par Marie-Pierre Peillon, Directrice de l'Analyse Financière et Extra-Financière, et Aurélie de Barochez, Analyste chez Groupama AM
L’économie mondiale d’après crise doit gérer une triple transition : démographique, digitale et énergétique. Les enjeux climatiques et environnementaux sont désormais placés au centre des débats et considérés à la fois comme des enjeux géopolitiques pouvant menacer la stabilité mondiale, et des enjeux économiques pouvant menacer la stabilité financière. Si depuis plus de vingt ans se tiennent les réunions annuelles sur le climat sous l’égide de l’ONU, celle de Paris revêt une importance toute particulière d’une part dans l’évolution des relations Nord- Sud, et d’autre part dans la prise de conscience des décideurs économiques et investisseurs de leur rôle dans le financement d’une économie bas- carbone.
Outre les risques que le changement climatique représente, celui- ci peut être aussi appréhendé comme une opportunité permettant de relancer les investissements et sortir d’un scénario de faible croissance.
Les grandes dates de la COP
La COP, organe réunissant l’ensemble des signataires de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CNUCC), se réunit pour la 21ème fois à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. Le principal objectif de cette convention est de stabiliser puis de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, afin de limiter la hausse des températures à 2° d’ici à 2100 par rapport à l’ère pré- industrielle (vers 1850).
- 1992 : Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. Les pays membres de l’ONU adoptent la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
- 1995 – COP1 : 1e Conférence des parties organisée à Berlin
- 1997 – COP3 : Adoption du Protocole de Kyoto. Ce protocole contenait les engagements de 37 États industrialisés à réduire leurs émissions de 5% sur une période 2008-2012 par rapport à 1990.
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2009 – COP15 : A Copenhague, ces États n’ont pu se mettre d’accord sur un prolongement de
leurs engagements contenus dans le Protocole de Kyoto au- delà de 2012. Malgré cet échec des négociations climatiques, deux objectifs ont néanmoins été arrêtés :
- Limiter la hausse des températures à 2° Ce choix s’appuie sur les études du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) montrant que, au-delà de cette limite, le réchauffement climatique aura des conséquences trop importantes pour une adaptation de l’espèce humaine : un réchauffement de 4° pourrait impliquer une hausse du niveau de la mer de 7 mètres.
- Engagements des pays développés de constituer un fonds de 100 milliards de dollars par an aux pays du Sud pour les aider à se développer sans énergies fossiles et à s’adapter aux conséquences du réchauffement.
- 2011 – COP17 : A Durban, les principes d’un nouvel accord ont été adoptés. Cet accord doit être signé au plus tard en 2015 pour une entrée en vigueur en 2020 et doit inclure l’ensemble de la communauté internationale.
- 2015 – COP21 : Date limite fixée pour s’entendre sur un nouvel accord sur le climat.
La COP21, avant tout une négociation entre Etats
C’est à Copenhague que ce sont dessinés les contours de l’accord qui doit être adopté à Paris cette année. Deux approches étaient possibles : – L’approche top down, retenu pour le Protocole de Kyoto, consiste à estimer le montant d’émissions de GES qu’il est possible d’émettre et d’allouer ensuite des quotas à chaque État. – Suite à l’échec de ce protocole, inefficace puisque les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté après son entrée en vigueur, il a été décidé de privilégier une approche bottom up. Selon cette approche, chaque État détermine le niveau de réduction de ses émissions et les rend public à travers les INDC (Intended Nationally Determined Contributions). Les différentes contributions étatiques ont été dévoilées dans les semaines précédant la COP21 et vont constituer le socle de l’accord négocié à Paris.
Face à la difficulté de négocier à 196 participants (195 États et l’Union Européenne), plusieurs groupes d’États ayant des intérêts proches se sont constitués :
– L’Union Européenne : a rendu une INDC ambitieuse qui prévoit une réduction de 40% de ses émissions d’ici 2030 par rapport à ses niveaux de 1990. Elle soutient la conclusion d’un accord contraignant, reconnait l’importance du fonds vert pour le climat, mais elle n’a pas encore fait d’annonce sur ce sujet. Dans les négociations climatiques, l’Union européenne joue souvent le rôle de faiseur de compromis.
