par Mickael Benhaim, Directeur adjoint de la gestion de taux de Pictet Asset Management
De nombreux pays émergents sont aujourd’hui devenus soucieux de réformes, bénéficient de taux de croissance élevés, affichent des politiques crédibles et des finances publiques saines, leur poids au sein de l'économie mondiale étant appelé à se renforcer. Cette évolution s’est également traduite par une amélioration marquée du profil risque-rendement de la dette émergente en monnaies locales, une tendance qui devrait perdurer dans les prochaines années.
Mais malgré ce contexte favorable, cette classe d'actifs doit encore conquérir le statut de produit classique qu'elle mérite. Car les investisseurs n’ont pas encore pris la pleine mesure de ce que recouvre la dette émergente en monnaies locales et continuent de la considérer comme une prise de position davantage tactique que stratégique, même si le fait de revoir cette opinion est évoqué depuis bien longtemps.
A l’inverse, après la vague de dégradations des notes de crédit, les seules économies du G-10 à avoir conservé leur triple A sont le Canada, l'Allemagne, la Suisse et la Suède. Ces baisses de notation, qui toucheront très certainement d'autres pays industrialisés cette année, venant renforcer l'idée, déjà largement répandue, que la crise de la dette a rendu les obligations des pays développés plus risquées.
Ce phénomène fait dès lors apparaître la solvabilité des marchés émergents sous un jour d’autant plus favorable qu’ils ne sont plus le tendon d’Achille de l’économie mondiale, car ils affichent aujourd’hui un potentiel de croissance, des finances publiques et un historique de crédit que peut leur envier le monde développé. Comme en témoigne d’ailleurs l’amélioration du profil de crédit de la dette émergente depuis les années 80 et 90, sur fond de défauts, de crises monétaires et d’effondrements bancaires.
Le profil risque/rendement favorable de la dette émergente est en effet lié à des tendances séculaires et conjoncturelles fortes et ces évolutions seront probablement plus marquées lorsque l'économie mondiale sortira de la crise du crédit.
En mettant en œuvre des réformes qui ont renforcé leur potentiel de croissance, diminué les sources d'inflation et réduit les déséquilibres courants, les marchés émergents ont en effet réussi à stabiliser leur assise financière et disposent ainsi de la puissance de feu monétaire et fiscale nécessaire pour contrer tout ralentissement de la demande dans le monde développé. Les études du FMI démontrent d’ailleurs que l’impact d’un ralentissement qui se prolongerait jusqu’en 2016 serait bien plus important sur l’endettement des pays développés que sur celui des marchés émergents.
Autre élément, les notes de crédit se considérablement améliorées, et plus de 75% des obligations souveraines émergentes en monnaies locales appartiennent désormais à la catégorie «investment grade», ce qui offre un contraste saisissant avec la dégradation du profil de crédit des gouvernements dans le monde développé.
A près de 7%, les rendements de la dette en monnaies locales sont donc élevés par rapport à ceux de la dette avec une note similaire dans les économies avancées. Les rendements obligataires réels et nominaux offrent dès lors une grande marge de baisse à long terme et, par conséquent, constituent une source de rendement potentielle tout aussi importante. De nombreuses devises sont par ailleurs descendues à des niveaux bas par rapport aux perspectives économiques à long terme et au rôle que ces pays sont appelés à jouer dans le commerce international. Très sensibles aux politiques fiscales, monétaires et macroéconomiques nationales, les obligations en monnaies locales peuvent donc également constituer une option risque-rendement attrayante pour les investisseurs à la recherche d'une diversification des devises, d’autant que la corrélation des obligations émergentes à celles d’autres classes d’actifs traditionnelles demeure modérée.
Sans oublier le fait que les marchés de la dette émergente deviennent de plus en plus accessibles et liquides, dans la mesure où les gouvernements concernés remplacent régulièrement leur dette extérieure par du financement en monnaies locales dès qu’ils le peuvent, afin de réduire le risque de change, alors que dans le même temps, l’institutionnalisation des caisses de pension dans différents pays d’Amérique latine (dont le Mexique, le Chili et la Colombie) crée une base d’acheteurs stable pour la dette intérieure. Alors que les emprunteurs souverains continuent à consolider leurs courbes de rendement et que les marchés de la dette s'ouvrent aux emprunteurs privés, les sources de rendement des investissements se sont multipliées.
Les perspectives de la dette émergente sont certes favorables sur le long terme, mais les investisseurs seront quand même être inévitablement exposés à une certaine volatilité dans les années à venir. Prenons l’exemple des perspectives à court terme actuelles, qui ne brillent pas par leur clarté. Dans ces circonstances, les marchés émergents n'échapperont pas aux effets de la crise de la dette dans le monde industrialisé. Et une grave récession dans la zone euro – sans doute le plus grand risque connu à l'horizon – pourrait se révéler déstabilisante dans la mesure où elle ralentirait sans doute les échanges internationaux et provoquerait une chute des flux d’investissements et de portefeuilles vers les économies en développement. Dans un tel scénario, les grands perdants seraient vraisemblablement les exportateurs de matières premières, ainsi que les pays d’Europe centrale et d’Europe de l'Est. L'évolution de la Chine devra aussi être étroitement observée car ses dirigeants tentent de piloter une transition vers une croissance plus durable tout en évitant un atterrissage brutal de l’économie.
Mais au final, nous sommes convaincus qu'à long terme, les investisseurs recueilleront les fruits d'une exposition stratégique à la dette émergente en monnaies fortes et locales car à bien des égards, elle constitue une classe d'actifs adaptée à une économie mondiale en sortie de crise.