par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Le Président George W Bush a un jour demandé au Président Hu Jintao ce qui le tenait éveillé la nuit: « 25 millions de nouveaux emplois par an ». Si l’on posait la question au Président Obama, sa réponse ne serait pas très différente, même s’il ajouterait probablement que 10 millions suffiraient.
Compte tenu de la population actuelle et sous l’hypothèse d’un taux de participation de 66,1% (correspondant à la moyenne sur 2004-2007), il faudrait en effet 10,250 millions d’emplois supplémentaires pour ramener le taux de chômage vers son niveau d’équilibre (le « NAIRU »), estimé à 5,2% par le Congressional Budget Office. Si l’on prend en compte des indicateurs plus large de sous-emploi1, on peut même arriver à 12, voire 17, millions d’emplois nécessaires. Pour atteindre le plein emploi (première définition), il faudrait créer 850 000 emplois par mois. En août, les créations d’emplois ont été nulles. Le Président Obama doit mal dormir.
La crise a été profonde et durable ; la reprise qui a suivi a été faible et irrégulière. En conséquence, le PIB réel restait au T2 2011 0,5% sous son précédent sommet du T4 2007. Par comparaison avec son potentiel, le PIB est presque 7 % sous le niveau auquel il devrait se trouver. Il n’est donc pas surprenant que les créations d’emplois soient anémiques. Entre les points extrêmes du cycle, 8 750 000 emplois ont été détruits et seulement 1 417 000 recréés depuis. Entre février et avril, le marché du travail a semblé retrouver des couleurs, progressant à un rythme mensuel moyen de 215 000 emplois. En mai, la tendance s’est rompue, probablement sous l’impact conjoint de deux chocs d’offre massifs (la flambée des prix du pétrole et le tremblement de terre suivi d’un tsunami au Japon). En août, les créations d’emplois ont calé, purement et simplement.
Le nombre de chômeurs est une chose. La durée du chômage en est une autre. À court terme2, plus la durée du chômage s’allonge, plus le nombre de chômeurs non indemnisés augmente. Aux Etats-Unis, la période d’indemnisation est de 26 semaines. Quand le chômage est élevé, elle peut être allongée de 13 à 20 semaines (selon les États). En 2008, une indemnisation d’urgence (Emergency Unemployment Compensation) a pu prolonger de 53 semaines supplémentaires. Bref, aujourd’hui et jusqu’au 3 janvier 2012, les chômeurs peuvent bénéficier (au plus) de 99 semaines d’indemnisation. La dernière semaine d’août, plus de 3 millions de personnes étaient concernées, pour une indemnisation moyenne de USD 330 par semaine. Le 4 janvier 2012, le revenu disponible des ménages sera amputé d’environ USD 50 mds (en rythme annualisé). Fin 2011, prendra également fin l’abaissement des cotisations salariales de 6,2% à 4,2%, ce qui amputera le revenu disponible d’environ USD 140 mds supplémentaires, selon nos estimations. Bref, au début de l’année prochaine, si rien n’est mis en œuvre, le revenu des Américains diminuera de plus de 1,5 point de PIB, avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la consommation. C’est le problème auquel le Président Obama tente d’apporter une solution. Il a présenté son projet dans un discours prononcé devant le Congrès le 8 septembre. Voici les principaux éléments de ce plan :
1) Mesures destinées à aider les PME
- Division par deux du taux des cotisations patronales (de 6,2% à 3,1%) pour la première tranche de USD5 mn de masse salariale (correspondant à 98 % des entreprises).
- Elimination temporaire des cotisations patronales pour les nouvelles embauches ou les augmentations (jusqu’à USD 50 mn d’augmentation de la masse salariale).
- Reconduction de la déductibilité fiscale des investissements des entreprises jusqu’en 2012 (incitation arrivant normalement à expiration).
- Mesures réglementaires et législatives, notamment celles définies et recommandées par la commission pour l’emploi (President’s Jobs Council) en faveur de la création et du développement des PME.
2) Reconstruction et modernisation de l’Amérique
- Crédit d’impôt à hauteur de USD 5 600 pour l’embauche d’anciens combattants et à hauteur de USD 9 600 pour l’embauche d’invalides de guerre. Ces deux mesures ciblent les personnes au chômage depuis plus de six mois.
