par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM
Au-delà de la tragédie grecque, l’environnement actuel a témoigné de la fragilité du secteur financier mondial et de la pression déflationniste intense qui continue de s’exercer sur les économies européennes. La situation des pays du Sud de l’Europe, qui alimentent les craintes concernant à la viabilité de la monnaie unique à long terme, traduit les insuffisances de l’Union monétaire européenne. Il est difficile de préserver une monnaie unique sans politique obligataire et fiscale commune. Les investisseurs ont commencé à spéculer sur un effondrement de l’euro ou sur la défaillance d’un pays membre de l’union monétaire. Comme d’habitude, le marché a commencé par réagir excessivement à une crainte rationnelle.
L’incertitude actuelle trouve ses origines dans l’éventualité d’un support de ces pays, son calendrier et la forme qu’il prendra. En effet, le coût économique d’une défaillance est nettement supérieur au coût d’un renflouement ou d’un support. Cette situation tend à montrer que les plus petits pays d’une union monétaire ont une capacité disproportionnée à perturber, discréditer et tenir en otage des projets ambitieux tels que l’espace économique et monétaire intégré.
Bien que les marchés financiers puissent être accusés de spéculation excessive, ils ont également des effets positifs. La pression qu’ils exercent est rationnelle. Et bien que les pays périphériques de la zone euro doivent procéder à un ajustement de leur politique, ils ne le feront pas sans la pression des marchés financiers ou d’une crise. Une fois encore, les marchés financiers forcent le monde réel à réagir, alors que le souci des hommes politiques et des législateurs est de gagner du temps. Dans ce contexte, l’euro se déprécie et le dollar n’est pas prêt de perdre son statut de devise de réserve. A noter que la crise de la dette souveraine n’est pas si catastrophique. En effet, elle a entraîné une forte dépréciation de l’euro, qui joue le rôle de catalyseur des perspectives économiques de la région.
Confirmant nos pires craintes, les investisseurs ne sont pas parvenus à détourner leur attention de cette crise souveraine. Cet événement macroéconomique a encore été au cœur des débats, alors que tous les observateurs espéraient le retour d’une approche de la sélection de valeurs. En dépit des craintes suscitées par la Grèce, aucune des conditions sous-jacentes n’ont fondamentalement changé. La croissance de l’économie américaine pourrait continuer de surprendre agréablement et le problème clé reste le processus de rééquilibrage de l’économie mondiale.
En plein effondrement des marchés des actions, il convient de noter que l’économie mondiale continue de se redresser.
C’est notamment le cas de l’activité manufacturière, à la faveur d’une progression de la production. Pour le sixième mois consécutif, l’indice ISM manufacturier a été supérieur au seuil de 50 et l’amélioration a été généralisée.
En plus de la situation grecque, les investisseurs cristallisent leur attention sur le durcissement monétaire en Chine. Ces deux évènements masquent une amélioration des perspectives macroéconomiques (moteur sous-jacent des marchés).
À court terme, le principal risque est celui d’une erreur politique, à savoir par exemple une tentative de traitement des symptômes, plutôt que des causes, de la crise. Comme nous l’avons constaté lors de la crise financière, les interventions politiques ont un coût. Le risque moral, en soutenant des finances publiques mal gérées chez certains, est d’encourager les médiocres performances chez d’autres, bien que cette alternative ait probablement un résultat incertain.
Nous pensons depuis un certain temps que, au-delà de l’environnement instable et de la transition de marché actuel, la véritable question est le potentiel de croissance européen, thème central de l’agenda de Lisbonne en 2001.
L’ajustement des pays périphériques de l’Europe n’est qu’une partie du problème. La croissance doit progresser en Europe. Actuellement, elle ne peut provenir que des économies du centre et du nord de la région, compétitives à l’échelle mondiale, et qui ne souffrent pas de désendettement. Ce thème est plus que jamais essentiel. Le potentiel de croissance de la zone euro a été sérieusement impacté par le niveau des déficits publics. Comme Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff l’ont souligné lors d’un récent article, quand le ratio dette publique sur PIB dépasse 90 %, le taux de croissance moyen baisse de 1 % par an.
Nous continuons de penser qu’une reprise tirée par les investissements se dessine (comme nous l’expliquons plus en détail ci-dessous). En revanche, la crise souveraine donne naissance à un risque. Cette crise de la dette fait peser une menace directe sur les marchés des actions, en raison de l’augmentation du coût du capital, qui exige un taux de performance plus élevé des investissements engagés, ce qui dissuade de nombreux projets d’investissement.
Il est incorrect de parler de nouveau marché baissier. L’histoire nous montre que les reflux sont nombreux dans des périodes qui suivent un marché baissier. Au cours des 18 mois qui ont suivi le plancher du marché baissier, les reflux ont constitué un élément normal et sain de la reprise des marchés des actions. Au cours de ces 40 dernières années, le reflux de marché moyen a été constant. La période 2004 sert de référence utile pour analyser les conditions actuelles.
Après une hausse linéaire de 50 % de mars 2003 à mars 2004, les marchés des actions ont subi une correction. Selon nous, le marché traversera plusieurs mois de consolidation, avec des évolutions erratiques à la hausse comme à la baisse, au cours desquels les nerfs et la détermination des investisseurs seront mis à rude épreuve. La bataille actuelle, longuement décrite, entre dynamique bénéficiaire positive et risque politique va perdurer pendant un certain temps, avec un marché évoluant au sein d’une fourchette de niveaux, et avec une période prolongée de volatilité et d’absence de tendance claire sur les marchés des actions.
