par Edgardo Torija-Zane, économiste chez Natixis
L’Inde est frappée par la crise économique mondiale et les sorties de capitaux. A l’approche des élections parlementaires générales d’avril 2009, le pays fait face à de nombreux défis qui menacent la croissance.
L'Inde est durement frappée par la crise mondiale. Après cinq ans consécutifs d’une croissance vigoureuse de l’ordre de 8-9%, un rythme d’expansion sans précédent dans l’histoire récente du pays, l’Inde connaît un ralentissement marqué. La croissance, qui avait dépassé les 9% au cours l'année 2006-2007 atteignant 10% au quatrième trimestre de l’année 2006/07 (janvier-mars 2007), est retombée à 7,6 % au premier semestre de l’année 2008-2009(1) et devrait continuer de décélérer.
Au ralentissement progressif associé au moindre dynamisme de la demande interne -les ménages étant affectés par la hausse de l’inflation depuis fin 2007 (en particulier celle des aliments et du carburant)-, s’ajoutent les effets de la crise mondiale fin 2008. Les exportations reculent depuis octobre 2008 sur fond de contraction du commerce mondial. Mais plus encore que le ralentissement dans les marchés développés, ce sont les sorties nettes de capitaux, qui expliquent l’ampleur du choc actuel. En effet, l’économie indienne reste relativement fermée (les exportations représentent 22% du PIB), l’intégration de ce pays au monde étant davantage financière que commerciale.
La crise mondiale s’est transmise à l’économie indienne surtout par le retrait des placements en bourse des investisseurs institutionnels internationaux eux-mêmes en difficulté financière –ce qui a contribué à la chute de la bourse de Bombay -, par le rationnement des lignes de crédit commercial et des prêts interbancaires externes et par le ralentissement des IDE. Le retrait des capitaux étrangers est intervenu dans une économie dépendante du financement externe (le pays enregistre un déficit courant depuis 2005) et déjà en mal de liquidités, les taux d'intérêt étant très élevés fin 2008 afin de combattre l'inflation. Il s’en est suivi une perte des réserves de change de l’ordre de 56 milliards de dollars depuis août 2008 à la Banque centrale, une moindre croissance des liquidités et un net ralentissement du crédit domestique.
Les indicateurs de conjoncture suggèrent que la croissance ralentira fortement durant le second semestre de l’année fiscale. La production industrielle a connu en octobre 2008 son premier repli en 15 ans (-0,4% en GA), une progression positive en novembre (+1,7%) et un nouveau recul en décembre (-2%). Par ailleurs, la consommation de biens durables est très affectée : les ventes de voitures sont en chute de 34,4 % au troisième trimestre. Le secteur immobilier et la construction (qui représente 7% du PIB) sont fragilisés par le ralentissement du crédit. Les prix de l’immobilier ont déjà chuté dans certaines villes de 30%. D’après les prévisions de la banque centrale, la croissance indienne devrait enregistrer un taux de 7% pour l’année fiscale s’achevant fin mars, soit le chiffre le plus bas depuis six ans. Si ces prévisions sont justes, la croissance sera proche de 6% au deuxième semestre de l’année (contre 7,8% au premier semestre).
Assouplissement rapide de la politique monétaire et appui au système financier
Face aux difficultés croissantes qu’affronte le système financier qui reflètent depuis septembre 2008 les tensions sur les taux d’intérêt interbancaires, la Banque Centrale (Reserve Bank of India, RBI) a diminué le taux des opérations de refinancement (de 9% à 5% après 4 baisses consécutives depuis octobre). La RBI a également réduit le taux de réserves obligatoires pour les banques le ramenant de 9% à 5% depuis octobre. Enfin, avec l’objectif de pallier aux difficultés d’accès au financement externe de court terme, la RBI a mis à disposition des banques publiques et privées ayant des opérations à l’étranger des lignes de swaps en devises jusqu’à 2010.
