Crise financière : quelles conséquences pour la croissance mondiale ?

par Florien Roger, responsable Macro-économie chez Amundi Asset Management

Les principales économies développées sont sorties affaiblies de la crise financière de 2008. Que ce soit aux Etats-Unis ou dans de nombreux pays Européens, le secteur privé continue d’afficher d’importants déséquilibres, tandis que les Etats doivent dorénavant assainir leurs finances publiques. L’été 2011 a été le théâtre d’inquiétantes défaillances de gouvernance des deux côtés de l’Atlantique pour réaliser ce nécessaire ajustement budgétaire. Cela a généré un regain de tensions dans la sphère financière.

Cette dégradation du climat des affaires implique un affaiblissement des perspectives de croissance et attise les craintes d’une rechute de l’économie mondiale en récession. Nous ne privilégions pas cette hypothèse en scénario central, notamment au regard de la situation financière des entreprises dans les pays développés et des débouchés de croissance qu’offrent encore les pays émergents.

Etats-Unis : perte du AAA et situation économique dégradée

Aux Etats-Unis, la révision des comptes publics a révélé que la situation conjoncturelle avait été nettement plus dégradée qu’anticipé lors des cinq dernières années. La récession a provoqué une chute du PIB de -5.1% du pic au creux (contre -4.1% initialement mesuré), tandis que la croissance n’a été que de +2.4% t/t annualisé par trimestre en moyenne en phase de reprise. Au final, le PIB n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant crise cinq ans après, du jamais vu depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce résultat traduit l’anémie de la demande domestique. La consommation pâtit du processus de désendettement des ménages, avec en corollaire des difficultés structurelles persistantes sur le marché immobilier et sur celui du travail. Sur l’ensemble du premier semestre 2011, les dépenses des ménages, en proie à une succession de chocs (dislocations du marché automobile du fait de la crise japonaise, envolée des prix des matières premières …) n’ont alors progressé en moyenne que de +1.3% t/t annualisé.

Parallèlement, les administrations locales et fédérales contribuent défavorablement à la croissance, et ce depuis le premier semestre 2010 (-0.2% en moyenne depuis début 2010 et -0.7% en considérant seulement le premier semestre 2011). Le plan budgétaire adopté dans le cadre du relèvement du plafond de la dette fédérale va amplifier ce concours négatif. La diminution des dépenses publiques va être accrue de 40Mds$ (0.3% du PIB) l’année prochaine et cela devrait au total amputer la croissance 2012 d’environ 1.5%, en tenant compte des effets multiplicateurs.

Outre ces conséquences mécaniques sur l’activité, la problématique budgétaire autour du relèvement du plafond de la dette fédérale a surtout ravivé les tensions sur les marchés et fortement dégradé les enquêtes d’activité.

Les débats acerbes entre démocrates et républicains et les échecs successifs pour parvenir à un accord ont fait planer le spectre d’une cessation de paiement de l’Etat américain en juillet puis la dégradation de la note des Etats-Unis par a produit un véritable coup de tonnerre. La confiance des consommateurs, mesurée par l’indice de l’Université du Michigan, a plongé de plus de 30 points, atteignant un niveau qu’elle n’avait plus connu depuis mai 1980. Parallèlement, les enquêtes de confiance menées auprès des directeurs d’achat du secteur manufacturier ont fortement corrigé, renouant avec les niveaux enregistrés en 2008. Ces résultats suggèrent que la demande finale devrait revoir à la baisse ses dépenses. En particulier, les entreprises devraient ajuster, au moins temporairement, leurs investissements bruts (dépenses en capital et stocks) afin de limiter leurs besoins de refinancement et d’obtenir davantage de visibilité sur les perspectives économiques. Cela devrait inciter les analystes à poursuivre leurs révisions baissières sur les prévisions de croissance. Les données de Consensus Economics révèlent en effet que le consensus n’a quasiment intégré aucun effet de la crise sur les dépenses des entreprises. Nous restons plus prudents que ce dernier. Pour 2011 et 2012, nous prévoyons une croissance du PIB de +1.4% et de +2% (vs +2.6% et +2.5% en juillet), alors que le consensus se situe à +1.8% et +2.5%. La forte révision à la baisse des prévisions pour 2011 provient majoritairement de la diminution de l’acquis de croissance suite à la révision des comptes publics.