– La Chine et les États-Unis : ces deux pays sont responsables de plus de 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Traditionnellement considérés comme les leaders de camps opposés dans les négociations climatiques, ils ont conclu en novembre 2014 un accord sur leurs objectifs respectifs de réductions d’émission. Cet accord a eu un impact positif sur les autres États qui ont été incité à publier leurs INDC. En revanche, ils représentent les pays ne souhaitant pas que les engagements pris au titre des INDC deviennent contraignants.
– Le G77 : groupe de négociations des pays en voie de développement composé notamment de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Il est composé aujourd’hui de 133 membres. C’est un des groupes les plus influents dans ces négociations et il a mis au cœur des débats la question du financement de la transition vers une économie bas carbone des pays en voie de développement par les pays développés.
– D’autres groupes tels que celui des petits États insulaires existent aussi mais sont moins influents. Ces derniers, composés de 39 pays du Pacifique, militent par exemple pour une limitation de la température à 1,5° car au-delà leurs territoires pourraient disparaître du fait de la montée des eaux.
Si les États ont rendu leurs engagements de réduction des émissions avant l’ouverture de la COP21, trois points restent à négocier qui sont nécessaires pour faire de cet accord un succès :
1. Les mécanismes de transparence et de révision à la hausse de l’engagement des INDC
Le cœur de l’accord négocié à Paris sera composé des différentes contributions étatiques. Afin de garantir leur respect, il est proposé d’inclure un mécanisme de transparence par lequel les Etats s’engageraient à reporter régulièrement sur les progrès accomplis et de mettre en place un comité de suivi des engagements. Par ailleurs, un mécanisme de révision des engagements est envisagé. En effet, si les contributions étatiques permettront un ralentissement significatif de la croissance des émissions de CO2, elles aboutiront tout de même à une hausse des températures estimée à 3° à horizon 2100, loin de la limite des 2°. Pour pallier cette faiblesse, l’inclusion d’un mécanisme de révision à la hausse des engagements tous les 5 ans est nécessaire. Ce mécanisme permettra aux États de revoir régulièrement leurs engagements en fonction du développement de technologies qui n’existent pas ou qui sont au stade de projet aujourd’hui. Proposé par l’Union européenne, la Chine a annoncé qu’elle soutiendrait un tel mécanisme. En revanche un pays comme l’Inde, influent au sein du G77, y est opposé.
2. L’alimentation du fonds vert pour le climat
Les INDC ne sont pas les seuls éléments de l’accord. Un point très important est celui de l’équité entre les pays du nord et les pays du sud. Depuis Copenhague, les pays en voie de développement ont fait des questions du financement un des points clés de la signature d’un accord. Un Fonds vert pour le climat, dont le but est de financer des projets d’adaptation et d’atténuation dans les pays en développement tout en étant alimenté par les pays développés, est aujourd’hui opérationnel et pourra financer des projets à partir de 2016. Il n’est composé pour l’instant que 10,2 milliards de dollars alors que la promesse faite à Copenhague faisait référence à un fonds de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Cette question est une des revendications principale du G77 et il sera particulièrement attentif à l’instauration de mécanismes garantissant le versement des contributions promises.
3. Les dispositions contraignantes de l’accord
Seule l’adoption d’un accord juridiquement contraignant permettra de s’assurer que les États respecteront bien les engagements pris lors des négociations. Or, les États-Unis et la Chine ont déjà annoncé qu’ils ne souhaitaient pas que les INDC ou les engagements liés à la participation au Fonds vert pour le climat soient juridiquement contraignantes. L’accord adopté pourrait ainsi avoir une forme hybride, prévoyant des procédures contraignantes pour s’assurer du respect de certaines dispositions, tout en laissant hors du champ des dispositions obligatoires les objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre contenus dans les INDC.
– Le prix du carbone
Donner un prix au carbone permet d’internaliser dans les prix de marché les externalités causées par les émissions de gaz à effet de serre et d’orienter des décisions économiques vers des solutions bas- carbone. Il existe deux manières de mettre en place un prix du carbone : les taxes carbones er les systèmes d’échanges de quotas d’émission au sein d’un marché carbone. Si le prix du carbone ne fait pas partie du mandat des négociateurs de la COP21, il s’est glissé dans le débat dès l’ouverture. Il est possible que l’accord final fasse mention de l’importance de l’adoption d’un prix carbone afin de faciliter la transition vers une économie bas carbone. En revanche, il est peu probable qu’un accord soit trouvé sur le mécanisme à utiliser : taxe ou marché, ou sur le niveau de prix à adopter.
