par Brett Rowley, stratégiste chez Amundi Asset Management
L'examen des dernières élections en Côte d'Ivoire et en Égypte s'est révélé douloureux. L'Égypte donne une image de stabilité mais pas de démocratie. La Côte d'Ivoire, quant à elle, est une jeune démocratie mais reste instable.
Côte d'Ivoire : les élections dans l'impasse
Alors qu'aucun incident majeur n'a perturbé le premier tour des élections présidentielles en Côte d'Ivoire (le 31 octobre), le second tour (le 28 novembre) opposant l'actuel président Laurent Gbagbo et le leader de l'opposition Alassane Ouattara ne s'est pas déroulé sans heurts. Les deux camps s'accusent mutuellement de fraudes diverses et d'intimidation sur les électeurs, mais la plupart des observateurs internationaux ont confirmé que le second tour s'était déroulé démocratiquement et qu'aucune des irrégularités signalées ne permettait de remettre en cause le résultat des élections.
Selon la loi électorale en Côte d'Ivoire, la Commission électorale indépendante (CEI) avait jusqu'au mercredi 1er décembre minuit pour annoncer le résultat du scrutin de dimanche. Elle avait prévu de dévoiler des résultats provisoires dès mardi, mais ses projets ont été contrariés par les partisans du Président Gbagbo, et notamment par le fameux incident au cours duquel les résultats préliminaires ont été arrachés des mains du porte-parole de la CEI sous l'œil des caméras juste avant le début de la conférence de presse.
Après cet échec, la CEI a pu annoncer les résultats jeudi 2 (soit un jour après le délai prévu par la Constitution). Le président de la CEI a déclaré Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1 % des votes contre 45,9 % pour le président sortant Laurent Gbagbo. Cependant, les résultats doivent encore être approuvés par le Conseil constitutionnel (présidé par un allié de Laurent Gbagbo). Bien que cet organe dispose de sept jours pour se prononcer sur les résultats, il ne lui a fallu que 30 minutes pour contester leur validité.
Pour Paul Yao N’Dre, Président du Conseil constitutionnel, « la commission n'est pas habilitée à annoncer les résultats ». Il estime en effet que la CEI n'était plus en droit d'annoncer les résultats de l'élection car le délai légal avait expiré. Le lendemain, le Conseil constitutionnel a décidé d'invalider les scrutins de 7 districts (tous des bastions d'Alassane Ouattara) sur 19 et a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur.
Cependant, la majorité des observateurs internationaux s'accordent à dire qu'Alassane Ouattara a remporté le second tour. Les Nations unies, l'Union africaine, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France considèrent également que la victoire revient à Alassane Ouattara et ont commencé à faire pression sur Laurent Gbagbo pour qu'il respecte les résultats du scrutin et se retire. Si le président sortant peut vraisemblablement résister aux pressions internationales, il ne sera pas aussi simple de faire face à la contestation populaire. Laurent Gbagbo bénéficie actuellement du soutien de l'armée et de la police, mais certains pourraient changer leur fusil d'épaule si la situation empire et que les actes de violence isolés dégénèrent en guerre civile.
Les deux candidats, revendiquant chacun la victoire, ont prononcé le serment d'investiture et commencé à constituer des gouvernements parallèles. Alassane Ouattara a reconduit Guillaume Soro dans sa fonction de Premier Ministre, et ce dernier travaille à la formation de son cabinet. Cette volonté de continuité ne suffira pas à apaiser les partisans d'un gouvernement d'unité auquel Alassane Ouattara disait rester ouvert en début de semaine. N'oublions pas que Guillaume Soro était le leader du mouvement Nouvelles Forces (anciens rebelles du nord du pays) dont les troupes n'ont pas encore été totalement désarmées. Laurent Gbagbo a prêté serment devant le Conseil constitutionnel samedi dernier, et a nommé le Professeur Gilbert Marie N'gbo Ake (économiste) Premier Ministre.
Le Président Gbagbo essaie clairement de s'accrocher au pouvoir aussi longtemps que possible au risque d'entraîner davantage d'instabilité à court terme. Même si la communauté internationale reconnaît rapidement la victoire d'Alassane Ouattara, il lui faudrait du temps et des efforts pour obtenir la crédibilité nécessaire pour pouvoir gouverner le pays. Aujourd'hui, les rues ont retrouvé leur calme, mais 17 personnes ont trouvé la mort dans les violences liées aux élections depuis la semaine dernière.
Égypte : si on ne peut pas les battre… On se retire !
Le climat des élections législatives en Égypte la semaine dernière contraste fortement avec celui des élections présidentielles en Côte d'Ivoire. Les efforts du Président Hosni Moubarak pour fragmenter l'opposition ont été fructueux, ce qui n'a rien de surprenant si l'on considère les accusations de fraude qui ont marqué le scrutin. Les Frères musulmans, le plus grand parti de l'opposition, n'ont obtenu aucun siège au premier tour. Bien que 26 candidats du parti soient restés dans la course pour le second tour, les Frères musulmans ont décidé que le jeu n'en valait pas la chandelle. Un autre parti d'opposition, le WAFD, a également annoncé qu'il comptait se retirer du second tour et que ses deux candidats élus au premier tour dimanche occuperaient leurs sièges sans étiquette. Le parti d'Hosni Moubarak, le PND, a donc remporté 41 % des 508 sièges au premier tour et seulement 12 sièges (2 %) ont été attribués aux candidats de l'opposition et aux candidats indépendants (excepté les Frères musulmans). Techniquement, il reste 53 % des sièges à pourvoir pour le second tour de dimanche, mais en dehors des Frères musulmans, les partis de l'opposition ne sont pas réellement organisés.
Les efforts de Mohamed Elbaradei pour unifier l'opposition en invitant au boycott des élections de dimanche dernier n'ont finalement pas convaincu les Frères musulmans. En fait, seuls deux petits partis ont répondu présents. Après avoir été mis sur la touche, on imagine difficilement Mohamed Elbaradei revenir à temps pour mener l'opposition lors des élections présidentielles de l'année prochaine (en septembre 2011).