Même si la montée du stress financier finira par impacter de nouveau la demande finale, il n’entraînera pas, contrairement à 2008, une contraction marquée et durable de l’activité. Son impact sur les dépenses des entreprises devrait s’avérer bien plus limité, d’autant que le taux d’investissement est tombé largement sous sa moyenne de long terme. Les entreprises affichent en outre une structure d’endettement saine et des marges élevées. La consommation devrait pour sa part rester en territoire positif. Les nouvelles inscriptions au chômage ne suggèrent pas un choc marqué sur les créations d’emplois et le reflux récent des prix du pétrole devrait soutenir la progression du revenu disponible réel. L’économie américaine ne présente pas les mêmes déséquilibres qu’en 2008, ce qui devrait favoriser sa résilience. Il pourrait in fine y avoir un décalage entre l’évolution des données réelles et l’ampleur de la chute des enquêtes de confiance car cette dernière n’est vraisemblablement pas uniquement le reflet de facteurs conjoncturels (effet symbolique de la perte du AAA pour les Etats-Unis,…).

A court terme, il convient néanmoins de retenir un message prudent, car comme indiqué précédemment, les révisions baissières des analystes vont se poursuivre et les tensions vives sur les marchés peuvent générer des phénomènes de panique déstabilisants pour les acteurs financiers et la sphère réelle.

La situation reste préoccupante en zone euro

 Si le spectre d’un retour en récession des Etats-Unis hante les marchés depuis le début de l’été, la situation paraît plus préoccupante encore en Europe. En effet, le stress financier s’est accru nettement plus de ce côté de l’Atlantique, du fait de la difficulté des dirigeants de la Zone Euro à trouver une réponse commune globale à la problématique des dettes souveraines. La question de la solvabilité de la Grèce n’est pas réglée un an et demi après le début de la crise, le FESF n’a pas la taille suffisante pour traiter des problèmes de contagion à l’Espagne ou à l’Italie, le rôle de préteur en dernier ressort de la BCE n’est pas accepté par une partie des responsables européens … et par la BCE elle-même. De ce fait, les tensions sur les marchés financiers ont été particulièrement vives et les banques européennes ont souffert d’une défiance des investisseurs.

De plus, face à l’incapacité de l’UEM d’offrir une solution coopérative crédible, les Etats ont dû mettre en place des plans d’austérité à marche forcée pour calmer les tensions sur les marchés. L’ensemble de ces facteurs (sources de cercle vicieux entre la sphère financière et l’activité réelle) dégrade fortement les perspectives conjoncturelles pour la Zone Euro. Au sein des pays périphériques, l’activité devrait rester déprimée car ces derniers devront conserver une politique fiscale particulièrement restrictive pour limiter le dérapage de leurs finances publiques. En effet, la Grèce, l’Irlande et dans une moindre mesure le Portugal ont connu une dérive fiscale par rapport aux cibles fixées sur le premier semestre 2011. Seule l’Espagne est parvenue à maintenir une exécution budgétaire conforme à ses objectifs, mais d’importantes inquiétudes demeurent quant à l’état des finances des administrations régionales.

L’Italie a dû adopter, mi-août, des mesures d’austérité supplémentaires de 45.5Mds€ cumulées sur 2011 et 2012 (s’ajoutant au plan de 48mds€ décidé mi juillet) dans le but d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2013.

