n’augmente que de 1,6% par an depuis cette date. L’Espagne a donc davantage exporté que ce que lui permettait théoriquement son positionnement commercial et la simple dynamique des importations de ses partenaires. En ce sens, elle a gagné des parts de marché. La France connaît également une amélioration de ses exportations comparativement à la période avant crise : +0,6% depuis 2013 contre +0,1% avant 2008. Mais la demande qui lui est adressée augmente plus vite encore, au rythme de 1,9% par an. Elle n’en profite pas pleinement et demeure donc dans une situation de perte de parts de marché. En Allemagne, le rythme de croissance des exportations correspond à celui de la demande qui lui est adressée, ce qui se traduit par une stabilisation de ses parts de marché à l’exportation et par un impact neutre sur le commerce de la zone. Quant à l’Italie, elle continue de perdre des parts de marché mais à un rythme nettement inférieur à celui connu au cours des années 2000.
– Quelles perspectives d’évolution des parts de marché pour la zone euro ?
Pour estimer l’évolution des parts de marché de la zone euro dans les années à venir, nous avons calculé la demande qui lui est adressée à partir des prévisions du FMI des importations des pays partenaires hors zone euro. Ensuite, à partir de nos prévisions d’exportation pour les pays de la zone euro et, sous hypothèse, plutôt optimiste, d’un maintien des gains de compétitivité-prix passés dans les années à venir, nous avons pu analyser les évolutions de leurs parts de marché ainsi que celles de la zone euro agrégée.
A moyen terme, on distingue clairement les pays du Sud de l’Europe (Espagne, Grèce, Portugal, Italie) comme étant ceux qui gagneront le plus de parts de marché à l’exportation. L’Espagne devrait ainsi voir ses exportations augmenter au rythme de 3,6% par an entre 2017 et 2020, tandis que sa demande adressée progresserait de 3,2% par an sur cet horizon. Les Pays-Bas stabiliseraient leurs parts de marché tandis que la France continuerait de voir ses parts de marché se dégrader régulièrement. En Italie, les exportations sont attendues en hausse (+4,6% par an, d’ici à 2020) et devraient dépasser la demande adressée (+3,5%), permettant ainsi au pays d’inverser la tendance des quinze dernières années. Concernant l’Allemagne, ses exportations sont attendues en hausse de 3,3% par an d’ici 2020, mais sa demande adressée devrait augmenter plus rapidement encore, au rythme de 3,8% par an, ce qui entraînerait un léger recul de ses parts de marché à l’exportation sur la période. Au niveau de la zone euro agrégée, nous anticipons une progression annuelle des exportations (+3,6%) légèrement plus élevée que celle de sa demande adressée (+3,5%), contribuant ainsi à une fragile amélioration de ses parts de marché d’ici à 2020.
La concurrence asiatique menace-t-elle nos parts de marché à l’exportation ?
La réduction de la part de la zone euro dans les exportations mondiales durant la décennie 2000 s’est faite au profit principalement de l’Asie qui a vu ses performances s’améliorer très rapidement jusqu’en 2008 pour progresser beaucoup plus modérément par la suite.
C’est surtout la Chine (37% des exportations de l’Asie) qui s’est montrée particulièrement performante dans ses échanges extérieurs ; elle reste sur une bonne dynamique dans la période récente : entre 2012 et 2016, ses exportations ont augmenté de 3,7% par an, tandis que la demande adressée n’excédait pas 1,8% de progression. Nos projections anticipent un recul relatif de ses positions d’ici 2020 en raison de la dégradation des termes de l’échange3. En effet, nous constatons une détérioration de la compétitivité-prix chinoise depuis le début de l’année 2011. Si cette tendance se poursuit à moyen terme, la Chine devrait perdre peu à peu des parts de marché à l’exportation à moins d’opérer une montée en gamme et/ou de gagner en compétitivité hors prix.
Un protectionnisme américain renforcé pèserait sur les exportations européennes
Ce qui inquiète aujourd’hui ce n’est pas tant la concurrence chinoise que la multiplication des déclarations protectionnistes. L’élection du nouveau président des États-Unis et ses déclarations sur la dénonciation d’accords multilatéraux font craindre une hausse des barrières tarifaires et/ou non tarifaires pour accéder au marché américain. Si la proposition avancée par Donald Trump d’une hausse tarifaire de 45% sur les produits importés de Chine paraît fantasque, il est probable que la future politique commerciale américaine soit davantage guidée par l’«America first» et, par conséquent, aboutisse à un volume d’importations plus faible y compris en provenance d’Europe. Cette montée en puissance du protectionnisme chez notre deuxième partenaire commercial impacterait significativement la demande adressée à la zone euro et ses exportations.
Si l’on considère, toutes choses égales par ailleurs, une chute de 10% des importations américaines, alors la croissance de la demande adressée à la zone euro perdrait près de 1,1 point de pourcentage et tomberait à 2,8% en 2020.
En décomposant ce choc porté à l’ensemble de la zone au niveau des différents pays qui la composent, on constate des impacts contrastés dès 2017, suivant les pays, en fonction de leur exposition au commerce américain. Ainsi, l’Irlande serait le pays de loin le plus impacté avec une perte de 4,2 points de pourcentage sur la croissance de sa demande adressée globale tandis que les impacts sur les autres pays seraient plus limités allant de -1,4 point en Finlande à -0,7 point en Espagne et -1,1 point en France. Toutefois, seule l’Irlande pourrait dans ce cas, voir sa demande adressée reculer en 2017, tandis qu’elle continuerait de progresser dans les autres pays.
NOTES
- Dans notre analyse, nous raisonnons en volume et non en valeur, afin de supprimer les effets prix/change qui viendraient brouiller l’analyse de l’évolution des échanges mondiaux.
- Dans nos calculs, l’année 2010 est l’année de référence, les indices d’importation et d’exportation en volume sont en base 100 cette même année.
- Ratio entre l’indice des prix à l’exportation et l’indice des prix à l’importation. Une amélioration de celui-ci reflète une dégradation de la compétitivité prix du pays concerné, et inversement.