La question de Dubaï

par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis AM

La situation à Dubaï a brutalement changé. L'émirat a annoncé le 25 novembre que la société immobilière Nakheel, filiale du conglomérat Dubaï World devait reporter le remboursement de 3.5 milliards de dollars au 10 mai prochain au lieu du 14 décembre. Dubaï World est un conglomérat étatique.

Une annonce de ce type n'est qu'une demi-surprise. Les projets immobiliers spectaculaires de Dubaï, depuis quelques années, avaient déjà inquiété les agences de notations. En octobre 2008 par exemple, Moody's mettait une alerte sur l'évolution de la dette et sur la frénésie immobilière de Dubaï.

Cependant, s'il y a avait une inquiétude sur la situation en général, la stratégie financière ne semblait pas poser de soucis majeurs. En effet l'émirat de Dubaï a levé des capitaux récemment. En prenant ainsi tout le monde à revers, l'annonce du report de remboursement a eu un impact fort.

Le CDS de Dubaï World a progressé de 250 points de base en deux jours.  Le CDS de l'émirat a, quant à lui, augmenté de 223 points sur les deux derniers jours. Les niveaux atteints par les CDS sont élevés mais moins importants que ceux observés à l'automne 2008 et au début de l'année 2009. (Le CDS est un actif financier qui donne une mesure de la prime de risque sur une obligation d'un émetteur. Plus la prime est élevée, plus le risque est perçu comme fort).

Ce qu’il faut savoir sur Dubaï

Dubaï fait partie des Emirats Arabes Unis (EAU). C'est une des 7 composantes des EAU. La composante majeure est Abu Dhabi qui dispose de plus de 80 % des réserves de pétrole du pays

L'endettement des EAU s'est accéléré très nettement depuis le milieu des années 2000. Il a quadruplé depuis 2005 pour atteindre 123 Milliards de dollars au deuxième trimestre 2009. Cela représente ainsi plus de 50 % du PIB des EAU contre moins de 25 % en 2005. La part de Dubaï dans cette dette est d'environ les 2/3. Parmi les banques détenant ces créances sur les EAU, les banques britanniques ont une part d'environ 40 % contre 9 % aux Etats-Unis, à l'Allemagne et à la France.

Le point important est qu'il y a une solidarité régionale entre les 7 composantes des EAU. Cela implique que face aux difficultés d'une des composantes, les autres se doivent d'intervenir. Cela pourrait être le cas pour l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) qui est un fond souverain d'environ 500 milliards de dollars. Les 3.5 illiards de Nakheel ne posait pas de problème.

En conséquence, s'il n'y a pas eu intervention directe c'est qu'il y a probablement une lutte d'influence au sein des EAU entre le gouvernement d'Abu Dhabi, celui de Dubaï et les pratiques mises en œuvre dans le conglomérat Dubaï World.

On peut résumer l'équation de la façon suivante : Dubaï est entré en récession. La problématique de l'excès d'immobilier et la gestion d'un endettement excessif l'ont mis en difficulté. L'aide souhaitée a très certainement permis de relancer d'éventuelles tensions entre Abu Dhabi et Dubaï. Les premiers disposent des richesses pétrolières et de fonds souverains importants et ont de fait été susceptible de faire pression pour que de nouvelles règles de gestion soient mises en œuvre. Une annonce explicite permet de forcer et d'accélérer l'issue de la négociation.

La question de la propagation

La remontée des indicateurs de risques associés au changement intervenu à Dubaï a eu un impact fort sur l'ensemble des marchés financiers. Les marchés boursiers ont chuté fortement (-3.4 % à Paris), les taux longs de référence en zone Euro ont baissé assez nettement (autour d'une dizaine de centimes sur les taux allemands à 10 ans qui sont revenus un peu au-dessus de 3.1 %).

Cependant, dans le même temps les taux grecs ou Irlandais progressaient. Les taux grecs augmentaient d'un peu plus de 10 points de base alors que les taux irlandais progressaient d'un peu plus de 3.5 points de base. Cette remontée en zone euro est spécifique à ces deux pays puisque les taux des autres pays européens baissaient plus ou moins fortement. Cette sensibilité est cohérente avec ce qui est observé depuis quelques semaines au sein de la zone euro. Les taux grec et irlandais évoluent de façon divergente par rapport à la tendance constatée au sein des autres pays. Leur sensibilité aux événements de marché est donc logique.