Aux efforts de la RBI, s’ajoute l’appui au système financier des politiques publiques. Dans le cadre du plan de soutien à l’économie, les autorités indiennes ont annoncé un programme de recapitalisation des banques publiques à hauteur de 200 milliards de Roupies (4,1 milliards de dollars) et un fonds dédié, qui pourrait être doté de quelque 250 milliards de Roupies (5,2 milliards de dollars) pour soutenir les établissements financiers non bancaires. Cette phase d’assouplissement monétaire et d’assistance au système financier va de pair avec une baisse marquée de l’inflation fin 2008 qui s’explique majoritairement par la diminution des prix des matières premières sur les marchés internationaux (notamment du pétrole, importé par l’Inde). Alors que la RBI signale qu’une période d’ajustements est inévitable, le processus de baisse de taux pourrait se poursuivre dans les mois qui viennent.
Après une phase de forte appréciation ininterrompue depuis la mi-2006, la Roupie s’est dépréciée de 23% contre dollar durant l’année 2008. Les pressions baissières s’expliquent par le retournement des flux de capitaux et par le creusement du déficit de la balance des paiements courants, qui est passé de 16 milliards de dollars en 2007/08 à 23 milliards de dollars uniquement dans le premier semestre de l’année 2008/09. Ce mouvement est en bonne partie expliqué par la hausse du prix des importations (en particulier du pétrole).
La RBI a orienté ses interventions de change avec l’objectif de limiter la dépréciation de la Roupie et de diminuer la volatilité de sa côte en la stabilisant autour de 48-50 depuis décembre. Ces interventions expliquent la perte significative de réserves de change, qui sont passées de 316 milliards de dollars en mai 2008 à 250 milliards de dollars en janvier 2009. Malgré le niveau toujours confortable des avoirs extérieurs (qui font de la RBI la cinquième détentrice mondiale de réserves), la Roupie pourrait continuer de se déprécier, notamment si les tensions dérivées de la crise mondiale se prolongent en 2009. Les risques viennent surtout de la volatilité des flux de capitaux étrangers, de la chute des exportations de biens et services – en particulier du tourisme étranger(2) et des exportations de softwares – et de la diminution attendue des transferts de travailleurs expatriés. Se pose également la question de la poursuite des interventions de la RBI sur le marché de changes. Dans un contexte d’affaiblissement de la demande domestique, la RBI pourrait en effet limiter ses ventes de devises pour éviter que celles-ci constituent un obstacle à la création monétaire nécessaire à la croissance économique.
Pour faire face à la crise, le gouvernement indien a annoncé la mise en œuvre d’un plan de relance économique. Les mesures divulguées visent notamment les infrastructures de transport et de dépenses supplémentaires dans les zones rurales. Ainsi, le gouvernement va débloquer 200 milliards de Roupies (environ 4 milliards de dollars ou 0,4% du PIB) pour augmenter ses dépenses durant l’année fiscale qui finit le 31 mars 2009. Les autorités ont également autorisé l’émission obligataire de 2 milliards de dollars de la part de l’India Infrastructure Finance Company (100 % de capitaux publics) pour financer des investissements en infrastructure.
Dans le domaine fiscal, le gouvernement a procédé à une baisse de la TVA de 8% à 4%. Il propose par ailleurs des crédits à taux faibles pour les PME. Le plan de relance inclut aussi un programme de recapitalisation des banques publiques et des établissements financiers non bancaires. Enfin, les autorités ont annoncé la modification du plafond des investissements étrangers dans les obligations d'entreprises qui sera également porté de 6 à 15 milliards de dollars, pour attirer des capitaux étrangers.
Alors que le déficit budgétaire en 2008/09 se creusait déjà avant l’annonce du plan en raison de la hausse des subventions aux secteurs énergétique et alimentaire, de la mise en place des programmes sociaux et de la hausse des salaires des fonctionnaires (+21% en août 2008), le plan de relance devrait dégrader davantage les finances publiques.
