par David Zahn, Responsable Taux Europe, Vice-président senior et gérant de portefeuille chez Franklin Templeton Fixed Income Group
Pour l’Europe, la victoire de Donald Trump aux présidentielles américaines a des allures d’avertissement : le populisme peut se manifester à grande échelle. Globalement, cette tendance se confine encore à des pays de petite taille sur le Vieux Continent, mais on la voit gagner du terrain, et les responsables politiques européens vont devoir s’y confronter sans plus attendre. Nous ne pensons pas que ces mouvements prendront tout de suite le pouvoir ; toutefois, les sondages témoignent d’un malaise parmi de nombreux citoyens, ce qui signifie que ce qu’on appelle « l’élite politique européenne » va devoir tendre l’oreille aux électeurs.
Si les responsables ne réagissent pas en mettant en place des changements, alors on peut s’attendre à l’élection de gouvernements populistes dans un avenir proche. Cela commencera peut-être avec le référendum italien prévu le 4 décembre et qui doit statuer sur une réforme de l’équilibre des pouvoirs au sein du gouvernement. Même si son échelle peut avoir l’air un peu « petite » par rapport aux élections américaines ou au référendum britannique, ce vote risque d’accroître les incertitudes d’une Union européenne qui peine encore à digérer les conséquences de la victoire de Donald Trump.
Pour beaucoup d’Italiens, ce référendum semble être un vote-sanction à l’encontre du Premier ministre Matteo Renzi. Or celui-ci aura des conséquences importantes : Un vote « oui » devrait conforter Matteo Renzi dans son mandat et lui permettre de faire avancer ses réformes. Dans ce cas, les emprunts d’État italiens réagiront sûrement de manière favorable. Un vote « non » serait peut-être l’expression du mécontentement des électeurs vis-à-vis du gouvernement et de ses politiques, et selon nous, ses conséquences dépendront de l’ampleur de la défaite du Premier ministre italien. S’il perd de peu, nous pensons qu’il s’adaptera et essaiera de rester en poste jusqu’en 2018, mais si sa défaite est écrasante, elle signifiera qu’à travers leur votes les Italiens ont désavoué la politique de Matteo Renzi et cela conduira probablement à sa démission.
Dans ce contexte, la question est de savoir si un gouvernement technocrate pourra être mis en place et assurer la gestion du pays jusqu’en 2018. Une autre solution serait la tenue d’élections anticipées qui pourraient largement bénéficier au mouvement populiste Cinq Étoiles, le plus important groupe de l’opposition. Et il n’est pas impossible que Cinq Étoiles ait assez de soutien pour former un nouveau gouvernement. Dans ce cas, nous pensons que le marché obligataire réagira mal.
Cependant, la différence entre maintenant et la période qui a précédé le référendum britannique et le vote américain est que les prix anticipent la possibilité d’une issue négative.
Pour l’heure, le marché anticipe une courte victoire du « non », même si les indécis sont encore très nombreux. La législation italienne interdisant la publication de sondages officiels pendant les deux semaines précédant l’élection, les marchés auront peu d’indications pour se former une opinion. Nous voyons déjà les signes d’une prime de risque liée au référendum dans les prix des obligations italiennes, dont les spreads par rapport aux Bunds allemands se sont élargis de 0,7 % depuis le début de l’année ; en comparaison, ceux des obligations espagnoles n’ont presque pas évolué par rapport à la dette allemande alors que le pays est lui-aussi en proie à des incertitudes politiques.
En France, la perspective d’une vague populiste aux prochaines présidentielles a certainement plus affecté les rendements souverains que les anticipations relatives au Brexit et au vote américain. Aujourd’hui les investisseurs n’excluent plus la possibilité d’une victoire de Marine Le Pen, la candidate du Front National. La plupart des observateurs ne prévoient pas forcément la victoire de l’extrême-droite, mais au moins en reconnaissent-ils la possibilité, et c’est ce qui a pesé sur les emprunts d’État français dernièrement.
