par Gabriel François, conseiller économique de La Française AM
Certaines dégradations de notes souveraines comme celles des Etats-Unis et, plus récemment, de pays européens dont la France ont fait naître un vif débat sur le rôle des agences de notation. Or, avouons-le, les arguments échangés de part et d’autre ne contribuent guère à clarifier la question.
Un débat peu convaincant
Parmi les critiques les plus fréquentes à l’endroit des agences nous trouvons leur caractère privé jugé peu compatible avec les conséquences considérables d’une notation de dette souveraine sur la sphère publique. Il s’agit d’un état de fait que l’on peut regretter mais auquel les seuls remèdes possibles consisteraient à réfuter les arguments d’une notation contestée ou encore à favoriser la multiplication des agences pour faire cesser l’oligopole actuel.
Il est courant aussi de mettre en cause le caractère auto-réalisateur des notations. Mais celui-ci ne se produit que parce que l’analyse de l’agence a convaincu les investisseurs et de plus on retrouve ici, la loi constante des marchés qui veut que toute idée ou toute opération, tend naturellement à décaler les cours dans son sens. Notons aussi le reproche fait aux notations de ne pas être exemptes d’erreurs graves comme celle qui a entrainé à l’égard des « subprimes » une indulgence coupable aux conséquences dramatiques. La sanction normale serait une perte de confiance envers la notation : c’est donc aux investisseurs et non à la loi de juger si après des erreurs une agence garde sa crédibilité.
A l’inverse, la défense des agences s’est souvent appuyée sur des remarques peu probantes. Par exemple ce que l’on pourrait appeler « le coup du thermomètre ». Toute critique sur la validité d’un indicateur quel qu’il soit provoque immédiatement le reproche de vouloir « casser le thermomètre » ce qui évidemment ne prouve en rien la validité de l’instrument. De même on ne saurait être tout à fait satisfait par l’excuse souvent avancée après une erreur de notation, selon laquelle l’agence se contente de faire un constat du présent et non une prévision de l’avenir. Il n’en est rien, puisque toute appréciation d’un risque de défaut qu’il s’agisse d’une société, ou d’un Etat ne peut de toute évidence, concerner que l’avenir.
Au total, le débat récent sur les agences de notation, pour brûlant qu’il ait été, semble peu éclairant. La raison en est sans doute qu’il n’a pas été placé sur le bon terrain.
Que signifie la notation ?
En fait, le vrai reproche que l’on devrait, nous semble-t-il, adresser aux agences de notation est d’entretenir la confusion sur la signification véritable de la notation d’une dette souveraine. Dans ce cas la note peut en effet répondre à l’une ou l’autre des deux questions suivantes :
- Quel est le tableau de la situation économique et financière du pays ?
- Quel est le risque de défaut sur la dette souveraine de ce pays ?
Il est évident que ces deux questions, certes étroitement liées, n’en sont pas moins tout à fait distinctes. L’exercice de notation répond en général assez bien au besoin de « check up » de la santé économique d’un pays, même si d’ailleurs elle fait là souvent double emploi avec les travaux de l’O.C.D.E. En revanche la question du risque de défaut de paiement ne peut être résolue par la seule utilisation d’un simple bulletin de santé si complet soit-il. D’autres aspects complémentaires sont à considérer.
D’abord, en quelle monnaie la dette qui a été notée est-elle libellée ? Si c’est en devises étrangères, un bulletin de santé satisfaisant est de toute évidence nécessaire car, les ressources en devises étant limitées, l’équilibre des mouvements de capitaux est indispensable. Il en va autrement si la dette est libellée en monnaie nationale car alors un autre point devient essentiel : la nature des rapports de l’Etat avec sa banque centrale.
Celle-ci manifeste-t-elle, de jure ou de facto, une tendance à l’indépendance voire à l’opposition par rapport au pouvoir politique ou au contraire se considère-t-elle comme un des rouages essentiels de l’Etat ? Ce dernier cas est de très loin le plus fréquent car, dans les faits il est très difficile d’imaginer une banque centrale assister impavide à la faillite de son souverain, tout en s’obstinant à refuser d’intervenir comme prêteur en dernier ressort dans sa propre monnaie. Dans cette hypothèse l’action réelle ou virtuelle de la banque centrale suffit à éloigner toute possibilité de défaut quel que soit l’état de santé décrit par le « check up ». Ceci explique qu’actuellement le risque de non-remboursement de la dette souveraine soit considéré comme nul pour les pays dont la banque centrale se comporte (en droit ou en fait) comme un des piliers de l’Etat, et cela même si la situation économique et financière laisse franchement à désirer comme pour la Grande-Bretagne.
Mais ceci explique aussi que les pays de la zone euro ne puissent bénéficier de cette protection et ne doivent qu’à la qualité de leurs fondamentaux de pouvoir éloigner le risque de défaut dans leur propre monnaie : ils dépendent en effet d’une banque centrale commune sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir.
A la lumière de ces remarques, il est possible de porter un jugement plus précis sur certaines notations qui ont récemment défrayé la chronique.
Considérons d’abord la dégradation de la dette américaine au cours de l’été. C’est exactement l’exemple d’une appréciation tout à fait justifiée si l’on veut estimer la qualité des équilibres fondamentaux de l’économie américaine. En revanche, si l’on se limite à la probabilité de remboursement en dollars courants d’un titre émis par le gouvernement américain, la dégradation ne se justifie en rien et on peut même dire qu’elle est un défi au bon sens. Nul ne peut imaginer la Fed refusant de garantir une dette du gouvernement des Etats-Unis.
Le cas des pays de la zone euro demande une analyse plus subtile du fait de l’absence de liens solides entre chaque Etat et la BCE. En théorie un défaut n’est donc pas impossible et il faut examiner si le jeu des forces politiques rend plus ou moins plausible le fait que la BCE puisse rester à l’écart en cas de crise gravissime. Dans le cas de la France, par exemple, il est clair que dans une telle circonstance l’action conjointe de l’Allemagne et de la France entrainerait à coup sûr une intervention de la BCE. Ici encore le panorama économique proposé par l’agence parait juste. Mais l’appliquer directement au risque de défaut sans prendre en compte la réalité des données politiques serait une erreur de la notation.
En définitive, ce qu’on peut reprocher aux agences c’est d’entretenir sciemment une ambiguïté sur le sens véritable de leur notation ce qui les amène à suggérer certaines conclusions sans les expliciter vraiment. On ne dit pas franchement que le risque de défaut des Etats-Unis n’est plus égal à zéro – ce qui choquerait par sa totale invraisemblance – mais on laisse planer le doute sur le fait que l’analyse fournie permette de répondre à la question, ce qui est absolument faux.
La confusion regrettable qui persiste en face d’une notation pourrait être évitée si l’on renonçait à une notation unique qui perd en clarté ce qu’elle gagne en simplicité. Une batterie de notations appliquées à différents usages serait sans doute moins percutante mais nettement plus pertinente.