Le déficit budgétaire du gouvernement central devrait ainsi passer de 3,4% du PIB en 2007/08 à 7,5% du PIB en 2008/09, très loin de l’objectif initial inscrit dans le budget de le ramener à 2,5%(3). Les contraintes financières du gouvernement (déficit considérable, dette publique élevée de l’ordre de 74% du PIB en 2008/09) limitent la portée du soutien que les autorités pourront offrir à l’économie réelle en cas de dégradation additionnelle de la conjoncture.
Perspectives et risques
Alors que l’économie est érodée par des chocs financier et commercial, la croissance devrait poursuivre sa phase descendante au cours du reste de l’année 2008/09 et en 2009/10. Elle devrait se maintenir à des niveaux raisonnablement élevés, entre 6 et 7% en 2008/09 et proche de 5% en 2009/10, en raison du degré relativement faible d’ouverture de l'économie sur le commerce extérieur et de la réactivité des politiques publiques.
Alors que l’Inde offre encore de bonnes perspectives à moyen terme pour les investissements externes (émergence d’une classe moyenne, disponibilité de main d’œuvre qualifiée, salaires comparativement faibles), le maintien d’entrées de capitaux significatives, nécessaires pour financer la croissance au rythme élevé des dernières années, se heurte à des difficultés. Outre les volte-face des investisseurs étrangers dues à la crise financière globale, l’Inde a connu récemment des épisodes d’une gravité considérable qui pourraient avoir un impact négatif sur la perception du risque du pays. D’une part, l’économie fait face à un vaste scandale financier lié à la falsification des résultats de Satyam (gonflement de bénéfices sur plusieurs exercices pour un montant supérieur à un milliard de dollars), le quatrième groupe informatique local. Malgré la réaction rapide des autorités de tutelle des marchés boursiers, qui se sont mobilisées rapidement en imposant un double audit aux entreprises figurant dans les deux principaux indices boursiers (Sensex, Nifty), l’affaire menace de décrédibiliser le secteur des nouvelles technologies, acteur principal de la phase de croissance rapide des dernières années. D’autre part, les tensions diplomatiques dans la région se sont exacerbées suite aux attentats terroristes menées dans des hôtels et à la gare à Bombay qui ont fait 172 morts, l’Inde accusant le Pakistan d’être impliqué.
Enfin, sur le plan politique, l’Inde est à l’approche d’élections parlementaires générales en avril 2009. Il semble peu probable qu’un des deux grands partis (le Parti du Congrès, à la tête de la coalition de centre-gauche au pouvoir et le Bharatiya Jananata Party, opposition) obtienne une majorité aux prochaines élections législatives. Le candidat « naturel » au poste de Premier Ministre (PM) pour le favori de l’élection, le Parti du Congrès, est Manmohan Singh, PM depuis 2004. Le dirigeant, un des architectes des réformes d’ouverture aux années 1990, a subi un pontage coronarien en janvier 2009 et a suggéré la possibilité son éloignement des activités officielles. Or, son parti -présidé par Sonia Gandhi, ne semble pas avoir un candidat de son poids pour l’élection. Aucun des deux grands partis ne remet en cause la nécessité des réformes structurelles, en particulier en ce qui concerne la gestion du budget.
Cependant, la mise en place d’un gouvernement de coalition pourrait rendre plus difficile l’établissement d’accords en vue d’appliquer des politiques budgétaires anticrise.
NOTES
- L’année fiscale, qui sert de référence pour les principaux indicateurs économiques du pays, commence le 1 avril et finit le 31 mars.
- Le ralentissement mondial et les récentes attaques terroristes de Bombay ont porté un coup sévère à l’industrie touristique indienne. D’après la Chambre de Commerce, le nombre de touristes étrangers devrait chuter de 25% à 30% en T4 2008/09.
- Le déficit du secteur public (gouvernement central et Etats) devrait s’établir à 10% du PIB.