Suivi de la crise souveraine
Un problème commun au Portugal, à l’Irlande, à la Grèce et à l’Espagne est leur manque de compétitivité, qu’il faudra traiter de manière urgente et efficace. Il est triste de constater que certains déséquilibres ont été nécessairement causés par de nombreuses années de déflation douloureuse et de profonde récession économique. Les États membres de l’Union européenne ne peuvent pas recourir à la dévaluation de leur devise pour stimuler leurs exportations afin de compenser l’impact négatif d’une forte contraction des budgets sur la demande intérieure. Aussi, ils n’auront pas d’autre choix que d’accepter une déflation de leur dette. Et les salaires locaux et les prix sont voués à baisser.
Les crises souveraines classiques sont liées à la devise ou à la balance des paiements et se traduisent notamment par un déficit important de la balance courante ou un excédent financé par les afflux de capitaux étrangers. En cas de crise de confiance, les investisseurs étrangers fuient les marchés financiers du pays, ce qui entraîne une chute de la devise, qui rend difficilement supportable le poids de la dette extérieure (libellée en devise étrangère) et qui entraîne une dévaluation. Lors de l’épisode actuel, la dette des États périphériques de la zone euro est libellée en euro, exemple d’une crise de solvabilité à long terme qui précipite une crise de liquidité à court terme. Dans ce contexte, la solution de court terme repose dans une gestion efficace de la crise de liquidité.
Nous avons récemment indiqué que le Royaume-Uni serait la prochaine victime de la crise de la dette souveraine. Il semble que cela se vérifie actuellement.
La livre sterling est exposée à des menaces internes et externes qui contribuent à la nervosité des investisseurs. Trois facteurs pèsent actuellement sur la livre sterling :
- les craintes suscitées par la fermeté de la reprise, avec une forte baisse des investissements des entreprises ;
- les craintes que la Banque d’Angleterre relance son programme d’assouplissement quantitatif ;
- et les craintes que les élections qui se tiendront dans les trois prochains mois n’aboutissent à un parlement sans majorité et à une impasse sur la question des déficits.
La vulnérabilité de la livre sterling est également accentuée par le fait que de nombreux actifs britanniques sont détenus par des investisseurs étrangers : pour preuve, ils possèdent environ la moitié des obligations émises au Royaume-Uni.
L’effet d’éviction
Tous les regards sont désormais tournés vers la nécessité de maîtriser les déficits publics excessifs, non seulement pour satisfaire les marchés financiers mais également pour éviter un effet classique d’éviction. Bien que les entreprises et les consommateurs ne soient pas encore disposés à contracter de nouvelles dettes, cela ne durera pas à mesure de la reprise économique. Le maintien d’un niveau élevé de déficit public ne stimulera pas la croissance du PIB mais étouffera le secteur privé, pèsera sur l’accès des entreprises au crédit et augmentera le coût du capital de l’économie dans son ensemble. D’après Morgan Stanley, les émissions européennes nettes d’obligations et de bons du Trésor en 2010 devraient s’élever à 550 milliards d’euros.
La dette publique a été jusqu’à présent absorbée par les banques heureuses de procéder à des opérations de carry-trade le long de la courbe des taux. En revanche, avec l’introduction des nouvelles réglementations, cette situation risque de ne pas durer.
Le retour de l’effet pays
Parfois, la communauté financière est obsédée par une approche sectorielle. Ce fut notamment le cas au cours de la dernière décennie où, dans une certaine mesure, les investisseurs ont fermé les yeux sur la possibilité d’un risque pays en Europe. Bien que la Grèce défraye la chronique, les investisseurs n’ont pas beaucoup tiré parti des opportunités extraordinaires offertes par les écarts en Europe, notamment parce que l’approche sectorielle était devenue trop exclusive au sein du secteur de la gestion de fonds. Depuis le début de l’année, on constate un écart de 17 à 18 % entre la performance des secteurs de marché de niveau 2 les plus performants et les moins performants des indices paneuropéens, avec un écart encore plus grand – de l’ordre de 20 % – entre la performance (à devise comparable) entre les indices du marché espagnol et du marché suédois. Le retour du facteur pays au cours de ces derniers mois n’est pas simplement la conséquence de la crise grecque. Plus fondamentalement, il traduit le changement de leadership en matière de croissance et de bénéfice au sein de la région. Jusqu’en 2007, le leadership en Europe était le fait des marchés les moins matures et les plus dynamiques des régions périphériques et des valeurs plus exposées à leur économie domestique. La crise du crédit marque le retour du leadership des valeurs plus exposées aux marchés extérieurs et des marchés financiers les plus matures et les moins « domestiques » des pays centraux de la zone euro.
Suite de la question des dépenses en investissement
Les investisseurs craignent que la dynamique macroéconomique ne s’essouffle, notamment à la suite de la récente publication de statistiques américaines plutôt décevantes. Nous restons fidèles à nos prévisions de redressement des dépenses en investissement. Les preuves d’un tel redressement s’accumulent, et force est de constater que les principaux indicateurs de dépenses des entreprises progressent, à l’image du changement des conditions d’octroi de prêts bancaires et de l’inversion de la tendance bénéficiaire.
Les pessimistes ont tendance à souligner les faibles taux d’utilisation or les dépenses en investissement sont trop faibles pour se maintenir durablement à de tels niveaux historiquement bas.
Les entreprises disposent maintenant d’une puissance financière suffisante pour investir, alors qu’elles étaient davantage en difficulté au début de la précédente reprise économique. Les seules alternatives qui s’offrent actuellement aux équipes de direction sont les opérations capitalistiques (rachat de concurrents, compte tenu du niveau des valorisations actuelles) et la construction de nouvelles capacités.