par Sebastian Paris-Horvitz, directeur de la stratégie d’investissement d’Axa IM
Dans la littérature économique, le type de crise que nous venons de traverser est désigné par le concept d’« arrêt brutal » (« sudden stop »).
C'est-à-dire que, contrairement aux fluctuations cycliques usuelles (périodes de croissance suivies de récessions, en général de courte durée), nous assistons à une paralysie du système économique pouvant aboutir à une perte brutale de richesse et enfoncer l’économie dans une phase dangereuse de sous-utilisation prolongée de ses capacités de production. Bref, nous sommes confrontés à l’éventualité, très rare, de dépression.
Ricardo Caballero, professeur d’économie du MIT, compare de manière plus imagée ce type de crises à un arrêt cardiaque. Néanmoins, alors que la procédure médicale pour tenter de faire repartir un cœur arrêté est extrêmement bien définie et rigoureuse, la procédure consistant à ressusciter un corps économique menacé d’arrêt est loin d’avoir gagné une rigueur scientifique comparable. Evidemment, il serait préférable que l’arrêt n’ait jamais eu lieu, que le malade ait vécu de façon bien plus équilibrée en évitant les excès. Mais voilà, le drame survient et il faut agir.
L’action menée jusqu’ici de façon concertée à travers le monde par les responsables de politique économique, a porté ses fruits. Il nous semble bien entendre les battements d’une économie réanimée.
Aujourd’hui, d’aucuns s’interrogent sur la dimension prise par les plans de stimulation publique et appellent déjà à la nécessité d’un resserrement car de nouveaux excès seraient en train d’apparaître et des bulles de se former. Evidemment, encore une fois, nous souhaiterions que la sortie de crise se fasse dans un équilibre raisonnable : des ajustements économiques graduels, accompagnés par une finance assagie. Il se trouve que la force et la faiblesse de notre système économique sont souvent l’absence de modération. Néanmoins, au regard des ajustements de dimension historique que nous vivons, il semble bien prématuré de parler aujourd’hui de la montée de l’exubérance.
En effet, l’activité mondiale, même si elle rebondit, reste très en dessous des niveaux d’avant-crise et, de manière plus dramatique, le chômage poursuit sa hausse inexorable, atteignant même des sommets dans certains pays. Pour ce qui est du prix des actifs financiers dits risqués, il est plutôt rassurant de les voir remonter.
Même si l’accélération de ces huit derniers mois est surprenante, c’est plutôt une bonne nouvelle et un signe réconfortant pour l’avenir dans le sens où elle redonne l’assurance de la pérennité du tissu économique.
En outre, peut-on facilement détecter des signes de valorisation excessive ?
A notre humble avis, la réponse est non. Dans un scénario de reprise, et sans demander la lune à la croissance, que ce soit les actions ou le crédit (les actifs risqués par excellence), nous ne détectons pas d’excès. Au contraire, nous pensons que les valorisations restent relativement attrayantes. Certes, dans un scénario de rechute de l’activité économique, hypothèse qui ne peut pas être exclue mais à laquelle nous donnons aujourd’hui une probabilité relativement faible, les actifs risqués iraient au devant d’une grande déconvenue…et l’économie mondiale aussi.
Au total, malgré les Cassandre, à ce stade, il nous semble justifié de faire preuve d’un optimisme raisonnable.
Nous retrouvons la croissance. Celle-ci est certes encore fragile, avec un secteur privé qui, dans beaucoup d’économies, notamment développées, reste encore affecté par l’onde de choc de la crise financière et la récession. Mais, les ajustements en cours nous paraissent prometteurs.
Ainsi, malgré la très forte hausse des marchés et la correction récente, il nous paraît encore opportun de recommander le maintien d’une surexposition aux actifs les plus risqués. En effet, dans un contexte de croissance qui repart et d’abondance de liquidité, il est judicieux de penser que les actions et le crédit devraient encore bien se comporter, même s’il serait déraisonnable d’espérer revoir le type de rally auquel nous avons assisté au cours des huit derniers mois.
La croissance gagne
Alors que le mois de septembre avait, ici et là, marqué une pause dans le redressement de l’activité dans certains pays et régions, les dernières enquêtes montrent que la dynamique de reprise est bien en place. Que ce soit sur le plan industriel ou des services, dans un très vaste nombre de pays, les indicateurs les plus fiables ont atteint des niveaux indiquant la poursuite d’une expansion robuste pour les mois à venir. Aux Etats-Unis, l’indicateur phare de l’ISM a rebondi à 55,7 en octobre, soit son niveau le plus élevé depuis novembre 2005.
