La Turquie ne connaît pas la crise… pour l’instant

par Zaneta Kubik, Violeta Predescu et Juan Carlos Rodado, économistes chez Natixis

Malgré la décélération de l’activité par rapport au trimestre précédent, la croissance turque a surpris à la hausse et a progressé de 8,8% en GA au T2, dépassant de loin les attentes du consensus (6,8%). De nouveau, la demande interne demeure le principal moteur de la croissance grâce au dynamisme des salaires et du crédit.

Cependant, la chute de la production industrielle et la décélération du crédit suggèrent le début du ralentissement économique. Bien que la modération du crédit soit salutaire à terme pour la maîtrise de l’abyssal déficit courant, la question de son financement demeure un enjeu majeur en période de panique financière généralisée. Pour l’heure, nous tablons sur un atterrissage en douceur de la Turquie. La croissance serait donc proche de 3,5% en 2012 après 6,8% cette année. La matérialisation d’un hard landing n’est pourtant pas à exclure compte tenu de l’ampleur des déséquilibres externes.

La croissance turque maintient son dynamisme au T2…

La croissance turque continue à être soutenue. Malgré une décélération par rapport aux excellents résultats du premier trimestre (11,6% en GA), le PIB a de nouveau surpris à la hausse et a progressé de 8,8% en GA (1,3% en T/T en données corrigées des variations saisonnières), dépassant de loin les attentes du consensus (6,8%).

 …grâce à la demande interne…

Les déterminants de la croissance sont identiques au trimestre précédent, avec une demande interne comme seul moteur économique et à l’origine de l’intégralité de la croissance du trimestre. Grâce au maintien de son dynamisme (28,9% en GA au T2), l’investissement prive demeure le principal contributeur à la croissance (6,6 pts de contribution), suivi de la consommation privée (6,3 pts), qui continue, elle aussi, de croître à un rythme élevé (9,2% en GA au T2). Portée toujours par l’expansion du crédit (35,5% en GA en août) et des salaires (14,4% en GA au T2), elle devrait néanmoins ralentir au cours des prochains trimestres. Le crédit affiche les premiers signes de décélération, alors que l’inflation augmente (6,7% en août contre 6,2% en juin) et la confiance des consommateurs se dégrade depuis août.

 …tandis que le ralentissement se matérialise…

Les exportations ont fortement décéléré par rapport au trimestre précédent (0,2% en GA au T2 contre 8,3% au T1). Elles demeurent largement moins dynamiques que les importations (18,8% en GA au T2) ce qui s’est traduit par une contribution négative du commerce extérieur à la croissance (-5,2 pts). De même, les industries orientées à l’exportation affichent une croissance moins importante que les secteurs abrités (8% en GA au T2 dans l’industrie manufacturière contre 14,3% dans les services financiers et 13,2% dans la construction). Or, la chute de la production industrielle depuis le début de l’année (6,9% en GA en juillet contre 19% en janvier), suggère une poursuite du ralentissement de l’activité.

…et la question du Hard ou Soft Landing se pose à horizon 2012

Le financement de l’abyssal déficit courant turc est le principal défi pour la stabilité financière du pays. Il pourrait dépasser 10% du PIB cette année contre 2,3% en 2009. En cause, la dépendance énergétique du pays, le faible taux d’épargne des ménages et le fort contenu en importations des exportations. Néanmoins, sa dégradation serait atténuée par le ralentissement de l’activité amorcé au T2. Le déficit courant a enregistré sa plus faible dégradation au cours des 9 derniers mois (5,3 Mds USD en juillet)1 et ne devrait reculer qu’à partir de novembre.

De plus, la qualité de son financement s’est fortement détériorée depuis 2010 avec la forte augmentation des investissements de portefeuille, par nature plus volatiles. Même si les IDE progressent en juillet (2,6 Mds USD), le contexte global en 2012 ne plaide certainement pas en faveur d’un boom des IDE puisque une large partie provient de la zone euro (70% des IDE) dont la croissance restera modeste à 1,0% l’année prochaine. Dans ce contexte, la lire turque a subi la plus forte dépréciation contre USD parmi les devises émergentes depuis le début de l’année (15%) alors que l’aversion pour le risque ne cesse de croître.

Cependant, la BCT a été prompte à prévoir un fort ralentissement de l’activité 2 et à assouplir sa politique monétaire en conséquence. Elle a baissé son taux directeur de 50 pb à 5,75% le 4 août, a mis en place une gestion active de la liquidité interbancaire et intervient quotidiennement sur le marché des changes pour soutenir le TRY. Les autorités monétaires, conscientes de la fragilité financière du pays, préparent de cette façon le soft landing de l’économie turque. Pour l’heure, nous tablons sur un atterrissage en douceur de la Turquie. La croissance serait donc proche de 3,5% en 2012 après 6,8% cette année. La matérialisation d’un hard landing n’est pourtant pas à exclure en cas d’arrêt soudain des flux de capitaux vu l’ampleur des déséquilibres externes.

NOTES

  1. L’augmentation de 21% des revenus du tourisme durant les sept premiers mois de l’année contribue aussi à cette performance.
  2. Et ce dès le mois d’avril, voir à ce propos les minutes de la BCT du 21 avril 2011.

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