La question de la diffusion se pose forcément dans ce cadre. Si un risque fort apparaît dans un ensemble qui reste fragile, quel peut être la vigueur de la diffusion vers d'autres marchés ?

Pour avoir une idée de ce phénomène j'ai pris les CDS 5 ans des différents Etats susceptibles d'être affectés par ce changement d'orientation à Dubaï.

Les CDS les plus affectés sont ceux des pays du Moyen-Orient voisins de Dubaï. Ceux d'Abu Dhabi, du Qatar ou encore d'Arabie Saoudite sont en hausse modérée: 60 points de base à Abu Dhabi, 33 en Arabie Saoudite et 20 au Qatar. Ces mouvements sont sans commune mesure avec les mouvements observés à Dubaï.

Par ailleurs, l'autre point à relever est que le niveau des CDS de ces 3 pays et celui de Dubaï sont très différents. Avant cette irruption, le CDS de l'émirat de Dubaï était de plus de 310 points alors que celui d'Abu Dhabi n'était que de 100 et de 75 en Arabie Saoudite. L'appréhension du risque par les marchés financiers vis-à-vis de Dubaï était déjà inscrite.

Les marchés européens fragiles ont légèrement réagi.

C'est le cas de l'Islande dont le CDS gagne 20 points de base, de la Grèce qui progresse aussi de 20 points de base, de la Lettonie en hausse de 25 points ou encore de la Lituanie (+16). L'Irlande est peu affectée à +7.5 points de même que les pays d'Europe centrale (Pologne, Tchéquie ou Roumanie) sauf peut être la Hongrie qui est un peu plus fragile que les autres.

Les calculs montrent une corrélation assez réduite entre les CDS de Dubaï et ceux des autres pays de l'échantillon (les corrélations sont calculés sur les rendements quotidiens entre le CDS de Dubaï et celui d'un autre pays. Les calculs sont faits sur une fenêtre glissante de 30 jours).

Les deux derniers points prenant en compte les données du 25 et du 26 novembre, la corrélation s'accroît très fortement puisque le mouvement des CDS a été à la hausse dans l'ensemble des pays de l'échantillon.

La lecture de ces corrélations suggère que le lien entre la dynamique constatée à Dubaï et dans les autres pays est généralement réduit. Les corrélations n'ont augmenté très récemment qu'en raison de l'onde de choc et des interrogations suscités par la situation nouvelle à Dubaï.

En conséquence, le changement de situation constaté à Dubaï n'aura probablement pas d'impact durable sur les autres marchés, sauf à supposer que la situation spécifique de Dubaï continue à se dégrader de façon durable et brutale. Ce n'est pas l'hypothèse que nous retenons.

Conclusion

Dubaï a connu un développement très rapide fondé notamment sur l'immobilier financé par un endettement croissant. Cela avait permis à Dubaï de connaître une croissance robuste bien supérieure à celle des autres composantes des Emirats Arabes Unis, notamment Abu Dhabi.

Cependant Dubaï est entré en récession avec des ressources en retrait, un marché immobilier moins porteur et une dette très importante. La solidarité des autres composantes des EAU doit jouer. Cependant, compte tenu de la situation de Dubaï, elle se fait probablement sous condition. Abu Dhabi interviendra mais en souhaitant imprimer sa marque. C'est ce qui a été fait.

La nouvelle du report du remboursement de la dette par Dubaï a créé une onde de choc sur les marchés que nous avons appréhendé par l'évolution des CDS. Celui de Dubaï a fortement progressé mais ceux des pays avoisinant ont perçu un impact significatif mais limité alors que les pays fragile en Europe ont vu leurs CDS augmentés mais sans excès et en tout cas sans commune mesure avec ce qui avait pu être observé il y a quelques mois. On note aussi que la corrélation des rendements quotidiens entre les CDS des différents Etats et le CDS de Dubaï est réduite.