Plusieurs prix du carbone existent aujourd’hui, à travers le prix des différents marchés carbone mis en place dans le monde, comme celui en vigueur au sein de l’Union Européenne (EU ETS) ou par l’instauration de taxes carbone comme au Portugal ou au Mexique. Certaines entreprises utilisent également un prix du carbone, Shell l’a par exemple fixé à 40$ par tonne, bien au-dessus du prix carbone européen qui est aujourd’hui à 8€ la tonne de CO2. Si ces différents mécanismes et initiatives contribuent à rendre l’idée d’un prix carbone incontournable dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Une nouveauté de la COP21, une mobilisation des acteurs du monde économique
La COP21 a pour particularité d’inclure la société civile au plus près des négociations. Pour la première fois, les entreprises, les investisseurs et les ONG ont accès au site officiel de la COP21 et participent à des évènements même si elles ne prennent pas directement part aux négociations. La contribution du secteur économique et financier à la lutte contre le changement climatique est essentielle car ce sont les entreprises qui apporteront les solutions techniques permettant de passer à une économie bas carbone, solutions qui doivent être financées par les investisseurs. Ces derniers sont intervenus dans le débat sur le changement climatique dès le milieu de l’année 2014 et ont pris différents types d’engagements et de mesures.
Le lancement du Montreal Carbon Pledge en septembre 2014 a été le point de départ de la mobilisation des investisseurs. En signant cette coalition, les investisseurs s’engagent à publier leur empreinte carbone, mesure des émissions de gaz à effet de serre qu’ils financent. Cette coalition rassemble aujourd’hui 115 investisseurs dont 15 français: Axa Group, Sycomore, Mirova, Investisseurs et Partenaires, BNPP Investment Partners, FRR, ERAFP, Ircantec, CDC, BPI France, Humanis, CNP Assurances, EdRAM, Amundi, La Banque Postale AM. Tous ces acteurs se sont engagés à publier leur empreinte carbone avant le 1er décembre 2015.
Une fois son empreinte carbone mesurée, la seconde étape est de décarbonner son portefeuille, c’est-à-dire réduire son exposition aux entreprises les plus carbo-intensives. Sur ce sujet également une coalition d’investisseur a été lancée, la Portfolio Decarbonzation Coalition. 23 investisseurs en sont signataires dont 7 français : CDC, FRR, ERAFP, Humanis, Amundi, Mirova et BNPP Investment Partners.
Afin de réduire leur exposition au risque carbone, plusieurs investisseurs ont souhaité désinvestir du secteur le plus carbo-intensif, celui du charbon. Ainsi, Axa IM et Allianz ont annoncé ne plus investir dans les entreprises appartenant à ce secteur. Pour la première, cela représente un désinvestissement de 520 millions d’euros et pour la seconde 4 milliards d’euros. Du côté des banques d’investissements, Crédit Agricole et Société Générale ne financeront plus de nouveaux projets liés à l’extraction du charbon.
Répondre aux enjeux de la transition énergétique pour un investisseur nécessite également d’orienter une partie de ses financements vers des produits verts. Des sociétés de gestion ont lancés des produits thématiques comme Mirova, BNPP IP ou Sycomore. Sycomore Eco Solutions privilégie par exemple 5 thématiques : mobilité et transport, économie circulaire, rénovation et construction, production et gestion de l'énergie et activités liées aux écosystèmes. D’autres ont lancé des fonds Green Bonds. Il y en a trois aujourd’hui en France : chez Mirova, Humanis GA et AXA IM.
Conclusion
Le premier succès de cette COP est d’avoir réussi à mobiliser les entreprises et les investisseurs sur le sujet du changement climatique. La signature d’un accord en serait le second. Les discussions en cours montrent clairement que pour qu’il y ait accord le weekend prochain, il faudra avoir trouvé un accord sur le financement qui satisfasse les exigences du G77. L’accord de Paris reflètera surement une position de compromis, avec l’adoption de mécanismes de transparence et de révision mais peu de dispositions contraignantes pour les États parties de la CNUCC.
Néanmoins un point mérite d’être relevé: l’évolution des mentalités et le changement des comportements sont en cours. Les multiples prises de position de personnalités influentes du monde économique depuis plus d’un an en témoignent (Michael Bloomberg, Mark Carney). Enfin le Conseil de Stabilité Financière, à la demande des ministres des Finances du G20, se penche désormais sur l’analyse des risques du changement climatique sur la stabilité financière. Un sujet qui désormais prend une dimension globale.