Conjugués à une forte montée du stress dans le secteur bancaire italien suite aux attaques spéculatives contre sa dette souveraine (entraînant un net durcissement des conditions de crédit), ces plans devraient entraîner la croissance italienne en territoire négatif au T3 2011 et ne permettre au PIB de progresser de seulement 0.6% en 2011 et 0.4% en 2012.

En France, le déficit de l’Etat n’a pas baissé à fin juin 2011 par rapport à son niveau de fin juin 2010 (61.3 milliards € vs 61.7 milliards €). La croissance du PIB a stagné sur le deuxième trimestre, notamment à cause d’une contraction de la consommation des ménages (liée à l’arrêt de la prime à la casse sur les automobiles). Ces résultats ont conduit le gouvernement français à réviser à la baisse ses prévisions de croissance pour les exercices budgétaires 2011 et 2012 et à annoncer un plan d’austérité budgétaire de 12mds€ afin de ramener le déficit public à 4.5% en 2012 et d’éviter une perte du AAA de l’Etat français. Les mesures annoncées et la dégradation des indicateurs avancés nous conduisent à abaisser nos prévisions de croissance pour la France de 2.1% et 1.5% à 1.7% et 1.4%, respectivement pour 2011 et 2012.

L’Allemagne n’est pas soumise aux mêmes contraintes budgétaires que la plupart des pays de la Zone Euro. Elle n’a pas échappé néanmoins à un ralentissement tangible de son activité au T2 2011. A l’instar de la France, ce résultat décevant s’explique majoritairement par des facteurs temporaires (compensation sur la consommation et la construction après les chiffres très forts du T1 2011). Toutefois, le principal moteur de l’Allemagne, tournant autour du couple investissement-exports, devrait être bridé par la montée du stress financier en Europe et par le ralentissement des principaux partenaires commerciaux du pays (l’UEM et EU représentant respectivement 40% et 72% des exports de l’Allemagne). La croissance allemande ne devrait alors quasiment pas rebondir au T3 2011 et passer d’un rythme en moyenne annuelle de 3% en 2011 à un niveau de 1.8% en 2012.

Au total, le PIB de la Zone Euro devrait au mieux être nul au T3 2011 et une contraction d’activité n’est absolument pas à exclure. Contrairement aux Etats-Unis, les enquêtes d’activité n’ont vraisemblablement pas enregistré de sur-réactions et devraient donc continuer de se dégrader. Les développements récents nous conduisent à réviser significativement à la baisse nos prévisions de croissance pour 2011 et 2012 (respectivement de +2% à +1.8% et de +1.6% à 1.0%). En outre, de nombreux facteurs pourraient encore alimenter le stress financier lors des prochains mois : procédures d'échange des obligations grecques, déroulement des adjudications européennes – particulièrement pour l'Italie –, adoption des lois de finance 2012 et éventuellement de règles de consolidation budgétaire au niveau constitutionnel, adoption par les parlements nationaux des membres de l'UEM des nouvelles prérogatives conférées au FESF lors du sommet du 21 juillet… Cela pourrait conduire à un scénario plus défavorable.

Au final, nous révisons nos anticipations de croissance mondiale de 3.9% à 3.5%. Les pays émergents ressortent plus que jamais comme étant le principal moteur de croissance dans le monde. Même si ces derniers devraient pâtir du ralentissement du commerce mondial, ils bénéficient d’une demande domestique encore dynamique. Les ventes au détail réelles affichent en effet une bonne résistance, notamment grâce à la progression des revenus enregistrée depuis un an. Dans un contexte de ralentissement mondial et de reflux des cours des matières premières, le risque de surchauffe inflationniste devient par ailleurs moins préoccupant à court terme. Les indices d’inflation totaux dans ces pays vont connaître de puissants effets de base négatifs sur leurs composantes alimentaires. Cela devrait permettre aux banques centrales d’adopter des politiques monétaires moins restrictives. Enfin, contrairement aux pays développés, les économies émergentes bénéficient de marges de manœuvre budgétaires pour amortir le choc conjoncturel.