L’élection de Donald Trump a galvanisé Marine Le Pen, dont une des propositions est la tenue d’un référendum sur une sortie française de l’Union européenne. Cela serait bien évidemment problématique, car un départ de la France poserait de nombreuses questions quant à la viabilité-même du bloc euro. Que Marine Le Pen soit victorieuse ou non, il faut s’attendre à ce que ses propos influent sur les marchés pendant plus longtemps que beaucoup ne le pensent.
Le rôle de la Banque centrale européenne (BCE)
Cela étant, et malgré le repli des obligations françaises et italiennes, n’oublions pas que le marché européen bénéficie d’un soutien de poids avec les achats massifs de la BCE. Compte tenu du recul des obligations européennes et de la faiblesse de la croissance économique à travers le bloc, la Banque va probablement maintenir pendant quelque temps sa politique expansionniste.
La prochaine réunion du comité de politique monétaire est prévue juste après le référendum italien en décembre. À cette occasion, Mario Draghi devrait annoncer un prolongement du plan d’assouplissement quantitatif dont les achats d’obligations vont permettre d’ancrer le marché européen.
Une vague de populisme entraînerait certainement des accès de volatilité sur les marchés, mais certains diront que celle-ci peut avoir des côtés positifs, car elle permet aux investisseurs de distinguer les actifs et de prendre de nouvelles décisions. La conséquence probable sera l’apparition de risques davantage propres aux différents pays. À cet égard, et dans le contexte d’une possible hausse des taux d’intérêt de la zone euro, nous pensons que le marché obligataire européen peut redevenir intéressant, en particulier dans la périphérie.
L’Europe face à la victoire de Donald Trump
À notre avis, il faudra du temps aux politiques européens pour composer avec les implications de l’élection américaine.
Donald Trump est une inconnue dans l’équation, et jamais l’Europe n’a eu à traiter avec un Président tel que lui outre-Atlantique : les responsables européens sont habitués à dialoguer avec des personnes plus proches de leur mode de pensée. Nous serons attentifs en particulier aux domaines du commerce et de la défense.
Sur le plan commercial, Donald Trump devrait commencer par des politiques intérieures, mais il finira probablement par s’occuper aussi des échanges avec l’étranger, ce qui peut avoir un impact sur les grands pays exportateurs (comme l’Allemagne).
En ce qui concerne la défense, l’incertitude plane concernant l’avenir de l’OTAN ; pendant sa campagne, le Président américain s’est montré intransigeant sur le fait que les partenaires des États-Unis devaient mettre davantage la main à la poche, ce qui devrait en théorie entraîner une hausse des dépenses militaires en Europe. Mais avec les restrictions budgétaires, on peut se demander d’où viendront les financements.
Conséquences de la victoire de Trump sur le Brexit
Pendant sa campagne, Donald Trump s’est lui-même attribué le surnom de « Monsieur Brexit », et de fait, sa victoire peut donner un léger élan aux négociations entre le Royaume-Uni et l’Europe.
Pour l’heure, le Brexit n’a probablement pas encore autant d’impact que l’élection de Trump sur les économies européennes. Depuis l’élection, la Chancelière allemande Angela Merkel aurait laissé entendre qu’elle pourrait assouplir sa position sur la libre-circulation des travailleurs dans le cadre des négociations, ce qui était encore inimaginable il y a à peine un mois.
De plus, le Royaume-Uni possède l’une des forces armées les plus vastes de toute l’Europe : si les responsables de l’UE s’attendent à ce que les États-Unis réduisent leur contribution à l’OTAN, ils prendront sûrement garde à ne pas distendre les liens avec un autre grand allié militaire. Cela pourrait donc être en quelque sorte une monnaie d’échange. Nous ne savons pas si cela fera une grande différence, mais le Royaume-Uni est probablement dans une position de négociation un peu plus forte depuis l’élection de Donald Trump.