En France, l’enquête PMI (55) est au plus haut depuis fin 2006. La dynamique de reprise est bien là, même si la croissance n’est pas revenue partout, comme en atteste la nouvelle contraction du PIB britannique au 3T (-0,4%(T)). En outre, malgré le rebond de l’activité plus de 11% r.a. de croissance de la production industrielle outre-Atlantique au 3T— la sous-utilisation des capacités disponibles reste massive tant la récession a été brutale. De ce fait, l’emploi, qui suit souvent avec retard le cycle économique, devrait encore souffrir dans les mois à venir, même si on doit s’attendre à un ralentissement dans le rythme des suppressions d’emplois, du moins dans les pays où l’ajustement a déjà été fort comme aux Etats-Unis.
Cette dynamique de reprise s’appuie sur un rebond du commerce mondial (même si celui-ci ne s’opère que très graduellement) et contribue au retour de la croissance dans un nombre toujours plus important de pays émergents. La Chine reste néanmoins dans le peloton de tête, affichant une croissance de son PIB de 8,9%(A) au 3T, bien qu’en rythme trimestriel l’expansion se soit nettement modérée après l’explosion du 2T (autour de 20%(T) r.a., contre 10% au 3T). Comme dans de nombreux pays, cette croissance s’appuie en très grande partie sur le soutien toujours considérable des politiques publiques qui viennent donc se substituer à un secteur privé dont la demande reste relativement atone, notamment dans les pays industrialisés.
Stratégies de sortie
Devant la bonne nouvelle du retour de la croissance, le débat sur le retrait des politiques stimulantes gagne en ampleur. En fait, la vitesse à laquelle certains pays retrouvent le chemin de l’expansion économique et la nature et la dimension du choc subi détermineront la rapidité et le rythme avec lesquels le changement de cap devrait s’opérer. Ainsi, les changements de politique économique ne seront sûrement pas synchronisés. Par deux fois déjà, la Banque d’Australie a relevé son taux directeur (porté à 3,5%).
La Norvège a aussi commencé son cycle de remontée des taux et nous nous attendons à ce que d’autres banques centrales suivent ce chemin, notamment dans le monde émergent. Le Brésil, la Corée ou la Pologne devraient être dans leurs régions respectives parmi les premiers à ajuster à la hausse leurs taux directeurs. Au total, dans les six prochains mois, leurs politiques monétaires devraient devenir moins accommodantes. En revanche, pour le G3, des hausses de taux sont difficiles à envisager à cette échéance. En effet, avec des pressions toujours déflationnistes, nos prévisions de croissance et la fragilité de celles-ci nous incitent à projeter des hausses de taux plutôt vers début 2011. Néanmoins, nous devrions assister aux premières mesures visant à reprendre graduellement l’excès de liquidité.
Ceci sera nécessaire pour que ce surplus ne mette pas en danger la stabilité financière, ou ne déclenche à terme des pressions inflationnistes. Encore une fois, ce processus devrait être graduel, car prendre le risque d’une nouvelle « crise cardiaque » serait fatal. Du côté budgétaire, les ajustements seront bien plus lents. La dépense publique devrait de fait continuer à soutenir la croissance en 2010, même si dans des nombreux pays l’ampleur de ce soutien sera moindre qu’en 2009.
Des marchés plus hésitants mais toujours porteurs
Pour qualifier la capacité de Monsieur le Marché à anticiper l’avenir économique, il est souvent dit qu’il « achète la rumeur et vend la nouvelle ». Après un rally extraordinaire depuis début mars des actifs risqués, il est donc légitime de se demander si « Tout n’est pas déjà dans les prix ? ». Il est toujours impossible de répondre à une telle question. Néanmoins, en se référant à une multitude de mesures de valorisation des actifs risqués, il est difficile de constater une anomalie inquiétante. Notre calcul de la prime de risque sur les actions du MSCI Monde, bien qu’en recul par rapport au sommet atteint au printemps dernier, reste à un niveau élevé (7,0%). Les prévisions C/B à un an, en s’appuyant sur les projections de bénéfices des analystes, se situent entre 12-15 fois, soit à des niveaux n’indiquant pas une cherté extrême du marché, mais, au contraire, des valorisations relativement attrayantes dans une phase de reprise. De même sur le crédit, les taux de défauts implicites reflétés par les « spreads » actuels restent à des niveaux qui nous semblent bien élevés par rapport à ce qui devrait se réaliser. Au total, du côté des valorisations, nous avons donc un message plutôt rassurant.
En fait, pour nous, le facteur prépondérant pour rester relativement plus exposé aux actifs risqués, est la poursuite de la dynamique de reprise économique et la persistance d’une liquidité très abondante. Ainsi, la baisse qui s’opère fin octobre début novembre sur les marchés constitue à nos yeux une simple correction et ne remet pas en cause notre diagnostic sur l’environnement économique et financier. Nous maintenons donc notre recommandation de surpondérer les actifs risqués. En revanche, il nous semble opportun de recalibrer certains paris. En particulier, au sein des actions, la valeur relative de certains secteurs défensifs par rapport aux cycliques, notamment des services au public (« utilities »), nous incite à revenir à ces dernières.