- Transferts aux États et collectivités locales de USD 35 mds d’argent fédéral afin d’éviter le licenciement des enseignants, forces de police et pompiers.
- Modernisation de plus de 35.000 écoles publiques (USD 25 mds)
- Rénovation des infrastructures (routes, voies ferrées et aéroports) pour un montant de USD 50 mds.
- Création d’une banque nationale pour les infrastructures (National Infrastructure Bank) avec un capital de USD 10 mds, afin de mobiliser des capitaux privés et publics et d’investir dans un large éventail de projets d’infrastructure.
- Rénovation des entreprises, espaces collectifs et surtout des logements vides et/ou saisis (USD 15 mds).
- Développement de l’accès à l’Internet sans fil à grande vitesse (pour en faire bénéficier au moins 98 % de la population).
3) Apporter une solution au problème du chômage (de long terme et des personnes sans qualification)
- Extension de l’assurance chômage pour que 6 millions de personnes en recherche d’emploi ne perdent pas leurs indemnités.
- Mesure pour assouplir le régime d’assurance chômage, offrant aux États davantage d’options (emplois partagés, incitations au retour à l’emploi des seniors et aides à la création d’entreprise pour les chômeurs).
- Aides aux États pour le retour à l’emploi des chômeurs de longue durée et pour lutter contre le chômage des jeunes. Programmes de formation pour les jeunes adultes défavorisés.
- Crédits d’impôt pour l’embauche de chômeurs de longue durée (à hauteur de 4 000 USD).
4) Aides fiscales aux salariés
- Division par deux du taux de cotisation salariale l’année prochaine : cette disposition permettra à une famille moyenne d’économiser USD 1 500 d’impôt. À l’instar de la baisse votée en décembre 2010, il sera précisé que les pensions publiques ne verront pas leur financement diminué, grâce à un transfert du Fonds général au Social Security Trust Fund.
- Aide au refinancement des prêts immobiliers (à des taux historiquement bas aujourd’hui) en éliminant les obstacles découlant du programme HARP .
5) Entièrement financé dans le cadre du projet du Président de réduction à long terme du déficit
Le Président Obama demande à la Commission conjointe (Joint Committee), supposée proposer un projet de coupes budgétaires sur dix ans avant la fin du mois de novembre, de trouver de nouvelles mesures de réduction du déficit afin de financer ce projet de loi, tout en respectant l’objectif de réduction du déficit. De plus amples précisions devraient être communiquées très prochainement.
Ce projet est ce dont l’économie américaine a besoin. Il correspond ainsi à ce que Ben Bernanke a appelé de ses vœux : stimuler l’économie à court terme, tout en équilibrant les finances publiques à long terme. Ce projet a-t-il une chance d’être voté ? Il est difficile de se prononcer. Les membres du Tea Party sont opposés à toute forme d’augmentation des dépenses. S’ils sont a priori en faveur des baisses d’impôts, le fait que les propositions émanent du Président Obama pourrait freiner leur enthousiasme.
Nous ne pouvons qu’espérer que le Congrès votera, au moins, l’extension des deux mesures de soutien au revenu disponible des ménages (allongement de l’indemnisation du chômage, taux réduit de cotisations salariales). Soyons clair: s’il en était autrement, l’économie américaine connaîtrait une contraction du PIB au premier trimestre 2012. Les Américains ne peuvent tout simplement pas joindre les deux bouts sans cet argent. Un peu plus d’argent serait bienvenu, et l’ensemble du plan pourrait permettre un rebond de la croissance et donc des créations d’emplois. C’est peut être là où le bas blesse les membres du Tea Party : un recul du chômage pourrait permettre au Président Obama d’être réélu en novembre 2012. L’économie américaine dépend donc de calculs politiques. C’est affligeant.
NOTES
- Pour le premier indicateur, au chômage, on ajoute les personnes en recherche d’emploi (la réserve disponible de travailleurs). Cet indicateur un temps privilégié par Alan Greenspan a atteint 13,3 % de la population active en août 2011 (il était de 7 % fin 2000). Pour le deuxième indicateur, on ajoute au premier les personnes travaillant à temps partiel non désiré (16,2 %).
- Dans une perspective à long terme, plus la période de chômage est longue, plus la perte de qualifications est probable, rendant plus difficile le retour à l’emploi. Cela réduit le taux de participation à l’emploi et le taux de croissance potentiel du PIB.
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